Yaourts, biscuits, beurre… Des aliments que tout le monde consomme mais dont personne ne connaît réellement la composition. Que contiennent-ils précisément ? Est-ce vraiment bon pour nous ? Les labels sont-ils suffisants pour s’y retrouver ? C’est à cette question que les fondateurs de Yuka ont voulu apporter une réponse claire. Créée en janvier 2017 à l’initiative de trois Français, l’application scanne les étiquettes, déchiffre les compositions et analyse leur impact sur la santé pour éclairer les consommateurs sur leurs produits de la vie quotidienne. Un système novateur qui révolutionne la vie des 12 millions d’utilisateurs de l’application. Si certaines zones d’ombre persistent en ce qui concerne le fonctionnement exact de l’application, on sait néanmoins qu’en septembre dernier, Intermarché annonçait le changement de recette de 900 produits pour améliorer leur composition et ainsi gagner des points sur l’application Yuka. Un signe que Yuka fait malgré tout petit à petit bouger les choses dans le domaine de la grande distribution. Ophélia Bierschwale, chargée de presse pour Yuka, a accepté de nous parler pour expliquer en détails le fonctionnement de l’application et ses objectifs sur le long terme. Interview.
Mr Mondialisation : Qui sont les créateurs de l’application Yuka et comment leur est venue cette idée inédite ?
Ophélia : Benoît, l’un des co-fondateurs et papa de trois enfants, avait envie d’acheter de meilleurs produits alimentaires pour sa famille. Mais, perdu dans la lecture des étiquettes au milieu de toute cette jungle alimentaire, il se dit qu’il serait pratique d’avoir un outil permettant d’analyser automatiquement les compositions des produits. Il en parle à son frère François et à une amie, Julie, qui sont tous les deux séduits par le concept. Tous ensemble, ils participent en février 2016 à un concours de start-ups, le Food Hackathon. Ils y développent pendant tout un week-end le concept, et finissent à la première place. Convaincus que leur idée répond à un vrai besoin, ils se lancent alors pleinement dans le projet. Au départ, l’outil qu’ils imaginent n’est pas encore une application, mais un objet connecté en forme de carotte qui s’aimante sur le frigo. Se rendant compte que l’objet connecté ne répond pas totalement au besoin et ne permet pas de rendre l’analyse des produits accessible à tous en raison de son prix, ils abandonnent l’idée quelques mois plus tard pour une application mobile.
Mr M. : Avez-vous été choqués par la composition de certains aliments / produits présents vendus dans le commerce ?
O. : Oui, c’est pour cette raison qu’il nous a paru important de créer cette application. L’objectif de Yuka est d’améliorer la santé des consommateurs en les aidant à décrypter les étiquettes des produits afin de faire les meilleurs choix pour leur santé. Notre vision est qu’à travers une consommation plus éclairée, les consommateurs peuvent avoir un levier d’action pour conduire les industriels de l’agroalimentaire et du cosmétique à améliorer leur offre de produits.
Mr M. : Comment répertoriez-vous les différents produits et en fonction de quels critères leur attribuez-vous des notes ?
O. : Au tout début, Yuka s’est appuyé sur Open Food Facts, une base de données ouverte et collaborative qui fonctionne sur le même modèle que Wikipedia. En janvier 2018, nous avons décidé de constituer notre propre base de données pour pouvoir mettre en place des systèmes de contrôle et de vérification avancés des contributions. Cette base est aujourd’hui alimentée par les contributions des utilisateurs, qui peuvent renseigner directement à travers l’application les produits non reconnus par Yuka. D’autre part, certaines marques acceptent aujourd’hui de nous donner directement accès aux informations de leurs produits. Pour la notation des produits alimentaires, Yuka se base sur trois critères :
1– La qualité nutritionnelle représente 60% de la note.
La méthode de calcul se base sur celle du Nutri-Score qui est une marque de Santé publique France. Pour la calculer nous prenons en compte les éléments suivants : calories, sucre, sel, graisses saturées, protéines, fibres, fruits et légumes.
2- La présence d’additifs représente 30% de la note.
Nous prenons en compte les avis de l’EFSA [European Food Safety Authority], de l’ANSES [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail], du CIRC [Centre international de recherche sur le cancer] mais aussi de nombreuses études indépendantes. En fonction des différentes études existantes, chaque additif se voit affecter un niveau de risque : sans risque (pastille verte), risque limité (pastille jaune), risque modéré (pastille orange), risque élevé (pastille rouge).
