Essai rédigé à la première personne, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce de Corinne Morel Darleux est une invitation à repenser notre éthique face à l’effondrement afin de préserver notre humanité. L’auteure nous livre un propos poétique et surprenant, rythmé par les aventures et pensées de guides discrets, le navigateur Bernard Moitessier et l’écrivain Romain Gary.

L’assèchement des perspectives d’avenir remet profondément en cause notre être au monde et nos actions tant individuelles que collectives. Ce nouveau paradigme, celui qui a comme horizon l’effondrement, interroge notre condition au temps présent, argumente Corinne Morel Darleux dans Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (Libertalia, 2019). Pour pallier la perte de repère, retrouver du sens à nos vies, l’auteure propose de réenraciner l’agir dans les espaces de liberté sur lesquels nous avons encore (un peu) prise, et selon une nouvelle éthique, celle de la « dignité du présent ». C’est cette dernière qui peut désormais nous guider, à une époque où chacun commence à percevoir sa propre fragilité dans un monde plus que jamais incertain.

« La dignité du présent est ce qu’il nous reste de plus sûr face à l’improbabilité de victoires futures, de plus en plus hypothétiques au fur et à mesure que notre civilisation sombre », écrit ainsi l’auteure.

En effet, au moment où les rapports scientifiques qui se succèdent les uns après les autres ne font qu’obscurcir un tableau déjà peu réjouissant, notre avenir commun est plus que jamais compromis. Comment alors ne pas céder aux tentations égoïstes, au chacun pour soi, à une époque où les luttes collectives ne peuvent que très difficilement laisser entrevoir un avenir meilleur, étant systématiquement conspuées car incompatibles de fait avec le système économique dominant ? Ce sont ces questionnements essentiels qui sont au cœur du dernier essai de Corinne Morel Darleux, militante politique et de terrain.

La conseillère régionale Auvergne Rhône Alpes ne veut pas se résoudre à l’abandon des combats communs pour la défense des droits et l’égalité sociale, éléments indispensables si l’on veut empêcher le délitement : « on a pas le droit de flancher, il faut encore faire société, apprendre, lutter, accompagner », défend-elle.  Néanmoins, l’auteure le concède en toute franchise : « je n’assume pas de me désintéresser du sort de mes congénères. Mais je ne sais pas non plus que faire de ce sentiment pressant que je n’ai plus devant moi que quelques belles années ». Nombreux seront les militants éclairés de tous bords qui se reconnaîtront dans ces propos qui illustrent les tensions émotionnelles dont la réalité de l’époque contemporaine nous submerge.

Photographie de Biju Boro à Guwahati en Inde

C’est un difficile numéro d’équilibriste qui s’impose ainsi, entre la recherche de plaisirs individuels du quotidien pour continuer à vivre, la volonté de préserver autrui et celle de persévérer, malgré tout, dans les luttes. Nous reste toutefois, selon les mots de l’auteure, la possibilité de nous saisir des marges de manœuvre qui subsistent, d’aller chercher ces petites brèches de liberté. Nous pouvons refuser le toujours plus, ne pas céder face à la compétitivité, tenter de résister face aux promesses de l’ascension sociale. Nous pouvons encore nous émerveiller devant la nature – convoquée dans ces quelques pages à travers les symboliques lucioles – et qui bien que meurtrie, ne peut que forcer notre admiration. Mais il ne faut pas se mentir quant à la portée et l’efficacité de ces gestes.

C’est là, dans cette « marge humaine », que la dignité dont l’essai fait vœu trouve son sens politique. En effet, l’honnêteté, celle qui enjoint de ne pas répéter les erreurs passées, est de reconnaître « qu’il est vain de prétendre changer le monde » comme nous le connaissons. Celui-ci va inévitablement changer. Il change en ce moment même. « Tenter d’en préserver la beauté, en gage de notre humanité. Avant d’avoir tout saccagé », est peut-être en revanche encore à portée de main, se trouve-t-on à espérer avec Corinne Morel Darleux. Alors que les grandes lignes de notre futur semblent déjà écrites, réinscrire notre action dans le présent, sous l’impulsion d’une nouvelle éthique dont l’impératif de conduite serait le respect de soi et celui des autres, devient alors une voie pour s’affranchir.

Corinne Morel Darleux, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Réflexions sur l’effondrement, Libertalia, 2019, 101 pp. ISBN : 9782377290956.

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