Le projet titanesque de ressusciter des géants du passé grâce au génie génétique pourrait ne bientôt plus relever de la science-fiction. La start-up américaine Colossal Biosciences a récemment présenté son ambitieux projet de réintroduction des mammouths laineux dans le paysage glacial de la toundra sibérienne. Avec ses 15 millions de dollars de fonds initiaux, l’entreprise propose d’utiliser la technologie d’édition de gènes CRISPR pour modifier des embryons d’éléphants d’Asie afin que leurs génomes s’apparentent à ceux de leur lointain cousin préhistorique. À terme, Colossal souhaite que ces éléphant-mammouth hybrides, ou « mammophants », occupent la niche écologique que les mammouths laineux occupaient autrefois, et ainsi, lutter contre les effets du changement climatique en restaurant des écosystèmes disparus. Nouvelle folie humaine ou réelle avancée technologique ? On fait le point.

Sous la direction de George Chruch, Professeur à Harvard et au Maussachussetts Institute of Technology (MIT) et pionner du séquençage génétique, l’entreprise américaine ambitionne de réintroduire des troupeaux de mammouths laineux dans la toundra sibérienne. Colossal défend la thèse selon laquelle une fois ressuscitée, l’espèce pourra jouer un rôle dans la lutte contre le changement climatique.

« Nous travaillons à ramener à la vie des espèces qui ont laissé un vide écologique en s’éteignant. Afin d’assurer la conservation et la préservation des espèces menacées, nous identifions les espèces qui peuvent recevoir un nouvel ensemble d’outils de leurs parents disparus pour survivre dans de nouveaux environnements qui en ont désespérément besoin »[1], a déclaré l’entreprise.

Grâce aux fragments d’ADN trouvés dans les fossiles, Colossal estime être en mesure d’introduire dans l’ADN d’éléphants d’Asie, les génomes du mammouth qui comprenaient les caractéristiques nécessaires à la survie de l’espèce en milieu arctique. L’entreprise espère voir naître le premier embryon hybride dans six ans. Toutefois, avec une estimation de plus d’un million de mutations génétiques individuelles séparant les mammouths laineux des éléphants d’Asie, ce projet pourrait rencontrer de nombreuses difficultés, et soulève déjà des questions quant à la réelle plus-value écologique que cette réintroduction pourrait apporter.

Squelette de mammouth exposé au musée d’anthropologie à Monaco – Flickr

La méthode du ciseau génétique

Conservés dans le permafrost pendant des milliers d’années, l’ADN retrouvée dans les fossiles de mammouths est souvent endommagée en raison de la longue période de congélation. À ce jour, bien que des scientifiques aient pu déchiffrer un certain nombre de gènes de l’espèce disparue, la chaîne génétique complète d’un individu tel qu’il existait n’a pas encore pu être reconstituée. Dès lors, ne pouvant cloner des mammouths à partir de spécimens congelés, Colossal propose d’utiliser la technologie d’édition de gènes CRISPR, ou méthode du ciseau génétique, pour ramener ces géants à la vie.

Avec l’aide de cette méthode, George Church souhaite insérer dans l’ADN de l’éléphant d’Asie, plus proche parent génétique du mammouth, des gènes qui permettront à cette nouvelle espèce hybride d’évoluer dans les régions autrefois peuplées par l’espèce aujourd’hui éteinte. Ainsi, en intégrant des gènes du mammouth, tels que la fourrure, un crâne ovale, de petites oreilles et une épaisse couche de graisse sous-cutanée, dans l’ADN de l’éléphant d’Asie, l’entreprise ambitionne de créer une version hybride de ces deux espèces, le mammophant, qui serait capable de résister aux conditions polaires arctiques. Encore faut-il que seuls ces gènes aient été indispensables à la survie de l’espèce.[2]

L’éléphant d’Asie partage 96.8% de mêmes gènes avec ceux du mammouths – Flickr

Par ailleurs, l’entreprise fera face à un autre obstacle de taille. Une fois le génome modifié, il faudra encore trouver un hôte dans lequel l’embryon pourra se développer. La question d’une mère porteuse éléphante soulève d’importantes questions éthiques, quant à son bien-être et aux conditions nécessaires pour porter à terme une espèce d’éléphant génétiquement modifiée. Ainsi, afin de ne pas mettre une éléphante en danger, Church a annoncé qu’il travaillait sur le développement d’un utérus artificiel pour assurer la gestation des embryons.

Restauration de la toundra du Pléistocène

L’objectif principal de Colossal est de reconstituer l’écosystème des steppes sibériennes et nord-américaines d’il y a environ douze mille ans. Après la disparation des mammouths, les prairies arctiques, qui autrefois dominaient la région, ont peu à peu été remplacées par de vastes étendues de mousses et arbustes. Leur feuillage épais couplé d’une importante couche de neige, et la déstabilisation des sols due à leurs racines, a ainsi participé à la fonte du permafrost, aujourd’hui exacerbée par les effets du réchauffement climatique. En théorie, la réintroduction de troupeaux de mammouths dans la toundra pourrait contribuer à ralentir ce processus, en abattant les arbres, en raclant les couches de neige et permettre à l’air froid d’atteindre le sol et maintenir le pergélisol, et en laissant des excréments qui fertiliseraient ces nouvelles praires arctiques[3].

