Débarrassé de l’impérialisme américain, le peuple iranien doit désormais se confronter à une autre forme de domination capitaliste, doublée d’un autoritarisme religieux déguisant une volonté de contrôle de la part de la classe dominante iranienne. Dans cette première partie en deux volets sur la révolution iranienne, dressons l’historique des luttes sociales.

Crises économiques, accaparement des richesses par une minorité, conditions d’existence compromises – y compris pour les classes moyennes -, États autoritaires réprimant violemment les révoltes pour se maintenir au pouvoir… Le schéma semble se répéter et s’amplifier à travers le monde, malgré des contextes et des degrés de répression différents. Celui de l’Iran est d’autant plus particulier qu’une révolution a déjà bousculé le pays 43 ans plus tôt, en 1979, avec le renversement de l’Etat impérial d’Iran et la destitution du Shah, remplacés par la République islamique d’Iran et la prise de pouvoir de l’ayatollah Khomeini.

Contexte historique : colonialisme et dictature

Avant de s’attaquer aux enjeux des révoltes iraniennes, un bref résumé historique s’impose, ce dont s’est attelé le Canard Réfractaire dans sa vidéo Iran : Une nouvelle révolution ?. Le moins que l’on puisse dire est que les intérêts économiques des grandes puissances mondiales n’ont pas été salutaires pour les terres d’Iran et leurs habitant·es.

Au début du XXème siècle, alors que la Grande-Bretagne est la première puissance industrielle et coloniale au monde, elle décide d’investir massivement en Iran dans les infrastructures pétrolières et gazières, dans l’objectif d’y exploiter ses immenses ressources. Une entrée brutale dans les inégalités du capitalisme pour le peuple iranien, qui voit se profiler devant lui l’urbanisation, la pauvreté, le chômage, mais aussi en conséquence un début de conscience de classe. 

En février 1921, les Britanniques organisent même un coup d’État dans son officieuse colonie perse pour y installer un gouvernement favorable à son hégémonie et son exploitation – pour ne pas dire pillage – des ressources et des énergies. Cela se traduit par la suprématie de la société pétrolière Anglo-Persian Oil Company. Celle-ci devient la première capitalisation boursière britannique sur laquelle les riches britanniques spéculent, alors que seulement 8% des bénéfices sont reversés à l’Iran selon le Canard Réfractaire. Disons-le clairement, si la Grande-Bretagne était un citoyen et l’Iran une bijouterie, ce premier serait depuis longtemps en prison pour braquage et prise d’otage.

Mohammad Reza Pahlavi à l’aéroport de Téhéran – 1953.

Le bilan du Reza Shah et son État impérial d’Iran restera ambivalent, entre modernisation, progressisme et régime dictatorial. Il imposa l’interdiction du port du voile, aujourd’hui pourtant obligatoire et ayant coûté la mort de Mahsa Amini. À croire que la privation des libertés des femmes est une constante, entre régimes occidentaux qui font preuve d’islamophobie par l’interdiction du port du voile, et régimes dictatoriaux islamiques qui l’imposent. Est-ce si difficile d‘accorder aux femmes le choix et la paix de porter ou de ne pas porter le foulard ? 

En France, cette sérénité est loin d’être acquise pour les femmes musulmanes, régulièrement visées par l’islamophobie croissante au sein des sociétés occidentales et des décideurs politiques. Le collectif français des Hijabeuses, militantes et joueuses de football, connaissent bien ces lois, à la fois liberticides, sexistes et racistes, face au projet d’interdiction du port du voile dans les compétitions sportives, adopté par le Sénat en janvier 2022. Un contraste qui nous (à savoir les Occidentaux) invite à la prudence à l’heure d’analyser les conditions des femmes iraniennes, face aux récupérations d’extrême droite que l’on hume à des kilomètres.

D’un impérialisme à l’autre

Conditions de travail difficiles et délaissement des infrastructures publiques : l’Iran voit ses richesses volées, ses habitant·es exploités et même son territoire occupé militairement par la Grande-Bretagne et l’URSS durant la seconde guerre mondiale. Conscient de son exploitation à outrance par quelques riches boursiers londoniens, le mouvement nationaliste iranien finit par gagner du terrain, jusqu’à la nomination en tant que Premier ministre du nationaliste Mohammad Mossadegh en 1951. Selon l’anthropologue américaine Narges Bajoghli, il devient le premier dirigeant du « Tiers-Monde » à nationaliser les ressources de son pays, à commencer par l’industrie pétrolière.

Le 1er ministre iranien Mohammad Mossadegh (à droite) serrant la main du diplomate britannique Gladwyn Jebb (à gauche).

