Alors que l’Europe dans son ensemble est sur le point d’entrer dans une troisième phase de confinement, certains scientifiques s’inquiètent déjà de la multiplication des infections de ce type à l’avenir, liées notamment à nos modèles de production mondialisés. La pandémie de la covid-19 n’est en effet qu’une zoonose parmi d’autres causées par la pression croissante des humains sur les écosystèmes naturels. Une étude pointe ainsi le potentiel infectieux de la grippe aviaire, qui a muté sur des populations de phoques. L’approche des autorités demeure pourtant largement réactive, plutôt que préventive. Force est de constater que les premiers signes d’un effondrement de notre modèle de civilisation n’ont pas été perçus comme tels par les pouvoirs publics… Au contraire, le monde espère « reprendre tout comme avant » sans mesurer la hauteur de ce choix.
Prévenir les prochaines pandémies nécessite impérativement de réduire les possibilités d’émergence des zoonoses, ces maladies transmissibles de l’animal à l’humain, qui représentent 60% des maladies infectieuses d’après les chiffres du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Tuberculose, rage, paludisme… Les zoonoses existent depuis bien longtemps, mais nos interférences toujours plus marquées dans les écosystèmes naturels ne font qu’augmenter leur risque d’apparition et de mutation. Aujourd’hui, elles correspondent aux trois quarts des maladies émergentes, comme Ebola, le Sida, les grippes aviaires ou encore la plus récente et plus meurtrière covid-19. Nous devons l’admettre : notre modèle économique prédateur et globalisé augmente les risques de pandémies.
Les activités humaines à l’origine des zoonoses
Le monde politique semble l’oublier, c’est pourtant l’un des enseignements majeurs de cette pandémie : l’exploitation sans précédent des ressources naturelles et la destruction des écosystèmes, en plus d’être catastrophique pour le vivant dans son ensemble, met en danger la santé des humains. Ce sont en effet les activités humaines qui favorisent le passage des zoonoses des animaux aux hommes, en démultipliant les zones de contacts entre espèces. Outre la déforestation, l’agriculture industrielle, l’urbanisation et la fragmentation des milieux naturels, le dérèglement climatique contribue également à modifier l’équilibre entre les espèces, et peut conduire certains animaux vecteurs de maladie à prospérer à des endroits inédits. Sans oublier la fonte rapide du permafrost qui pourrait libérer certains virus disparus depuis des millénaires. Enfin, les élevages industriels représentent également de petites bombes sanitaires dont on tente de faire reculer l’explosion à coup de doses d’antibiotiques toujours plus importantes.
Sans compter la pandémie qui nous frappe, l’IPBES, le panel des experts de l’ONU sur la biodiversité, estime que les zoonoses font déjà quelque 700 000 morts par an à travers le monde. La transmission de ces maladies peut se faire soit directement, lors d’un contact entre un animal et un être humain, soit indirectement par voie alimentaire ou par l’intermédiaire d’un vecteur (insectes, arachnides…). « Le processus qui conduit un microbe, tel qu’un virus, d’une population de vertébrés, comme la chauve-souris, dans laquelle il existe naturellement, jusqu’aux humains est complexe, mais causé par l’Homme (…), les actions humaines créant l’occasion pour les microbes de s’approcher des populations humaines », résume Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES.
Des pandémies qui risquent de se multiplier si on ne change pas
Si notre modèle de civilisation ne connaît pas rapidement des changements majeurs, la tendance ne devrait donc pas s’infléchir, bien au contraire. Pour Anne Larigauderie, les modifications d’usage des terres, « combinées aux augmentations en matière d’échanges commerciaux et de voyages » vont en effet augmenter la fréquence de ce type de pandémie à l’avenir. Ce risque imminent de nouvelles épidémies est confirmé par les conclusions d’une nouvelle étude publiée récemment dans la revue Cell Host & Microbe. S’intéressant aux mutations des virus entre mammifères, les chercheurs ont analysé une épidémie de grippe aviaire chez les phoques communs du nord de l’Europe en 2014, qui a tué plus de 10% de leur population.
Observé pour la première fois le long de la côte ouest de la Suède et de l’est du Danemark, au printemps 2014, le virus de la grippe aviaire s’est étendu vers le sud jusqu’aux côtes de de l’Allemagne et des Pays-Bas, entraînant au total la mort d’environ 2 500 phoques. D’après les chercheurs, la transmission initiale a probablement été causée par le contact entre un phoque et des oiseaux ou leurs déjections. « Habituellement, ces transmissions occasionnelles de virus chez les phoques, comme chez les humains, sont des « impasses » parce que le virus n’est pas transmissible d’un individu à l’autre », explique Sander Herfst, professeur adjoint de virologie moléculaire à l’université de Rotterdam. « Cependant, parfois, ces virus s’adaptent au nouvel hôte et acquièrent la capacité d’être transmis entre les individus. »
Un virus qui a muté pour se transmettre par l’air entre les mammifères
Les chercheurs ont donc recueilli des échantillons de ce virus qui a subi plusieurs mutations à l’origine de l’épidémie de 2014 pour mesurer leur transmissibilité avec d’autres mammifères, en l’occurrence des furets. Ils ont ainsi constaté que les mutations successives ont rendu le virus de la grippe aviaire transmissible par aérosols ou gouttelettes respiratoires, alors qu’il ne l’était pas à l’origine chez les oiseaux. Une petite « évolution » qui change absolument tout. « Ces résultats suggèrent que les mutations subies par le virus aviaire une fois qu’il s’est installé au sein de la population de phoques l’ont permis de devenir transmissible par l’air entre les mammifères », poursuit Sander Herfst.
L’équipe de chercheurs a observé des mutations clés dans l’hémagglutinine, une protéine à la surface du virus de la grippe aviaire qui joue un rôle important dans la liaison aux cellules hôtes. Ces changements qui affectent la stabilité de l’hémagglutinine ont conduit le virus à se lier de préférence aux récepteurs des voies respiratoires des mammifères. En plus d’éclairer la compréhension des mécanismes de mutations et de transmission des zoonoses, cette étude indique donc que les phoques pourraient devenir un nouveau réservoir pour le virus de la grippe aviaire. Si aucun cas de transmission à l’homme n’a été signalé à ce jour, ces résultats montrent en outre qu’il existe certaines mutations virales spontanées qui permettent la transmission de la grippe aviaire entre les mammifères dont l’humain fait partie.
Cette étude rappelle une fois encore la nécessité d’identifier les virus mutants qui pourraient traverser la frontière des espèces et devenir très contagieux au point de générer une nouvelle pandémie. « Il est important de surveiller et de prédire lequel des divers virus zoonotiques a le potentiel d’émerger chez l’Homme et de déclencher des épidémies ou même des pandémies. Sans cette connaissance, nous ne pouvons appliquer qu’une approche réactive plutôt que préventive pour limiter l’impact des nouvelles infections virales, comme c’est le cas actuellement pour la pandémie COVID » conclut Sander Herfst. En termes simples : nier aujourd’hui ces risques et causes, c’est déjà devoir faire face à de futures pandémies.
Outre cette compréhension essentielle des virus, la réponse à la multiplication des zoonoses doit être systémique. Ce sont en effet les pratiques inhérentes à notre modèle de civilisation et notre mépris du monde animal qui sont à l’origine de ces maladies. Il est donc aujourd’hui indispensable de repenser notre relation avec les écosystèmes naturels, donc notre modèle de civilisation, de production/consommation et son empreinte sur le vivant.
Raphaël D.