L’entreprise affirme que « la réintroduction du mammouth laineux en Arctique permettra de restaurer cet écosystème dégradé, en le rendant plus riche, de manière semblable à la toundra qui existait il y a encore dix mille ans »[4].

Toutefois, certains scientifiques doutent du réel impact écologique de l’introduction du mammophant dans les steppes arctiques, et mettent en garde contre le manque de preuves scientifiques concernant l’impact que les piétinements d’un grand nombre de mammouths pourraient avoir sur le changement climatique. Dans le Pléistocène, il y avait jusqu’à 200 millions de mammouths qui foulaient les terres de la toundra. Il est peu probable qu’une telle réintroduction puisse être réalisée à grande échelle et dans les délais requis pour assurer la sauvegarde du permafrost.

Toundra

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Comme le rappelle Jospeh Frederickson, paléontologue et directeur du musée Weis Earth Science, « Il y a une nouvelle normalité en Arctique qui existe depuis des milliers d’années et qui s’est adaptée au climat qui change continuellement. Ramener une espèce hybride qui aurait toutes les caractéristiques pour prospérer au Pléistocène ne signifie pas qu’elle puisse nécessairement survivre aujourd’hui ». Il précise « qu’il avait des plantes et animaux qui vivaient aux côtés des mammouths et participaient intégralement au maintien de ces écosystèmes »[5]. Malheureusement, ramener les mammouths ne ramènera pas ces espèces disparues ou menacées, essentielles pour le développement de la toundra telle qu’elle existait il y a plusieurs milliers d’années.

Au contraire, le ralentissement de la fonte du permafrost et la préservation des écosystèmes polaires ne peuvent être atteints que par la diminution drastique de nos activités polluantes et l’arrêt de l’exploitation des ressources naturelles en région arctique.

 

La dé-extinction : un concept controversé

Ce projet soulève de nombreuses questions éthiques. Les mammouths ne sont pas de simples machines biologiques constituées d’un ensemble de codes génétiques. Il existait au sein de l’espèce des systèmes sociaux et biologiques complexes qui leur permettaient d’interagir avec leurs congénères et d’autres espèces, ainsi que d’évoluer au sein de leur habitat d’origine. Le développement des jeunes mammouths dépendaient intrinsèquement des enseignements, de la culture et des connaissances de leurs aînés. Les premières générations de mammophants n’auront pas de modèles et parents pour les guider et leur enseigner les pratiques essentielles à leur survie.

Par ailleurs, rien indique que la réintroduction d’une espèce éteinte, dont les niches écologiques se sont considérablement modifiées, ne perturbe pas les écosystèmes existants.

Certains scientifiques questionnent la pertinence d’un tel projet alors que de nombreuses espèces existantes sont gravement menacées et proches de l’extinction. Même si la dé-extinction du mammouth laineux s’avère être une réussite, le programme de réintroduction de cette espèce pourrait constituer un gaspillage de ressources financières qui auraient pu être consacrées à des projets plus prometteurs qui visent à sauvegarder des espèces existantes de l’extinction. « Il ne sera jamais possible de créer une espèce hybrides identique à 100% au mammouth laineux. Dès lors, pourquoi ne pas utiliser cette technologie non pas pour ramener les mammouths à la vie mais pour sauver les éléphants ? »[6], se questionne Beth Shapiro, paléontologue à l’Université de Californie.

Plus alarmant encore, ce procédé s’apparente une nouvelle fois à un exercice de dominance de l’Homme sur le reste de la nature. Une fois la dé-extinction devenue possible, comment évaluerons nous la nécessité de protéger les espèces existantes contre l’extinction ? Comment continuerons-nous de les traiter ? En profiterons-nous pour continuer de les chasser, les expulser ou les consommer ? Nous soucierons nous encore de prévenir leurs extinctions si elles peuvent être inversées ultérieurement ? Au lieu de revêtir notre costume du Créateur, il serait incontestablement plus judicieux de repenser notre place de façon respectueuse et intégrante aux restes des communautés de vie, et agir rapidement pour assurer la sauvegarde de ces communautés existantes, dont nous faisons partie.

W.D.

 

[1] Neuman, S., “Scientists say they could bring back woolly mammoths. But maybe they shouldn’t” in NPR, 15 septembre 2021, disponible sur: https://www.npr.org/2021/09/14/1036884561/dna-resurrection-jurassic-park-woolly-mammoth?t=1632914672694&t=1633086010073

[2] BBC News., « Changement climatique : ces scientifiques qui veulent « ressusciter » les mammouths pour sauver la planète », 27 septembre 2021, disponible sur : https://www.bbc.com/afrique/monde-58665347

[3] Bradley, J., “My sci-fi novel about recreating an extinct species is becoming a reality – but even if we can, should we?” in The Guardian, 21 septembre 2021, disponible sur: https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/sep/22/my-sci-fi-novel-about-recreating-an-extinct-species-is-becoming-a-reality-but-even-if-we-can-should-we

[4] Ibid., https://www.npr.org/2021/09/14/1036884561/dna-resurrection-jurassic-park-woolly-mammoth?t=1632914672694&t=1633086010073

[5] Ibid., https://www.npr.org/2021/09/14/1036884561/dna-resurrection-jurassic-park-woolly-mammoth?t=1632914672694&t=1633086010073

[6] Ibid., https://www.npr.org/2021/09/14/1036884561/dna-resurrection-jurassic-park-woolly-mammoth?t=1632914672694&t=1633086010073

 

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