3- La dimension biologique représente 10% de la note.
Les produits considérés comme biologiques sont ceux disposant du label bio français (AB) et/ou du label bio européen (Eurofeuille).
Mr M. : Qu’en est-il des produits cosmétiques ?
O. : Le système de notation des cosmétiques se base sur l’analyse de l’ensemble des ingrédients entrant dans la composition d’un produit. Chaque ingrédient se voit attribuer un niveau de risque en fonction de ses effets potentiels ou avérés sur la santé : perturbateur endocrinien, cancérigène, allergène ou encore irritant. La note dépend donc du niveau de risque des ingrédients contenus dans le produit. Ainsi, par exemple, si un ingrédient à risque élevé (rouge) est présent dans le produit, la note sera automatiquement dans le rouge (soit en-dessous de 25/100).
Mr M. : Pensez-vous que ce système de notation est un moyen de sensibiliser les consommateurs à leur consommation quotidienne et d’inciter les entreprises à améliorer la composition de leurs produits ?
O. : Oui, nous avons actuellement 12,5 millions d’utilisateurs à travers 6 pays, ce qui prouve que les consommateurs aujourd’hui ont un besoin de transparence et souhaitent manger de manière plus saine. Nous observons déjà de plus en plus de changements dans les compositions des produits et espérons que cela va se poursuivre.
Mr M. : Certaines marques et entreprises ne se sont-elles pas plaintes d’avoir vu leur produit mal noté ?
O. : Non pas vraiment. Elles sont nombreuses à nous contacter pour comprendre le fonctionnement de notre application, savoir comment elles pourraient améliorer leurs recettes, quels ingrédients enlever. Elles sont dans une démarche assez constructive et nous demandent même de les aider à progresser. Nous observons d’ailleurs de plus en plus de changements dans les compositions des produits (suppression d’additifs controversés, réduction du taux de sel ou de sucre, etc.). Les marques ont pris conscience qu’elles doivent changer et elles sont dans une démarche constructive.
Mr M. : Recevez-vous des retours positifs de la part des utilisateurs de votre application ?
O. : Nous en recevons quotidiennement à travers les nombreux messages que nos utilisateurs nous envoient. D’après la dernière étude que nous avons mené auprès de 230 000 de nos utilisateurs [https://yuka.io/impact/] 91% des utilisateurs considèrent Yuka comme l’une des applications les plus utiles de leur téléphone.
Propos recueillis par Analena Dazinieras
Nul doute que l’application Yuka est d’une grande aide pour les consommateurs. Ceux-ci peuvent enfin obtenir clairement la teneur en matières grasses, en sucre, en sel, en additifs… des produits qu’ils achètent. Un bémol toutefois pour nuancer un tableau qui semble parfait. Car les informations récoltées par Yuka proviennent directement des marques. A ce compte là, rien ne garantit que certaines données ne leur soient pas transmises ou falsifiées pour s’assurer une meilleure note. A cela s’ajoute la subjectivité du jugement sur ce qui fait la qualité d’un aliment surtout en comparaison d’un autre. Exemple frappant, on a ainsi pu remarquer que du miel (aliment dont la notation a depuis été retirée) se retrouvait finalement moins bien noté que du ketchup et qualifié de mauvais.
Malgré des apports indéniables, il semble que l’application Yuka doive encore effectuer des ajustements de leur algorithme attribuant la note finale, surtout qu’il s’agit de l’élément qui retient le plus l’attention des utilisateurs.
Yuka pourrait aussi choisir de se passer de note pour que le jugement d’un produit ne se fasse que d’après tous les autres éléments répertoriés au lieu d’être résumé à une note dont l’attribution n’est pas forcément représentative de la qualité d’un produit selon les critères qu’on lui cherche (on se doute bien qu’un miel sera catégorisé « trop sucré », mais cela ne suffit pas pour le qualifier de mauvais pour la santé).
Enfin, concernant les informations nutritionnelles, elle doit aussi se doter d’un moyen pour contrôler l’exactitude des informations qui lui sont fournies au risque sinon de se voir manipulée par les marques dont elle juge les produits.
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