La poupée Barbie, c’est ce jouet iconique avec lequel plusieurs générations d’enfants se sont amusées. Mais derrière le jeu, dans les usines chinoises responsables de la fabrication de la célèbre poupée, ce sont des ouvrières qui sont traitées comme telle par leurs collègues et leurs supérieurs dans l’indifférence des responsables et de Mattel. L’association ActionAid a dressé un constat alarmant du harcèlement sexuel systémique qui sévit en toute impunité dans ces usines et a lancé une pétition pour le faire définitivement cesser.
ActionAid est une ONG à but non lucratif qui vient en aide aux femmes et hommes de tous pays dans la lutte pour leurs droits humains. Quatre axes principaux forment la priorité de leurs actions : la souveraineté alimentaire pour combattre la faim dans le monde, le contrôle des engagements éthiques des entreprises, le droit à un salaire décent et enfin, celui qui est plus particulièrement concerné ici, le respect du droit des femmes.
Et le respect des femmes ne serait pas une préoccupation pour les usines fabricant la Barbie de la marque Mattel. En effet, d’après la récente enquête de l’association, les femmes employées semblent être confondues avec la poupée par leurs collègues et supérieurs masculins. La question ne paraît pas préoccuper Mattel qui met pourtant en avant des positions féministes. La multinationale est d’ailleurs dans le collimateur d’ActionAid qui dénonce les conditions de production de ses jouets depuis une vingtaine d’années.
« Mattel vend son produit-phare, la poupée Barbie, à grands renforts de slogans féministes. Mais dans les usines où nous avons enquêté, les femmes produisent les poupées Barbie dans la crainte d’être humiliées ou harcelées. La multinationale ne semble rien faire pour mettre un terme au harcèlement sexuel qui règne dans ses usines ». ActionAid
En 2019, l’association avait déjà recueilli des témoignages accablants dans une usine chinoise de Mattel. Il en ressortait que quatre employées sur dix avaient déclaré avoir subi des actes ou des paroles relevant du harcèlement sexuel. Avec 40%, on peut parler d’harcèlement systémique. En guise de réponse à ces révélations, Mattel avait pourtant conclu à l’absence de « violation des critères d’octroi de son label » après un audit de seulement deux jours dans l’usine en question. Circulez, il n’y a rien à voir…
Cette absence de réaction a décidé ActionAid d’enquêter cet été dans une autre usine Mattel avec le concours de l’association l’Observatoire du Travail en Chine et de l’ONG Solidar Suisse. En seulement quelques semaines d’infiltration, les trois associations ont remarqué de nombreux autres cas de harcèlement sexuel : les ouvrières subissent des remarques déplacées sur leur physique, des propos à connotation sexuelle, des attouchements et des photos dégradantes ont été diffusées sur le groupe de discussion Wechat (normalement réservé à un usage professionnel interne).
Les femmes représentent 70% en moyenne de la main d’œuvre dans les usines chinoises. Une majorité qui s’explique par la croyance qu’elles sont « plus travailleuses et plus dociles que les hommes » dans l’industrie. Mais depuis une dizaine d’années, l’embauche d’hommes augmente. Les raisons en sont économiques et la conséquence d’un important déséquilibre démographique dans le pays producteur : on compte 34 millions d’hommes de plus que de femmes en Chine où la naissance d’un garçon est culturellement préférée, ce qui a entraîné des avortements sélectifs durant des décennies. Une évolution qui a peu à peu conduit à un changement de l’ambiance de travail au sein des usines. Par ailleurs, les hommes ont toujours davantage accès à des postes à responsabilité, ce qui leur donne encore plus de pouvoir sur les travailleurs, en grande majorité des femmes.
« La proportion d’hommes augmente sur les chaînes de production, ce qui modifie beaucoup l’ambiance de travail et rend plus aigu un problème encore tabou : celui des violences sexistes et sexuelles. » ActionAid
Une ouvrière témoigne ainsi : « Un collègue me harcèle dans l’atelier. Il m’appelle chérie, s’assoit à mon poste de travail et quand je me plains, dis que je n’ai qu’à m’asseoir sur ses genoux. Il a expliqué aux autres qu’il faisait ça pour m’exciter. Je l’ai bloqué sur Wechat (équivalent chinois de l’application Whatsapp) et il a menacé de me frapper si je le débloquais pas. J’ai peur. Personne ne réagit. »
Témoins de ces faits, les responsables d’équipe – des hommes – ne réagissent pas, de même que la direction, confortant ainsi un sentiment d’impunité chez les agresseurs. Seules face à eux, on ne s’étonnera pas que les femmes ne se sentent plus en sécurité et redoutent d’être agressées sexuellement au sein même de l’usine. Enfin, les victimes n’osent pas se plaindre, par crainte compréhensible de perdre leur emploi.
Une situation inacceptable pour les trois associations qui demandent publiquement à Mattel de prendre des mesures pour que les coupables de harcèlement sexuel soient sanctionnés et les victimes protégées. Elles demandent également à ce que les responsables d’équipe soient formés à détecter les abus et ainsi assurer des conditions de travail respectueuses de la santé et de la sécurité de tous les employés.
Une pétition a été mise en ligne pour mettre définitivement fin au harcèlement sexuel présent dans les usines chinoises Mattel en interpellant directement le directeur de Mattel France, le PDG de Mattel et la vice-présidente en charge de la gouvernance de la chaîne d’approvisionnement. Pour la signer, il suffit de suivre ce lien.
Le rapport d’enquête complet est disponible sur le site d’ActionAid qui publie son actualité sur ses comptes facebook et instagram.
S. Barret
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