Depuis plusieurs années déjà, des voix de plus en plus nombreuses plaident en faveur de l’adoption de pratiques agricoles moins énergivores et avec une incidence moins élevée sur l’environnement. Un défi de plus en plus urgent alors qu’une crise énergétique majeure risque de frapper le monde dans les années à venir, emportant avec elle notre capacité à nous alimenter. Pendant un an, avec Les défis d’une autre agriculture, « Arte » a suivi agriculteurs, scientifiques et politiques qui s’engagent sur ce terrain. Une enquête éclairante réalisée par Tatjana Mischke et Caroline Nokel.
Le modèle agricole fondé sur le déstockage massif des fossiles chavire, mais continue tant bien que mal sa course folle à l’image de notre société carbonée tout entière. L’intensification des pratiques participe à la dégradation généralisée de l’environnement et des écosystèmes par l’aridification des sols, la perte de biodiversité et la dispersion de pollutions considérables. Mais ce n’est pas la seule inquiétude des spécialistes, qui pointent désormais le risque d’une crise alimentaire mondiale à venir qui pourrait être provoquée par une chute de la productivité ainsi qu’une hausse des prix de l’énergie.
Depuis la ferme du Bec Hellouin jusqu’à des agriculteurs qui ont pris la lourde décision de se convertir à une production biologique, les équipes d’Arte nous entraînent sur le chemin d’une transition agricole qui s’imposera dans les années à venir, de gré ou de force. Sans éluder les difficultés que pose une telle transition, les réalisatrices, Tatjana Mischke et Caroline Nokel, mettent en lumière la nécessité d’organiser ce changement de manière collective, en faisant collaborer paysans, scientifiques politique et la société dans son ensemble.
Le combat se mène non seulement dans les champs, mais aussi dans les laboratoires de recherche ainsi qu’au cœur des institutions politiques. Mais tous ces acteurs font face à l’inertie des structures sociales, ainsi qu’au paradoxe d’une société qui fait des questions environnementales l’une des principales préoccupations de notre temps, mais qui n’entend pas payer plus cher pour une production plus responsable, donc plus locale et mesurée. Par ailleurs, comme le soulignent les experts qui interviennent dans l’enquête, les bouleversements des écosystèmes provoqués par l’usage des produits de synthèse entraînent les exploitants dans un cercle vicieux qui les poussent à accroître les épandages d’année en année pour soutenir leur productivité. Dans un contexte où les conditions climatiques deviennent défavorables, changer de route sera particulièrement complexe, bien qu’absolument nécessaire.
Car le constat s’impose : le maintien des prix alimentaires à des niveaux relativement bas se fait aux dépens d’une externalisation des coûts. C’est à dire, pour les profanes, faire porter le réel coût d’une production sur un autre élément extérieur : la nature, l’humain, les animaux,… Pourtant, si l’on devait intégrer aux prix des produits « conventionnels » les coûts environnementaux de leur production, ils seraient aujourd’hui plus chers que les produits « bio » ! Ainsi, l’application de méthodes industrielles permet de faire des économies d’échelle, mais intensifie les pressions sur l’environnement. Ce modèle productiviste fonctionne tant que les prix des énergies restent bas, mais se transforme en épée de Damoclès dans un avenir incertain. Le paradoxe, c’est que personne n’arrive vraiment à vivre de son travail dans le secteur. Ceux qui choisissent un modèle plus durable peinent à faire concurrence, alors que ceux qui choisissent un modèle intensif croulent sous les investissements pour maintenir une production élevée.
Certaines expériences, comme celles du Bec-Hellouin, ouvrent les portes à un nouveau modèle. Dans cette ferme de Normandie exploitée par deux néo-paysans, on travaille sans mécanisation et sans intrants : et pourtant l’exploitation arrive à faire des bénéfices sur une surface réduite grâce à l’association de cultures. Mais la transition agricole ne se fera pas sans un tournant à l’échelle de la société : les agriculteurs ne pourront assumer cet effort sans soutien collectif. Ainsi, de nombreuses associations, comme Pour une autre PAC, défendent la mise en place de mesures politiques favorables aux exploitations qui limitent leur incidence sur l’environnement. L’une des solutions serait de revoir la Politique agricole commune (PAC), pour cesser de subventionner les exploitations en fonction de leurs surfaces, mais bien au regard de leurs pratiques (durables ou non). Dans le même temps, il sera certainement nécessaire de repenser les circuits de production à l’échelle territoriale tout en inventant de nouvelles formes de solidarité, comme le montre l’exemple des AMAP. Un autre aspect du problème est de repenser l’équilibre de nos assiettes, notamment en réduisant la part de viande dans l’alimentation quotidienne.
Résumé Arte : « S’il a eu le mérite d’assurer la sécurité alimentaire et de faire chuter les prix des denrées, le système agro-industriel, fruit d’une révolution engagée au cours du XXe siècle, semble aujourd’hui à bout de souffle. Infertilité croissante des sols, pollution des eaux aux nitrates, maladies liées aux pesticides, disparition des insectes et d’innombrables espèces animales… Pour les défenseurs de l’environnement et pour la communauté scientifique – mais aussi pour une bonne partie du monde paysan –, il est urgent de changer de cap pour sortir de l’impasse, en s’engageant pour une agriculture durable et respectueuse de l’environnement. Mais par quels moyens ? Un passage au « tout-biologique » est-il possible ? Faut-il réformer les règles de l’agriculture conventionnelle ? Quel avenir pour la permaculture, modèle écologique au rendement remarquable ? Les réalisateurs de ce documentaire ont accompagné une année durant des paysans en quête de solutions alternatives en France et en Allemagne, pour tenter de répondre à ces questions essentielles. Les défis d’une autre agriculture aborde également le rôle capital du politique et de l’Union européenne en particulier – sans oublier les comportements des consommateurs – dans ce changement de paradigme. »
Pour voir le reportage en entier, c’est par ici.
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