Cela n’est pas tellement du goût des spéculateurs britanniques, jusqu’alors habitués à piller sans remords l’or noir et le gaz iranien. D’après N. Bajoghli, la Grande-Bretagne s’est ensuite rabattue derrière un nouvel impérialisme, celui des Etats-Unis, par haine du communisme et crainte d’un rapprochement avec l’URSS dans un contexte de guerre froide. Une « peur rouge » fantasmée alors que M. Mossadegh déclarait dans son discours du 21 juin 1951 vouloir l’indépendance économique et politique de l’Iran en se débarrassant enfin de la domination britannique, mais aussi soviétique au nord du pays, et de ses effets de corruption. En somme, un juste retour de la richesse iranienne au peuple afin de combattre la pauvreté qui mine le pays, avec la volonté également de développer économiquement le pays. Un simple début de socialisme, de bon sens et d’humanité, déjà insupportable pour les adorateurs de l’impérialisme occidental.

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C’est ainsi que l’opération Ajax a été menée par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en 1953, le tout orchestré par la CIA afin de réaliser un coup d’État contre le gouvernement nationaliste iranien, et d’y installer à sa place un dictateur ami des Américains. La monarchie est de retour, autant dire que l’indépendance de l’Iran n’aura pas duré longtemps. Les États-Unis deviennent 26 ans durant le premier partenaire économique et militaire de l’Iran, qui après avoir subi l’exploitation coloniale des richesses par les Britanniques, voit le processus se répéter avec les Américains. Le peuple continuellement lésé subira les conséquences d’une forte inflation dans les années 70, suite à l’augmentation des prix de l’énergie après le choc pétrolier. Manifs et répressions violentes (avec l’aide des Etats-Unis) du Shah s’en suivront.

La révolution de 1979

Groupe de révolutionnaires armés lors de la révolution iranienne de 1979. Source : iichs.ir

Les grèves et protestations populaires, soutenues par le clergé chiite, finissent par renverser la monarchie en 1979. Selon le journal de l’Unité Internationale des Travailleurs (UIT-QI) la haine contre le régime oppressif était devenue trop grande : étudiants, secteurs religieux, paysans, mouvement kurde et surtout la classe ouvrière ont eu raison du Shah, contraint de prendre la fuite.

L’un des chefs de la communauté chiite, Rouhollah Khomeini, considéré comme le « chef de la révolution en Iran », est appelé à diriger le pays afin « d’empêcher le processus révolutionnaire d’échapper au nouveau gouvernement et au régime bourgeois hégémonisé par le clergé chiite et la bourgeoisie du Bazar », d’après les écrits de l’UIT-QI.

Le mouvement communiste internationaliste considère par ailleurs qu’un double pouvoir s’exprime après le triomphe de la révolution : d’un côté le nouveau gouvernement du clergé chiite et de la bourgeoisie commerçante, de l’autre les organes du pouvoir des masses, notamment des travailleurs. 

« Le nouveau chef religieux et politique de l’Iran, l’ayatollah Khomeini, salue ses partisans depuis son quartier général à Téhéran pendant la révolution de 1979 en Iran. » Crédit : Campion, AP, NTB Scanpix.

L’entrée de la classe ouvrière et des travailleurs du pétrole aura été déterminante dans le processus de révolution, grâce à l’incorporation d’une « arme » redoutable selon l’UIT : la grève générale reconductible, également accompagnée d’un contrôle des usines par les travailleurs. Aussi, l’auto-organisation en comités d’ouvriers (appelés « shoras ») a permis de faire entendre la voix prolétaire jusqu’à l’inscrire durablement dans l’expression de ce double pouvoir.

Trahison du désir populaire et démocratique

À chaque fois que le peuple iranien touche du bout des doigts liberté et souverainisme, son destin se termine dans l’abysse des tyrannies. Enfin débarrassés des impérialistes britanniques puis américains, les iranien·nes continuent de subir injustices et accaparement des richesses, cette fois-ci de la part de la classe dominante et religieuse du pays.

Frustrés, les travailleur·euses continuent le combat révolutionnaire au gré des grèves et des shoras, toujours plus nombreux. Dès mai 1979, le régime islamique bourgeois choisit la voix de la répression en instaurant des lois limitant l’activité syndicale et en continuant l’usage des lois anti-ouvrières du Shah, d’après l’UIT. Lui aussi lésé malgré son apport dans la réalisation révolutionnaire, le mouvement kurde voit rejetée sa demande d’autonomie nationale. Les Kurdes subiront même des attaques militaires de la part du pouvoir, tout comme les Azerbaidjanais·es réclamant l’autodétermination. Marjane Satrapi l’exprime parfaitement dans son film Persepolis : les idées marxistes et révolutionnaires sont réprimées par la République islamique, puisque son oncle Anouche, dirigeant communiste, sera exécuté pour ses opinions politiques. La révolution de 1979 par le peuple et pour le peuple, a un sacré goût d’inachevé, de trahison et de répression.

