Alors que les forêts françaises subissent de plein fouet les conséquences de l’industrialisation, alimentant le mythe des forets françaises en bonne santé, la jeune association Semeurs de forêts souhaite aller à contre-courant, en reboisant des espaces de manière naturelle pour y implanter des forêts perpétuelles. Les fondateurs, Florence Massin et David Buffault, mènent actuellement une campagne de financement participatif afin d’acquérir leur premier terrain. Ils ont répondu à nos questions.

Mr Mondialisation : Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce qu’est l’association « Semeurs de Forêts » ?

Semeurs de Forêts : Nous avons créé cette association en janvier 2019. L’un des objectifs est d’acquérir des terrains en jachères, inexploités pour recréer des espaces naturels et des forêts perpétuelles. Cela faisait longtemps que nous voulions faire quelque chose pour le monde des arbres. Et c’est en découvrant la technique Miyawaki il y a un peu plus d’un an que nous avons commencé à nous demander s’il était possible de l’appliquer ici en France. En nous documentant activement, en contactant des personnes formées, nous avons recueilli énormément d’informations avant de nous dire qu’il était temps de passer à l’acte.

Nous avons plusieurs objectifs au sein de « Semeurs de Forêts » : recréer des forêts « naturelles » qui seront protégées de l’exploitation humaine, redonner des espaces à la nature, accompagner (par nos retours d’expériences et nos compétences acquises) chaque personne qui souhaiterait faire la même chose, et montrer que nous pouvons agir et que nous avons tous à notre échelle la responsabilité de notre environnement et sa préservation.

Un autre objectif, mais qui viendra par la suite, est aussi de mettre en lumière ce qui se passe dans nos forêts, car plus nous en apprenons, plus nous sommes effarés par cette industrialisation qui gouverne nos bois et que peu connaissent finalement.

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Mr Mondialisation : Pourquoi replanter des forêts en France ?

Semeurs de Forêts : Aujourd’hui, à première vue et selon les chiffres de l’IGN (Institut National de l’information géographique et forestière), on pourrait dire que la forêt en France se porte bien. La superficie forestière en métropole progresse de 0,7 % par an depuis 1980 et celle-ci couvre 16,9 millions d’hectares, soit 31 % du territoire.

Alors, pourquoi vouloir planter ? Si cela paraît réjouissant aux premiers abords, les relevés montrent aussi que 51 % des forêts dans notre pays sont de nature monospécifique et 33 % sont constituées de 2 essences. Autrement dit, 84 % de nos forêts sont formées de 2 essences ou moins. Seulement 12 % d’entre elles en contiennent 3, et 4 % en présentent 4 et plus.

Il y a aujourd’hui une politique forestière favorisant la progression des monocultures de résineux aux dépens des forêts de feuillus françaises. Les coupes rases sur certaines forêts laissent place à des « champs » de pins Douglas. Cette essence représente aujourd’hui la deuxième la plus plantée en France derrière le pin maritime, et permet une production de près de 400 000 m3 de bois par an.

Une forêt en monoculture industrielle

Cette politique n’est pas sans conséquence : ces monocultures, qui s’inspirent des modèles productivistes de l’agriculture intensive avec usage de pesticides, sont très pauvres en biodiversité. Les arbres d’une parcelle sont coupés quand ils mesurent environ 40 cm de diamètre pour laisser place à une nouvelle plantation. Ces cycles, qui tournent autour d’une quarantaine d’années (alors qu’un arbre vit parfois jusqu’à plusieurs centaines d’années) sont trop courts pour que les arbres puissent nourrir les sols, accueillir et maintenir une importante biodiversité. Sans oublier que les résineux peinent à produire de l’humus sans la complémentarité des feuillus, et que la faune comme la flore ne peuvent se développer dans le sous-couvert des plantations exclusives de résineux.

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Alors que les forêts conquièrent plus d’espace sur notre territoire, cette progression n’est que le reflet de leur forte industrialisation. On plante des champs d’arbres plutôt que des forêts, transformant ces dernières en « usines à bois ».

Actuellement, la France fait face à un défi de taille. Quatrième forêt d’Europe en espace, le pays doit importer massivement du bois chaque année. Les professionnels du secteur souhaitent doper les plantations de résineux, qui représentent aujourd’hui deux tiers des besoins industriels. La forêt s’adapte aujourd’hui aux besoins et appétits industriels toujours plus gourmands des investisseurs, entraînant un écroulement des populations animales et florales.

Mr Mondialisation : En quoi consiste la « méthode Miyawaki » dont vous souhaitez vous inspirer ?

