Depuis quelques jours, Wikipédia interpelle ses utilisateurs français à propos de la nouvelle loi création, architecture, patrimoine qui vient d’être adoptée par le Parlement français. L’objet de l’alerte : sous prétexte de vouloir protéger la propriété d’artistes et d’« affirmer et de garantir la liberté de création », le projet de loi, signé Manuel Valls, va mettre en danger le fonctionnement de l’encyclopédie libre et atteindre à certains fondements d’un internet libre (si tant est qu’il le soit encore).

Le problème du droit de l’image est certes ancien, mais l’avènement du numérique et d’internet amènent leur nouveau lot d’incertitudes. Le débat concerne l’usage de photographies représentant des bâtiments ou des œuvres naturellement présents dans l’espace public (donc accessibles à la vue de tous), avec ces question : le droit d’auteur appartient-il aux créateurs des œuvres photographiées ou plutôt aux photographes ? Qu’en est-il de l’utilisation des images ? Après de nombreuses interventions des représentants politiques et des juges afin de trouver un équilibre entre droit à la vie privée, droit d’auteur et droit à l’information, le législateur a voulu clarifier la question de telles photographies. Le problème est de taille, d’autant que Wikimédia, fondation chapeautant Wikipédia, a récemment été condamné en Suède pour avoir ouvert l’accès à des photographies sans autorisation préalable de la part des auteurs de ces photographies.

La « Liberté de panorama »

La question se pose bien dans les termes suivants  : faut-il autoriser l’exploitation commerciale de photographies représentant une œuvre d’art présente dans l’espace public ? Un sujet épineux, tant les enjeux en présence sont nombreux et les intérêts divergents. D’un côté, il y a les droits des artistes ou architectes, de l’autre, celui des photographes et journalistes, enfin, c’est globalement la liberté de prendre des photographies à travers le monde qui pose question. En effet, en l’attente d’une jurisprudence, on peut considérer que la majorité des photographies touristiques ou urbaines, voire même les vidéos capturées lors de manifestations, se déroulent dans des lieux où des œuvres (bâtiments, statues,..) sont le plus souvent visibles.

Face à ces questions, une directive européenne de 2001 portant sur les droits intellectuels et les droits d’auteur introduit la « liberté de panaroma ». Cependant, l’UE laisse aux États membres la possibilité d’instaurer une exception au droit d’auteur. En France, la directive a été à l’origine de débats particulièrement vifs.

Les parlementaires français ont rapidement décidé que seules les personnes physiques pourraient jouir de cette liberté, dans un cadre privé. Tout usage commercial serait à exclure. Des dispositions contre lesquelles Wikipédia, directement touché, s’était déjà insurgé. La base de données de Wikipédia permet en effet d’accéder à des photos qui peuvent ensuite être réutilisées de manière commerciale, par exemple, sur des petits blogs indépendants qui vivent de la publicité. Afin de défendre la cause de Wikipédia, certains journalistes avaient montré sous quelle forme se présenterait le site si les photos de monuments ne pouvaient plus être reproduites : l’utilisateur se rendra désormais sur des pages appauvries et amputées.

tienanmenIllustration de protestation contre la censure des images en Chine

En 2011, Rémis Mathis, alors président de Wikimédia, s’exprimait clairement en faveur d’une liberté de panorama. Il indiquait alors au journal Le Monde : « Même pour des édifices récents, comment comprendre que limage de bâtiments payés sur des fonds publics, de la bibliothèque François-Mitterrand au Stade de France, puisse être confisquée par leur architecte ? ». Une nouvelle loi liberticide difficilement justifiable à l’heure où des outils comme les panoramas 3D ou encore les drones cinématographiques se démocratisent. La loi risque donc clairement d’amputer l’internet d’un grand nombre de contenus graphiques tout en mettant en péril la survie de blogs et sites alternatifs qui n’auront pas les moyens de faire face à ces changements.

Nouveaux doutes en perspective avec la loi création

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Les dispositions du la loi Création, définitivement adoptée ce mercredi, sont dans la continuité de celles que nous venons d’évoquer. Deux séries de mesures inquiètent tout particulièrement l’encyclopédie libre (et similaires), à savoir « la création d’un droit patrimonial sur les domaines nationaux » ainsi que « la taxe sur les moteurs de recherche qui rend inopérante les licences libres ». La plupart des journaux ont titré les conséquences fâcheuses pour le moteur Google. Mais l’Internet ne se limite pas au géant américain. Beaucoup d’autres vont inévitablement en payer les conséquences.

La première évolution aurait comme conséquence de rendre obligatoire un accord entre Wikipédia, ou tout autres sites, et les gestionnaires des domaines avant l’utilisation de toute photographie où ces domaines seraient représentés. Par exemple, afin d’utiliser des photographies où le Château de Versailles ou du Château de Chambord sont visibles, il faudra obtenir préalablement une autorisation (le plus souvent payante). Par conséquent, indique Wikipédia, « cette disposition a () des répercussions sur lillustration des articles Wikipédia concernés et sur Wikimedia Commons, car nos projets sont incompatibles avec une quelconque restriction commerciale. »

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La seconde crainte de Wikipédia concerne la nouvelle taxe qui pourrait être imposée aux moteurs de recherche. Les responsables indiquent : « Les moteurs de recherche devront, désormais, payer pour la totalité des images quils indexent dans leurs résultats. Les images sous licence Creative Commons ainsi que les images illicites sont concernées, et parmi celles-ci même les images ‘orphelines’ (sans auteur identifié). » Des dispositions généralisantes qui ont de quoi étonner : de l’argent sera ponctionné alors même que les auteurs des images ont décidé de leur utilisation libre !

Cet ensemble de mesures met donc fondamentalement en cause le fonctionnement même de Wikipédia, qui repose sur le partage libre, et plus globalement de l’internet du partage. Une nouvelle rigidité de plus pour le monde numérique qui peine à camoufler une volonté des autorités de plonger le web dans le marchandisation forcée du partage.


Sources : blog.wikipedia.fr / rue89.nouvelobs.com / meta.wikipedia.org

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