Khomeini s’est donc rangé stratégiquement derrière le peuple durant la révolution avant d’imposer son idéologie, mais aussi celle, encore et toujours, de la classe bourgeoise. Il a surtout imposé son alternative comme l’unique possible, en demandant au peuple de choisir entre 2 options : Monarchie ou République islamique ? 99% des votant·es ont plébiscité la seconde option ; 99% de colère, surtout, contre la première. Selon l’Unité Internationale des Travailleurs, la stratégie était avant tout « d’éviter de se conformer à la proposition de convoquer une Assemblée constituante », c’est-à-dire d’éviter tout processus démocratique et de justice sociale. Une stratégie rhétorique bien connue de l’hexagone, où le projet néolibéral macroniste est présenté comme la seule voie républicaine face aux « extrêmes ».

Violences intérieures et étrangères

Si Persepolis nous donne déjà un aperçu de la sévère répression intérieure en Iran et du contrôle excessif des tenues et des comportements, la situation continue de s’aggraver durant la guerre contre l’Irak. L’UIT révèle que Khomeini a profité de la guerre pour asseoir sa répression, en accusant des milliers d’opposant·es d’être des esclaves irakien·nes et en abattant 5000 personnes selon les estimations. Un régime à la fois dictatorial, théocratique et réactionnaire, qui profite à la classe dominante et la bourgeoisie du Bazar dans son projet de domination capitaliste. 

L’anti-impérialisme américain aura servi d’excuse pour imposer une autre forme de domination, bien loin du désir de justice sociale exprimé en 1978-1979. L’accaparement des richesses par une minorité n’est plus extérieure mais locale, alors que le totalitarisme religieux est particulièrement sévère pour les femmes : privation de libertés et répression pour les femmes « rebelles » refusant de porter le hijab, par un contrôle strict et permanent de la police des mœurs. L’UIT affirme que la répression se durcit également pour les travailleur·euses, les militant·es de gauche et les minorités nationales telles que les Kurdes et les Arabes. Et dire que Khomeini promettait une « démocratie islamique ».

Selon le Canard Réfractaire (op. cit.), l’histoire politique iranienne oscille entre gouvernements mis en place par des exploiteurs et profiteurs étrangers, et des gouvernements nationalistes qui, certes, nationalisent les usines (sans pour autant redistribuer les richesses au peuple) mais en contrepartie subissent la violence économique des blocus et le chantage militaire permanent. L’après 1979 aura vu la violence subie par les Iraniens se dédoubler : les agressions économiques et militaires des Etats-Unis viennent s’ajouter à la répression et les injustices de la dictature capitaliste de la République islamique d’Iran.

En effet l’attitude états-unienne a été particulièrement violente envers l’Iran, suite à la nationalisation des usines perses et donc la perte de la mainmise américaine sur la première réserve de gaz au monde, mais aussi sur une zone tampon entre leur zone d’influence au Moyen-Orient et l’ennemi soviétique de l’époque. Les logiques impérialistes ont ainsi poussé les Etats-Unis en 1979 à geler 12 milliards d’actifs financiers détenus par l’Iran, à lancer une guerre et bombarder des installations pétrolières iraniennes en 1988, ou encore à mener un blocus en 1996 contre le commerce iranien, tout en faisant du chantage économique à tout autre pays souhaitant commercer avec l’Iran.

Photo prise le 27 juin 2006 à Téhéran, Iran. Crédit : Pooyan Tabatabaei (Flickr).

Aujourd’hui, le nouvel épisode de révoltes révolutionnaires suite à l’assassinat de Mahsa Amini en septembre 2022, pose question vis-à-vis de l’attitude des Etats-Unis, dont le contrôle impérialiste n’a jamais cessé de piller l’Iran ou de saboter son développement économique. Une fois la dictature des mollahs renversée, la grande problématique des Iranien·nes est celle de son développement social et économique dans un monde capitaliste sans pitié pour les peuples riches de ressources, pauvres d’autonomie.

Fsociété.


Photo de couverture : prise le 26 juin 2006 à Téhéran, Iran. Crédit : Pooyan Tabatabaei (Flickr).

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