Les livres jouent un rôle social fondamental. Ils impactent les imaginaires et poussent les individus à agir. Les livres sont parfois l’étincelle qui déclenchera des initiatives bénéfiques aux biens communs. Ainsi, les librairies itinérantes et d’occasion, les villages du livre et les cafés-librairies sont précieuses et à protéger… face aux mastodontes du capitalisme comme Amazon. 

Le plaisir semble être le maître-mot des petits libraires qui proposent une alternative aux grandes enseignes du produit culturel. Du bouquiniste qui lit deux à trois heures par jours et s’extasie de faire des découvertes tous les jours à la libraire itinérante qui voit son métier à l’image d’un marchand de glaces, les occasions de savourer l’instant pour le vendeur comme pour le client ne manquent pas.

St. PetersburgLibrairie-Café à Saint-Petersbourg. Flickr

Aux petits bonheurs des lecteurs…

Pleine de gratitude d’offrir un espace de discussions passionnantes entre ses clients sous les parasols de son stand en Charente-Maritime, Mariel Moulin, 58 ans, explique au journaliste de Kaizen que sa librairie itinérante valorise les petits éditeurs, propose ses sélections coups de cœur et écume les marchés, manifestations locales, festivals, et même les maisons de services pour personnes âgées. Les petites enseignes du livres peuvent survivre à la mise en concurrence globale grâce à une poignée de passionnés.

Imaginer, innover, réinventer, les férus de lecture devenus libraires ne sont pas à court d’idées et ne cessent de nous étonner par leur façon de combiner fraîcheur, bonne humeur et travail. Ces « passeurs de culture en milieu rural (…) amoureux des livres et des gens » comme l’affiche le numéro 39 du magazine, semblent s’amuser avec le livre comme avec les rencontres, jouer avec la vie et les mots…

« En mai 2017, la « libricyclette » est née » raconte David Brouët, 41 ans, toujours dans Kaizen. Il s’agit d’un triporteur électrique plus léger qu’une camionnette, et surtout beaucoup moins cher et « écolo », pour aller vendre des livres un peu partout… Le vélo est un mode de transport lent et ouvert qui donne accès à l’autre et au monde quand la voiture ne le permet. Le livre est un objet qui se prête, s’échange, véritable relais que se transmettent les êtres humains. Marier le vélo et le livre, c’est une bombe d’interactions culturelles, le trait-d’union social par excellence.

La libricyclette. Facebook.

« De l’idée avant toute chose, et pour cela préfère la Différence ! »*

Même si les librairies très imposantes, comme Sauramps à Montpellier, ou encore les grandes librairies parisiennes, attirent les universitaires, chercheurs et étudiants de tous horizons, la petite librairie de quartier et les diverses formules intelligentes et fécondes dans la vente du livre jouent un rôle non négligeable en tissant du lien social et en innovant.

En témoignent les lecteurs invétérés qui ne cesseront pas de faire le voyage jusqu’à Montolieu ! Village du livre et de l’art de 850 habitants, où une dizaine de nationalités est représentée parce que le village est unique et attrayant, ce pôle culturel de l’Aude, à vingt minutes de Carcassonne, est un joyau. Y résident des artistes mondialement connus, comme Patrick Süskind, auteur du Parfum, ce qui ajoute à l’envie de chiner. Ce mode de consommation, cousin des vide-greniers et des brocantes, n’est pas seulement touristique et « les colosses au livre d’argile » ne le supplanteront pas…

Néanmoins, la librairie d’occasion La manufacture de Montolieu, créée en 2005, est touchée par la crise économique depuis 2012. Quatre bouquinistes y travaillent sans hiérarchie et se dégagent un salaire tout juste correct. Mais les 52 000 touristes par an et les clients réguliers venant de toute la France et de l’étranger capables d’acheter vingt à trente livres d’un coup ne suffisent pas à donner une bonne santé économique à la boutique.

Une rencontre à La Manufacture. Facebook.

Laurent, 48 ans, sourit : « Quelques-uns ne viennent que chez nous et ne font même pas les autres bouquinistes ». Pourtant il y en a seize autres à Montolieu… Mais avec ses 10 à 15 000 livres en vente, La Manufacture couvre presque tous les domaines. Le rayon philosophie prédomine et rivalise avec les autres sciences humaines sur un étage entier. Le classement y est approximatif, il faut donc y passer du temps, c’est alors que peut naître de la recherche fiévreuse le goût d’une chasse au trésor. 

Une cliente s’exclame : « ici c’est le bonheur ! Le temps s’arrête quand je fouille… Je sais que je vais repartir avec bien plus que je ne cherchais au départ. Je me limite à vingt euros pour ne pas succomber à toutes les tentations ! Ensuite je vais siroter un verre à côté pour contempler mon trésor et parcourir quelques pages avant de rentrer chez moi, à Toulouse. Je passe toujours ici un délicieux moment. À Montolieu, tout le monde se parle : dans la rue, au bistrot, et bien sûr dans les librairies…»

Tout est bon dans le livre, surtout le lien

Une artiste-peintre se réjouit de revenir vivre à Montpellier pour tout un tas de raisons, mais aussi parce que le livre y est accessible : elle achète La Métamèdecine de Claudia Rainville 1€ au lieu de 24€ ! On est bien au-delà des 80 % de réduction annoncés en ligne par la librairie Joseph Gibert qui vend du neuf et de l’occasion dans 17 villes dont Paris, Lyon, Montpellier, Marseille, Grenoble et Dijon.

Et grâce au net, les librairies sont présentes partout dans le monde et envoient même des ouvrages à l’étranger. Les petites librairies ne savent plus survivre sans le web : « ce n’est rentable que si on ajoute la vente par internet » explique l’un des bouquinistes de La Manufacture. La librairie du Livre voyageur, qui s’est installée il y a un an à Narbonne, a trouvé une autre manière pour viser la rentabilité. Elle propose un jeu : le client qui donne un ouvrage à la librairie peut alors en piocher un autre au hasard déjà emballé dans du papier cadeau…

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Ateliers et conférences, concerts et réunions en tous genres pour partager, sont autant de prétextes pour faire vivre davantage ces librairies imaginées différemment et amener les gens au partage de connaissances et à la joie. Un bon roman fait vivre une belle palette d’émotions, un essai fait réfléchir, un poème fait rêver… C’est comme si le monde du livre, avec toutes ces propositions peu banales pour le vendre, se faisait le miroir extérieur de l’univers intime que nous ouvrons le temps d’une lecture. Et quand les rêves des nouveaux libraires deviennent réalité, liens sociaux et liens symboliques ne cessent de se tisser pour le plus grand bonheur individuel et collectif.

– Aurélie Olivier

*« De la musique avant toute chose, et pour cela préfère l’Impair » Verlaine.


Photo de couverture de Ksenia Chernaya. Pexels

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