Le versement du RSA, allocation largement insuffisante pour vivre dignement, peut désormais être conditionné à un travail « bénévole », selon le Conseil d’État. La mesure controversée, lancée en 2016 dans le Haut-Rhin avant d’être annulée dans un premier temps par la justice administrative, pourrait désormais être adoptée par certains départements. Pourtant, soumettre le versement du RSA à la réalisation de bénévolat obligatoire, c’est non seulement compromettre le principe de solidarité nationale, c’est aussi aller à l’encontre du cœur même du volontariat, c’est-à-dire d’être une activité librement choisie.

Une attaque peut en cacher une autre. Après le coup de communication d’Emmanuel Macron sur les prestations sociales qui coûteraient « un pognon de dingue« , éternelle litanie politique des 30 dernières années, c’est le Conseil d’État en personne qui accentue la pression sur les personnes les plus démunies, remettant en cause le droit au RSA en permettant de le soumettre à une condition plutôt inattendue.

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Un RSA sous condition

En effet, les membres du Conseil d’État ont considéré que le Département du Haut-Rhin était en droit de soumettre le versement du RSA à une contrepartie de la part des allocataires, du travail bénévole à raison de 7 heures par semaine et 30 heures par mois. Cette idée avait été initialement proposée en 2016 dans le Haut-Rhin. Le président LR du conseil général de l’époque, Eric Straumann, estimait alors que c’était une manière d’accompagner les individus vers l’emploi. Attaquée devant la justice administrative par le Préfet, la décision du conseil départemental avait été annulée. Mais le Conseil d’État vient de casser cette annulation et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Nancy. Dans le Haut-Rhin, c’est finalement une autre mesure qui a été adoptée en attendant : le bénévolat n’est pas rendu obligatoire, les allocataires y sont incités.

La décision du Conseil d’État introduit quelques garde-fous, à savoir que les actions de bénévolat devront « contribuer à une meilleure insertion professionnelle du bénéficiaire (sic) » et doivent « reste[r] compatibles avec la recherche d’un emploi ». Mais on voit mal comment tant au niveau de Pôle emploi que des associations les dérives puissent être évitées, tant ces éléments restent vagues, d’autant qu’aussi bien les salariés de ces structures sont d’ores et déjà débordés et ne pourront certainement pas proposer des parcours personnalisés en relation avec les allocataires.

Le bénévolat ne peut être qu’une décision libre et personne n’est « bénéficiaire » du RSA

Déjà en 2016, la proposition avait suscité une controverse, saluée sans étonnement par ceux qui estiment que les allocataires du RSA « profitent » de leur situation et « ne font rien pour s’en sortir » et critiquée dans le milieu associatif. L’association ATD Quart Monde avait dénoncé « une proposition inacceptable et irréaliste », estimant que la mesure conduit à « monnayer la solidarité nationale ». À cette occasion, la structure spécialisée dans l’aide aux plus démunis rappelait par ailleurs que « l’engagement est de l’ordre de la vie privée » et qu’il n’était donc pas possible d’en faire une obligation à moins de changer la nature même du bénévolat. En d’autres termes, si un département oblige un individu à travailler dans une structure sous la menace de perdre un revenu de solidarité (fruit d’une cotisation), il ne s’agit pas d’une activité volontaire et libre, mais d’un travail rendu obligatoire. L’allocataire devient un travailleur comme les autres mais sous statut précaire camouflé, ce qui, de manière insidieuse, pourrait même remettre en cause le travail des salariés des associations. Par ailleurs, les associations ont besoin de volontaires motivés par les objectifs culturels ou sociaux qu’ils portent. Sans engagement personnel fort, un tel travail forcé pourra même être contre-productif pour la cause. On rappellera le choix du gouvernement, en début de mandat, de supprimer près de 150 000 emplois subventionnés dont bénéficiaient les collectivités locales et les associations.

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Au-delà de cette décision, on constate comment les mots sont dévoyés ou utilisés pour stigmatiser les personnes les plus démunies. Depuis quelques années, il est communément admis de parler de « bénéficiaires » du RSA, comme si les personnes concernées étaient dans une situation dans laquelle elles disposeraient d’un avantage dont elle tirerait un intérêt. En avril 2018, le montant du RSA pour une personne seule était de 550,93 €. Avec cette somme dérisoire, il n’est certainement pas possible de se payer une vie de luxe ou de se prélasser au soleil comme certains osent encore le prétendre de manière insultante, y compris parmi les responsables politiques. Pour rappel, le seuil de pauvreté en France est de 1.015€ pour une personne seule, 1.523€ pour un couple sans enfant, ou une famille (2017).

Source : http://50assos-contrelexclusion.org/index.php/rsa

Parler de « bénéficiaires du RSA » n’est pas innocent. Les mots façonnant notre imaginaire, il n’est pas étonnant de voir se multiplier les accusations envers les personnes sans emploi, au motif qu’elles vivraient aux dépends de la société, profitant de la richesse des autres. De quoi justifier dans l’opinion une mise à l’activité obligatoire, largement moins payée qu’un travail sous contrat. Or, ces personnes sont tout au plus des allocataires, c’est-à-dire qu’elles perçoivent une prestation financière prévue par la loi en raison de leur situation et en vertu du principe de solidarité nationale. C’est ce même principe qui fonde l’impôt et qui veut que nous participions tous au financement du système de santé, celui des retraites ou encore à celui des écoles et universités. Ces institutions sont accessibles à tous selon des conditions non arbitraires, tout comme le RSA.

Depuis plusieurs années le martèlement contre « l’assistanat », rhétorique inlassablement répétée par Nicolas Sarkozy et qui s’est progressivement généralisée dans le débat public a conduit à ce que l’opinion soit de plus en plus encline à considérer les personnes les plus démunies comme des « profiteurs ». Quel paradoxe pourtant : ceux qui ont le plus de difficultés à s’en sortir deviennent l’ennemi public numéro un ! Dans le même temps, les politiques profitent de la pression croissante sur les travailleurs (modestes et moins modestes) avec pour effet de mettre dos à dos les différentes parties de la population. Pendant ce temps, ces différentes tranches sociales subissent les effets d’une politique d’austérité qui consiste à faire reculer les droits de l’essentiel de la population.


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