Semeurs de Forêts : Akira Miyawaki est un botaniste japonais (et professeur émérite de l’Université Nationale de Yokohama) de 90 ans aujourd’hui, expert en biologie végétale et professeur à l’université nationale de Yokohama. Il a mis en pratique la méthode de reforestation senzai shizen shokysei, autrement dit : la végétation potentielle naturelle.

Ce processus se décline en plusieurs étapes. Une sélection est faite au sein d’une variété de plantes et arbres indigènes d’un territoire. Les graines sont ensuite plantées et mises à germer dans des pépinières. Lorsque les plants ont un ou deux ans, ils sont replantés sur des sols fertilisés en amont avec des matières naturelles (écorces, compost, fumier …).

Il s’agit ensuite de planter de nombreuses essences d’arbres et de plantes différentes pour chaque forêt créée (entre 15 et 30 essences différentes natives dans la même zone), afin de maximiser la biodiversité qui pourra s’y installer. Les essences vont de l’arbuste des bocages aux arbres de canopée pour une occupation optimale de l’espace vertical et un plus grand stockage de carbone.

La technique « Miyawaki » est une méthodologie unique qui existe depuis plus de 40 ans et a fait ses preuves dans le monde entier, quelles que soient les conditions de sol ou de climat. Plus de 3000 forêts ont déjà été créées avec succès. Les forêts plantées de cette manière sont jusqu’à 30 fois plus denses qu’une plantation classique d’arbres et 100 fois plus riches en biodiversité. Cela crée un écosystème stable et résilient. Ces forêts sont en général de petites tailles (on peut même en créer une dans un espace équivalent à 6 places de parking). Elles forment un noyau à partir duquel la forêt peut s’étendre.

La méthode permet un meilleur enracinement et donc une résistance aux conditions météorologiques extrêmes (tempêtes, sécheresses, inondations, feux, vents violents, maladies…).

Ces nouvelles « forêts vierges » se développent plus vite grâce à l’interaction entre les différents végétaux et aux synergies qu’ils développent entre eux. La croissance des arbres est estimée à environ 1 mètre par an. Elles nécessitent une intervention humaine pendant les 2 à 3 premières années pour arroser si besoin.

Elles entraînent une réduction sonore et de la poussière jusqu’à 30 fois supérieures par rapport à une forêt de culture traditionnelle. Les forêts sont indépendantes, sans maintenance, sans produits chimiques ni fertilisants artificiels, sauvages et natives, et soutiennent la biodiversité locale au bout de seulement trois ans.

Garden Canopy

Mr Mondialisation : Existe-t-il d’autres projets de ce type en Europe ?

Semeurs de Forêts : Oui, il en existe plusieurs. Nous nous sommes intéressés surtout à ceux qui étaient soit en France, soit dans les pays limitrophes. Il existe d’autres associations ou sociétés qui se sont développées autour de cette méthode, avec une orientation pour les forêts urbaines, car la technique Miyawaki permet de créer de petites forêts. Nous avons rencontré Urban Forests en Belgique, sommes en lien avec BoomForest sur l’Ile-de-France. Il existe également Mini-Big Forest du côté de Nantes et le projet Silva près d’Albi.

Mr Mondialisation : Vous tentez actuellement d’acheter une parcelle de 1,4 hectare dans l’Oise. Quand est-ce que vous pourrez lancer le projet de manière concrète ?

Semeurs de Forêts : L’achat est en cours. Il appartiendra à l’association d’ici le mois d’octobre 2019. Selon l’avancée du projet, nous espérons commencer à planter d’ici cet hiver et le printemps prochain. Nous planterons par étape sur la parcelle, car nous considérons ce premier terrain comme un terrain d’expérimentation. Nous avons beaucoup à apprendre. Il ne suffit pas de planter. Nous avons pris conscience qu’il nous fallait aussi découvrir le « langage des arbres, de la forêt ». Car la forêt est un écosystème qui possède une dynamique d’une grande richesse.

Mr Mondialisation : Combien de temps faudra-t-il attendre pour tirer un premier bilan de l’expérience ?

Semeurs de Forêts : D’ici le printemps 2021, nous commencerons à observer comment évoluent les arbres plantés, ainsi que la dynamique de la forêt. Nous avons eu la chance de voir récemment une forêt « Miyawaki » d’un an d’existence et nous avons été impressionnés par la vitalité des jeunes plants. En une année, ils avaient en majorité poussé d’un mètre et semblaient d’une grande vigueur. La nature et le monde végétal ont tant à nous apprendre. À nous d’être humbles, de prendre le temps de l’écouter et de repenser en même temps notre manière de fonctionner.

Florence Massin et David Buffault, à l’origine de « Semeurs de Forêts » en janvier 2019, vivent dans le Val-d’Oise. L’association réunit désormais une dizaine de bénévoles actifs et échange avec des groupes pour créer des initiatives similaires dans différentes régions.

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