Avez-vous une idée du coût humain qui se cache derrière les émissions de carbone générées chaque année par chacun d’entre nous ? C’est la question que s’est posée Daniel Bresseler, chercheur au Earth Institute à l’Université de Columbia (Etats-Unis). Dans cette nouvelle étude publiée dans la revue scientifique Nature Communications, ce scientifique révèle que le mode de vie d’environ trois Américains moyen génère suffisamment de gaz à effet de serre pour tuer une personne dans le monde. La recherche, qui s’appuie sur plusieurs rapports de santé publique et d’autres études scientifiques préexistantes, conclut ainsi qu’un décès supplémentaire serait provoqué d’ici 2100 toutes les 4 343 tonnes de carbone émises. « Nos travaux amènent à une échelle plus personnelle et compréhensible cette question de la production de carbone», indique l’auteur de l’étude qui se dit lui-même surpris par ces résultats. Cette étude confirme un changement de paradigme important : alors qu’il a longtemps été simplement perçu comme un enjeu environnemental, le changement climatique s’impose aujourd’hui incontestablement comme un réel enjeu sanitaire.
L’étude, publiée dans Nature Communications le 29 juillet dernier, met encore une fois en avant les vastes disparités existantes entre les émissions générées par la consommation humaine dans les différents pays du globe. Ainsi, alors qu’il faut 3,5 Américains pour engendrer assez d’émissions pour tuer une personne, il faudrait 25 Brésiliens ou 146 Nigérians pour obtenir le même résultat. Un habitant d’Arabie saoudite va quant à lui engendrer indirectement la mort de 0,33 personne de par ses émissions, trois fois plus qu’un Anglais (0,11 personne) et dix fois plus qu’un Indien (0,03 personne).
Chaque fois que 4434 tonnes de carbone seront émises, une personne de plus mourra d’ici 2100
Au total, ce sont 83 millions de morts additionnelles qui seront de mises entre 2020 et 2100 à cause du réchauffement induit par toutes ces émissions, et elles auront lieu principalement et paradoxalement dans les pays les moins pollueurs. C’est en tout cas ce que déplore l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « ce sont les régions qui ont le moins contribué au réchauffement climatique qui sont les plus vulnérables aux maladies causées par la hausse des températures et qui risquent de voir le nombre de décès augmenter. Les côtes qui bordent l’Océan Pacifique, l’océan Indien et l’Afrique subsaharienne sont les plus menacées par les effets du réchauffement climatique ».
Depuis quelques années maintenant, les scientifiques prennent en effet conscience de la menace que représente le bouleversement climatique sur la santé humaine. En 2009 déjà, une étude publiée dans The Lancet qualifiait le changement climatique comme « la plus grosse menace sur la santé mondiale du XXIe siècle ». Depuis, le GIEC prévoit, entre autres conséquences, une augmentation des maladies infectieuses avec le réchauffement climatique, et ce sont les populations vivant dans les régions tropicales qui seront le plus durement touchées. En Afrique par exemple, la hausse des températures favorise déjà la prolifération de moustiques et les populations sont davantage exposées à des maladies comme le paludisme, la dengue et d’autres infections transmises par ces insectes.
Le changement climatique, un enjeu sanitaire primordial
Mais d’autres phénomènes peuvent avoir des répercussions graves sur la santé humaine, notamment sur les populations les plus vulnérables comme les personnes âgées ou les jeunes enfants. C’est notamment le cas des périodes prolongées de températures anormalement élevées, appelées plus simplement « vagues de chaleur » qui sévissent de plus en plus chaque été. « D’ici la fin du siècle, le changement climatique entraînera la mort de 4,6 millions de personnes par an, soit plus que la pollution (3,4 millions) et pratiquement autant que l’obésité (4,7 millions) », avertit ainsi Daniel Bressler.
Pour l’auteur du rapport, il est urgent d’agir. Et c’est pour prendre en considération toute la mesure du phénomène qu’il a voulu créer un nouvel indicateur permettant de calculer l’équivalent en morts des émissions carbone générées par nos modes de vie individuels et collectifs. Si le coût social du carbone (CSC) – qui mesure la valeur monétaire des dommages causés par chaque tonne de dioxyde de carbone émise – a déjà fait l’objet de nombreuses études, le chercheur voulait dépasser le caractère avant tout financier d’une telle démarche. En rassemblant trois études globales de santé publique, il a ainsi démontré qu’un réchauffement de 4,1 °C au-dessus des niveaux pré-industriels (ce qui risque de se produire en 2100 si l’on suit la tendance actuelle des émissions) induira une mortalité équivalente à 2,26 x 10-4 personnes par tonne de CO2 émise, soit une mort additionnelle chaque 4.434 tonnes de carbone rejetées dans l’atmosphère.
Un nombre significatif de vies peuvent être sauvées
Sur une note plus positive, « cela signifie (aussi) que la réduction des émissions d’un million de tonnes de CO2 en 2020 a permis de préserver 226 vies humaines, assure Daniel Bressler dans les pages de Futura Sciences. Éliminer les émissions d’une centrale à charbon moyenne américaine permettrait ainsi de sauver 904 vies d’ici 2100 », illustre encore le chercheur.
Toujours selon l’auteur du rapport, le nombre de morts prévu n’est pas définitif et pourrait très bien être « largement sous-estimé », car seuls sont pris en compte les décès liés à l’augmentation de la température et notamment des vagues de chaleur, sans considérer ceux dus aux inondations, aux tempêtes, aux mauvaises récoltes ou à tout autre conséquence du changement climatique. L’OMS rapporte ainsi plus globalement que le changement climatique est responsable d’au moins 150 000 décès par an, chiffre qui devrait doubler d’ici à 2030. Optimiste, le chercheur affirme pourtant qu’« il y a un nombre significatif de vies qui peuvent être sauvées si on encourage des politiques climatiques plus agressives que le scénario habituel », même s’il assure avoir lui-même été surpris par l’importance du nombre de décès, « qui pourrait être plus faible mais aussi beaucoup plus élevé ».
Une prise de conscience individuelle pour des actions globales et collectives
Même si l’étude se penche sur les émissions causées par l’activité individuelle, Daniel Bressler réaffirme l’importance de se concentrer sur les démarches ayant un impact sur les entreprises et les gouvernements qui influencent la pollution carbone à une échelle plus globale et collective. En effet, s’il est essentiel que chaque individu prenne conscience de son impact sur le monde et les autre personnes qui l’entourent, que celui soit positif ou négatif, il est surtout primordial que des changements globaux et systémiques soient entrepris par les secteurs de la société les plus polluants. Pour cela, il est nécessaire qu’une action politique et privée ambitieuse des acteurs concernées soit rapidement mise en place, comme le préconise encore très récemment les experts du GIEC dans leur dernier rapport.
L.A.