A l’heure actuelle, la très grande majorité des déchets métalliques européens, qu’ils soient issus du broyage mécanique de véhicules, des équipements électroniques ou de la ferraille de collecte, est envoyée en Chine pour y être traitée dans des conditions déplorables. Un projet a vu le jour en Belgique, dans la région de Liège, pour trier et revaloriser ces déchets à l’aide de l’intelligence artificielle. Le projet PickIt. En plus de faire baisser les extractions minières de ces métaux, cette revalorisation permet de diminuer les émissions liées au transport par cargo et au traitement de tonnes de déchets en relocalisant le recyclage intelligent.

L’Union Européenne importe dans une large mesure ses matières premières métalliques, en raison de l’épuisement des gisements sur son territoire. La concurrence internationale croissante pour l’extraction des matières premières, qui s’explique notamment par la concentration des grands producteurs miniers, détermine également ces importations, comme l’affirme Martin Wedig dans l’Europe et le monde en 2020. Mais si les processus d’extraction de ces métaux à travers le monde ont des impacts irréversibles sur l’environnement et les populations locales, le traitement des déchets lorsque les objets métalliques arrivent en fin de vie est tout aussi problématique.

Des déchets largement exportés vers l’Asie

Position confortable pour l’occident, en matière de métaux, rien ne vient pratiquement d’ici et surtout rien d’y reste. En l’absence de filières de recyclage solides en Europe, la très grande majorité d’entre eux part vers la Chine, comme c’est le cas pour le plastique. L’Union Européenne exporte ainsi plus de la moitié de ses plastiques collectés et triés, dont 85 % vers l’Empire du Milieu. Mais Pékin a décidé de renforcer ses critères d’acceptation des déchets en 2018, avec d’importantes restrictions concernant les métaux qui prendront effet cette année. Ces nouveaux standards ont été largement anticipés par les entreprises du secteur, qui verront leur accès au plus gros consommateur de déchets métalliques au monde diminuer.

Décharge de déchets métalliques en Chine – China Daily via Reuters

Premier réflexe des industriels, chercher d’autres lieux pour se débarrasser de ces déchets. De nouvelles pistes ont été explorées d’urgence, en direction notamment du Pakistan et du Cambodge. « Nous travaillons depuis des années pour nous développer en Inde, au Vietnam, en Thaïlande, et même en Amérique latine », assurait fièrement Brent Bell, un responsable de Waste Management, le premier recycleur nord-américain d’ordures ménagères, dans les colonnes des Echos. Le marché triomphe de la logique et des conditions écologiques. Le traitement des déchets est en effet beaucoup moins coûteux dans ces pays, où les standards environnementaux sont nettement moins exigeants et les conditions de travail des ouvriers souvent déplorables.

L’innovation technologie dans le recyclage

Il s’agit donc d’un enjeu environnemental et social de taille. Contrairement aux métaux précieux comme l’or ou l’argent, certains métaux n’ont en effet à l’heure actuelle aucun traitement de récupération qui permettrait de les recycler de manière efficace. L’innovation technologique peut intervenir ici en développant des moyens performants pour revaloriser efficacement les métaux présents dans les déchets des nombreux objets quotidiens que nous utilisons. Ceux-ci constituent en fait de véritables mines urbaines, où peuvent être récoltés de nombreux matériaux comme le cuivre, l’acier, l’aluminium mais aussi les plastiques et le verre.

Mais le recyclage de ces métaux pose de vrais défis techniques, liés notamment aux différents procédés de récupération et à la grande diversité des objets qui en contiennent. Des smartphones aux appareils électroménagers en passant par les véhicules, de nombreux alliages et compositions se côtoient. C’est en partant de ce constat que Reverse Metallurgy a vu le jour en Wallonie, au sein de l’Université de Liège. Lancé en 2015, ce vaste programme de recherche s’est déjà illustré dans le domaine du recyclage des métaux, et regroupe aujourd’hui divers partenaires industriels, scientifiques et centres de recherche.

Donner une seconde vie aux déchets métalliques

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Le but du projet est de développer des procédés technologiques innovants pour donner une seconde vie aux déchets métalliques et créer ainsi une filière européenne de traitement de ces résidus. Reverse Metallurgy s’articule ainsi autour de plusieurs axes : le tri intelligent, tout d’abord, mais aussi d’autres programmes qui visent à extraire certains métaux comme la bio-hydrométallurgie, la pyrolyse et le traitement métallurgique.

Le premier axe est incarné par le projet PickIt, qui a mis au point un appareil triant et séparant les alliages des déchets issus des véhicules usagers de manière autonome, des équipements électroniques ou encore de la ferraille de collecte. Recycler ces métaux exige de pouvoir les caractériser instantanément et les trier à l’aide d’outils mécaniques performants. « Pour cela, on utilise différents capteurs qui permettent de classifier chaque pièce. On couple ces capteurs à des robots qui peuvent sortir ces pièces, de manière à pouvoir les valoriser directement » explique Godefroid Dislaire, Projet Engineer de PickIt.

L’intelligence artificielle au cœur du processus

C’est donc une forme d’intelligence artificielle qui vient soutenir cette filière de revalorisation. L’option du tri manuel requiert en effet une main d’œuvre intensive pour une efficacité limitée et un travail laborieux. Il serait uniquement concevable dans des pays peu regardant sur les impacts environnementaux et sociaux d’un tel processus. Un procédé intelligent permettant d’analyser la composition en profondeur de chaque pièce et d’opérer un tri en conséquence apparaît dès lors comme une alternative solide (posant également la question intimement liée de la répartition du travail et du partage des profits réalisés par l’automatisation). « Le système qu’on a développé est capable d’accueillir jusqu’à 1 tonne qui peut être triée par jour à l’aide de nos robots » se félicite Robert Baudinet, ingénieur système du projet.

L’avenir et la continuation du programme sont assurés puisqu’un démonstrateur industriel est prévu d’ici peu. PickIt a pu investir dans des équipements qui permettront de développer des machines de tri sur-mesure en fonction du type de produit demandé. Le système permettra ainsi d’intégrer de nouveaux capteurs pour répondre à d’autres problématiques, que ce soit le tri de déchets plastiques ou la détection automatique de polluants comme le plomb dans les déchets métalliques. La recherche sur le tri au sein de l’Université de Liège continue également, avec des expérimentations sur un grand nombre d’autres matériaux : déchets de construction, piles usagées, etc.  Ces avancements ont été permis notamment par un soutien financier des instances régionales wallonnes et européennes ainsi que du secteur privé. Mais après s’être battu pour décrocher ces budgets, PickIt est désormais à la recherche d’ingénieurs et techniciens prêts à relever ces défis capitaux pour l’avenir.

À l’heure où de nouvelles alternatives de traitement des déchets sont également recherchées à l’autre bout de la planète, la mise en place d’une filière de recyclage et de revalorisation des métaux en Europe apparaît indispensable pour faire face au défi écologique et climatique, l’exportation massive des métaux étant très polluante. Elle permettrait de limiter les impacts environnementaux et sociaux du transport et de l’extraction des métaux, ainsi que les émissions importantes liées au traitement des déchets. Naturellement, ce type d’initiative ne peut se passer d’un questionnement plus structurel sur l’origine des déchets industriels, fruits d’une mondialisation débridée. Les initiatives comme PickIt, qui continuent de développer de nouvelles solutions à ce problème, semblent donc les bienvenues pour contribuer à cette filière, tant qu’elles ne servent pas de justificatif pour ne pas adapter nos comportements productifs en amont.

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