« Vous rêvez d’être immortel ? De posséder d’incommensurables richesses et de régner en maître sur un territoire aussi vaste que les cinq continents ? Hadès, dieu des Enfers, cherche un(e) remplaçant(e). Se présenter à la porte A23 du monde des morts. » C’est par cette annonce pas comme les autres que débute la bande dessinée Sous terre, de Mathieu Burniat et Marc-André Selosse. Aux côtés d’une ado réduite à une taille minuscule, le lecteur suit ce parcours de recrutement particulier au cœur du milieu vivant et méconnu que constitue le sol. L’occasion de découvrir que ce dernier, peuplé d’acariens, de champignons, de bactéries et d’une multitude d’autres organismes, assure des fonctions vitales pour la planète.
Milieu méconnu du grand public, le sol abrite une incroyable diversité et densité d’organismes vivants. Les scientifiques estiment que plus d’un quart de la biodiversité mondiale trouverait refuge dans le sol. Plusieurs fonctions vitales pour la vie sur terre sont remplies par ces différents organismes, comme la décomposition de la matière organique, le recyclage des nutriments ou encore la structuration du sol, qui participe au maintien d’une terre plus aérée et mieux drainée. Les nombreux champignons, insectes, acariens et bactéries du sol qui assurent ces rôles ont une place centrale dans le fonctionnement des écosystèmes de la planète.
Leur présence dans le sol, signe de sa bonne santé, a donc un impact non-négligeable sur l’ensemble de l’environnement. Ces organismes sont malheureusement de plus en plus menacés par les diverses pressions humaines qui s’exercent sur ce milieu vivant. L’urbanisation et l’artificialisation croissante des sols sont parmi les facteurs qui les dégradent le plus, aux côtés des pratiques agricoles intensives qui entraînent diminution de matière organique, acidification, salinisation et rendent les sols labourés et traités plus vulnérables à l’érosion. L’utilisation massive d’engrais chimiques contribue également à perturber la vie du sol, et le dérèglement climatique achève de faire de cette ressource naturelle peu renouvelable une ressource en voie de dégradation globale.
Un auteur et un conseiller scientifique
Mieux faire connaître la composition du sol et les nombreux services écosystémiques que rendent les organismes qui y vivent, c’est l’objectif de la bande dessinée Sous terre, publiée aux éditions Dargaud. Un ouvrage signé Mathieu Burniat, auteur de récits didactiques et de vulgarisation scientifique (Le Mystère du monde quantique, Une mémoire de roi…) mais également de fictions qui reflètent ses intérêts pour la nature et la gastronomie (La Passion de Dodin-Bouffant, Trap…).
Pour cette publication, il a pu compter sur les conseils scientifiques de Marc-André Selosse, auteur de L’Origine du Monde, qui s’intéresse dans ses travaux aux associations à bénéfices mutuels, et notamment aux symbioses mycorhiziennes unissant des champignons du sol aux racines des plantes. Président de la Fédération BioGée et membre de l’Académie d’agriculture de France, Marc-André Selosse est également professeur aux universités de Gdansk et de Kunming ainsi qu’au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. C’est d’ailleurs en partenariat avec cette institution, qui se consacre depuis près de quatre siècles à la diversité géologique, biologique et culturelle ainsi qu’aux relations entre la nature et les sociétés humaines, que Sous Terre est publiée.
La préservation du sol, un enjeu fondamental
Pour Marc-André Selosse, la préservation du sol est un enjeu fondamental : « le sol, c’est tout notre monde ! Il contribue à réguler le climat – ou à le déréguler, si nous l’utilisons mal. (…) Il régule aussi le cycle de l’eau, laquelle gagne à son contact des éléments minéraux qui s’en vont nourrir les lacs et les mers. Il nourrit les animaux terrestres, y compris les êtres humains, car nous consommons des plantes qui y poussent ou des animaux qui les ont mangées. » Convaincu lui aussi de l’importance de préserver ce milieu vivant, Mathieu Burniat s’est donc plongé dans la réalisation d’une bande dessinée à ce sujet.
S’appuyant sur la mythologie grecque pour expliquer ce qu’il se passe sous nos pieds et pour « humaniser » le sol, l’auteur nous raconte l’histoire de Suzanne, une ado qui a répondu à la petite annonce pas comme les autres d’Hadès pour espérer retrouver un être cher. Réduite à une taille minuscule, elle va franchir les étapes du parcours de recrutement imaginé par le Dieu des enfers aux côtés d’autres candidats, et découvrir ainsi le monde passionnant du sol. Cette visite guidée pédagogique et humoristique permet au lecteur, jeune ou moins jeune, de comprendre la diversité des organismes du sols et l’impact des activités humaines sur celui-ci.
Un message optimiste
Pour réussir à dessiner l’infiniment petit, Mathieu Burniat s’est inspiré de divers ouvrages, et de nombreuses photos qui détaillent ces organismes microscopiques. « Mais, par souci de clarté, mon dessin n’est pas toujours réaliste, admet-il. Par ailleurs, les êtres du sol se côtoient à des échelles très différentes ! J’ai donc fait en sorte que les personnages grandissent ou rapetissent en fonction des épreuves qu’ils traversent. Ils sont réduits tantôt à la taille d’un acarien, tantôt à celle d’une bactérie… ».
Ces personnages sont confrontés à bien des dangers au cours du récit. Pour Mathieu Burniat, c’était une manière de montrer les menaces qui pèsent sur la vie sous terre : « comme les êtres humains traitent parfois mal le sol, les personnages vont subir ce qu’ils ont engendré… Et je voulais, pour préserver le sel de l’aventure, que les héros soient confrontés à des enjeux vitaux. » Mais comme l’explique Marc-André Selosse, « l’album montre aussi qu’il existe des coopérations entre les concurrents, par exemple entre les champignons et les racines des plantes. Les interactions ne sont pas toujours négatives, et de là naît l’espoir. » La bande dessinée transmet en effet aussi un message optimiste, appelant le lecteur à s’intéresser davantage à la biodiversité exceptionnelle de ce milieu méconnu qu’il convient aujourd’hui de préserver d’urgence.
Raphaël D.