En Belgique, les associations dénoncent une réforme envisagée par le Ministère de la justice qui entend intégrer les ASBL (Associations Sans But Lucratif) – équivalent aux associations loi 1901 en France – au Code des sociétés, à l’image des entreprises commerciales. Elles craignent non seulement que la spécificité de leur objet et de leur action sans but pécuniaire soit mise à mal, mais aussi de se voir progressivement appliquer les mêmes règles que les entités juridiques ayant une vocation purement économique, c’est à dire les entreprises. Pourtant, l’esprit des associations doit, en principe, rester en marge des logiques de marché.
Peut-on dissoudre les associations dans le droit commercial ? Alors qu’elles sont de plus en plus nombreuses à avoir des activités connexes de type économique, peut-on vraiment les comparer à de quelconques entreprises conventionnelles ? Voici résumé en quelques mots les questions fondamentales posées par la réforme actuellement envisagée par le Ministère de la justice belge. Un projet qui risque de fondamentalement bousculer la liberté d’association dans un but non lucratif.
Une réforme qui menace la loi sur la liberté d’association de 1921
Outre la fusion en sein d’un même code des associations et des sociétés commerciale, cette réforme libérale prévoit que les associations pourraient désormais exercer une activité économique à titre principal. Ce que les professionnels du secteur dénoncent comme une « suppression de la loi sur la liberté d’association de 1921 » (comparable à la loi de 1901 en France), rien que ça ! En effet, la réforme radicale risque de bouleverser un paysage qui était jusqu’à présent relativement clair. « Considérant que la majorité des asbl ont une activité économique, [le ministère de la justice] souhaite ne plus […] différencier [les associations] des sociétés commerciales et propose donc de les intégrer dans le droit classique des sociétés » s’insurgent les auteurs d’une pétition sur le site Avaaz.
Or, si les associations ont des activités économiques – souvent indispensables d’ailleurs étant donné que l’austérité ne fait aucun cadeau avec des subventions en baisse – elles n’ont pas comme objectif de faire du profit. L’activité économique elle même est par nature accessoire, de quoi garantir la réalisation d’un objectif à but sociétal ou culturel. Les associations se définissent avant tout comme des regroupements libres de personnes qui partagent la volonté de s’engager dans un projet sans but commercial. Jusqu’à présent elles restaient donc protégées par le droit de toute confusion possible.
En effet, jusqu’à présent, le droit national et une jurisprudence constante permettaient de bien dissocier les association des entreprises, même lorsque les premières intervenaient dans l’économie. En leur permettant d’avoir des activités commerciales, lorsque ces dernières sont accessoires et sans but intéressé, le législateur et les juges ont établi un équilibre pragmatique qui permet de conserver la spécificité du travail associatif et de ne pas considérer les associations comme des entreprises – soumis à un régime plus contraignant – dès lors qu’elles échangeraient des biens et des services. Rappellons que le fondement d’une association est d’offrir des « services » qui ne sont pas rendus par le monde marchand ou l’État, le tout de manière désintéressée.
Les ASBL, des entreprises comme les autres ?
« Quand on parle de modernisation, il faut toujours s’inquiéter », lâche Pierre Malaise, directeur du Cessoc, une confédération d’associations dans le secteur socio-culturel. Selon lui, « nous avons plus que jamais besoin d’un secteur associatif fort, différencié, porté par des citoyens engagés. C’est pourquoi, cette initiative doit être combattue ». Aussi, défend-t-il-fermement que « le droit de s’associer ne doit pas être confondu avec le droit de commercer, il faut donc conserver une loi distincte. Le droit de s’associer doit pouvoir s’exercer de manière simple pour tout le monde. On ne doit pas ajouter d’obstacle à ce droit ou de contrôles supplémentaires ».
Car outre la portée symbolique de la réforme, les professionnels du secteur craignent de voire apparaître une confusion entre associations et entreprises et que cette première réforme en justifie de nouvelles à l’avenir, à l’occasion desquelles le régime juridique des associations serait progressivement aligné sur celui des entreprises. Verra-t-on bientôt les mêmes tribunaux compétents en cas de litige et une fiscalité identique pour toutes ces entités juridique ? Par ailleurs, la réforme ne servira-t-elle pas un jour de prétexte pour abolir les subventions au motif que les associations pourraient désormais avoir une activité économique à part entière ?
En filigrane, l’opposition estime que c’est le socle et l’esprit des associations qui sont menacés. En effet, selon les critiques, c’est non seulement le caractère non-marchand des associations qui est mis en question, mais aussi tout bonnement la liberté de s’associer qui pourrait se voir entravée par un code beaucoup plus complexe, deux éléments qui représentent pourtant la raison d’être des associations. Dans un monde déjà gangréné par le diktat des marchés à tous les niveaux de la société, le milieu associatif, mais aussi militant, a de quoi s’inquiéter.
En parallèle, bientôt un travail au noir légalisé dans le secteur associatif ?
Hasard du calendrier, ce n’est pas la seule réforme qui plane aujourd’hui au dessus des têtes des associations. En effet, la Gouvernement fédéral belge envisage de créer un nouveau type de contrat, les contrats « associatifs », qui permettraient à des personnes, qu’il s’agisse d’indépendants ou d’engagés du secteur associatif (mais qui travaillent déjà à 4/5 de temps), d’intervenir de manière rémunérée pour des prestations occasionnelles avec une rémunération ne pouvant excéder 500 euros nette par mois mais exempte de cotisations sociales et d’impôts.
Le projet prétend ainsi répondre à la problématique posée par le travail au noir, mais remet directement en cause le travail des salariés du secteur en les concurrençant ! En d’autre termes, les opposants craignent que la loi signe une dé-professionnalisation du secteur ainsi qu’une baisse de la qualité des services rendus par une mise en concurrence tirée vers le bas. Une campagne a d’ailleurs été lancée début mars par une cinquantaine d’organisations à la fois syndicales et patronales pour amender le projet de loi.
Plus d’information sur la campagne « 50 nuances de black » et « Touche pas à mon ASBL »
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