Votée le 6 avril dernier, la loi française visant à pénaliser les individus ayant recours aux services de prostituées est depuis longtemps dénoncée par les associations et syndicats de travailleur.ses du sexe. Aujourd’hui en application, ses conséquences commencent à se faire visibles, portant préjudice à la population déjà très vulnérable des prostitué.es français.es. Retour sur une mesure controversée et ses effets néfastes sur les individus.
Du danger de la dissimulation
La situation entrevue par le STRASS (Syndicat du Travail du Sexe) et ses partisans est en train de se réaliser, six mois après la promulgation de la loi visant à pénaliser les clients de la prostitution. Désormais, les clients encourent des amendes allant de 1 500 € à 3 750 € pour une récidive. La loi, qui vise directement à exercer une répression sur la prostitution au travers de la demande qui émane des clients, a d’ores et déjà des conséquences considérables sur les conditions de travail des prostitué.es. Pourquoi ?
Alors que la loi contre le racolage avait déjà renvoyé les travailleur.ses du sexe (TdS) à la périphérie des grandes villes — notamment aux abords du Bois de Boulogne pour ce qui est de la capitale —, ceux-ci sont aujourd’hui une fois de plus contraints d’exercer leur activité dans la clandestinité. Si le racolage a été aboli par la nouvelle loi, il s’agit cette fois pour les travailleur.ses d’échapper à la répression policière qui pourrait toucher leurs clients. On assiste donc à une tentative de dissimulation motivée par la crainte du client de se faire attraper, et qui pousse une nouvelle fois les TdS à se cacher dans des endroits toujours plus isolés où toutes les dérives inimaginables se déroulent sans témoins. L’éloignement des structures d’accueil, de soins, et de dépistage est également un problème majeur a cette tentative de camoufler la prostitution sans considérer une approche holistique.
Photographie : Le Matou / lechatquifouine.wordpress.com
Des travailleur.ses du sexe en situation précaire
Si les risques d’abus de la part des clients et l’isolement des prostitué.es sont encore une fois augmentés par la mise en application d’une loi qui se voudrait abolitionniste, la précarité des TdS est elle aussi démultipliée. En mars 2015, une étude menée auprès de 500 travailleur.ses du sexe montrait déjà l’opposition de cette catégorie — la première concernée — à une loi visant à pénaliser les clients. À cette époque déjà, une montée des violences et une fragilisation de la profession justifiaient la quasi-unanimité de cet avis. Le port du préservatif, également, est de plus en plus difficile à faire accepter à des clients à qui la prise de risque envers la loi offre les pleins pouvoirs.
Et en effet, les premiers témoignages et enquêtes de terrain qui font suite à la mise en place de la loi française vont dans le sens d’une précarisation accrue des TdS. Interrogée par L’Express, une prostituée raconte le quotidien de plus en plus difficile de ses collègues. Violences de la part de clients « qui n’ont rien à perdre », diminution drastique du prix de la passe pour attirer un chaland qui se fait de plus en plus rare, prestations de plus en plus difficiles à refuser… On assiste à un durcissement du rapport de force entre client et prostitué.e qui découle directement de la forte diminution de la demande engendrée par la loi, et d’un changement dans le caractère des individus de qui elle émane.
Un modèle nordique qui n’a pas fait ses preuves
Au cœur des revendications du STRASS et des détracteurs de la loi, il y a aussi le fait que le modèle de répression mis en place a déjà été testé en Suède, sans succès avéré. Promulguée en 1999, la loi suédoise « n’a pas réduit le trafic ou le travail lié au sexe, mais a augmenté la vulnérabilité des travailleuses du sexe à la violence, a nui aux réponses au VIH et a empiété sur les droits des travailleuses du sexe », comme le conclut un rapport de la Global Alliance Against Traffic in Women sorti en 2013 et publié par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Cette loi, qui visait à réduire la pratique de la prostitution en punissant la demande, est en fait une véritable catastrophe pour les individus qui se positionnent du côté de l’offre, et qui sont les plus vulnérables. Les travailleur.ses du sexe ont vu leur pouvoir de négociation diminuer, et se sont vues en conséquence infliger des pratiques qu’elles auraient refusées dans un autre contexte.
Enfin, si la loi française s’accompagne d’une mesure d’accompagnement dans « la sortie de la prostitution », celle-ci ne semble pas encore avoir fait ses preuves dans la proposition de solutions efficaces qui permettraient à ces personnes de s’orienter vers un autre parcours de vie. En parallèle, en septembre, on comptait un peu moins de 250 verbalisations, un chiffre bien mince par rapport aux 40 000 TdS estimés présents sur le territoire, mais suffisant pour dissuader des clients de plus en plus frileux. Comme souvent, la position réactionnaire et punitive, motivée par le jugement moral, n’arrive pas à atteindre sa cible, pire, elle menace l’intégrité des personnes qui subissent la prostitution ou en font le choix, sans questionner le rôle des réseaux
Sources : Lexpress.fr / Contrepoints.org / Strass-syndicat.org / Gaatw.org