Des centaines d’animaux en cage entassés les uns sur les autres, c’était l’image tristement banale d’un marché d’animaux sauvages comme il en existe beaucoup dans le monde. Mais celui de Wuhan, en 2020, a jeté un tout nouveau regard sur les conditions sanitaires de ces lieux de promiscuité. Déjà combattus par les organismes défenseurs de la faune et de la flore, ces marchés géants à ciel ouvert d’animaux devraient maintenant alerter – davantage – les autorités sanitaires.

Aujourd’hui, près de 90% des 180 virus à ARN (ou ribovirus, comme celui de la grippe, de l’hépatite C, d’Ebola, du SRAS, de la rougeole ou encore, bien sûr, du Covid-19) sont d’origine zoonotiques, c’est-à-dire que leur transmission passe d’un animal à l’humain. Malgré cela, le grand manque, voire la totale absence, de biosurveillance de ces marchés d’animaux sauvages inquiète les scientifiques sur les risques sanitaires pour l’humanité.

En effet, il n’existe toujours pas de standard reconnu pour la gestion du commerce légal d’animaux sauvages basée sur le risque de maladie. Il y a bien quelques traités tels que la CITES pour réglementer le commerce international de faune et flore dont l’espèce est menacée – et nous reviendrons sur « l’efficacité » de ces traités – mais il n’existe aucune mesure mondiale de dépistage d’agents pathogènes sur les animaux dans ces marchés.

En réponse à ce gros manquement, plusieurs chercheurs ont lancé un appel international pour mettre en place une biosurveillance accrue de ces marchés, ainsi qu’une plus grande régulation et lutte contre le commerce de certaines espèces, en raison des futurs débordements pandémiques. Car, ils sont tous unanimes sur une chose : si rien ne change, la pandémie mondiale de Covid-19 (ou une autre) risque de se répéter, et plus d’une fois.

Un risque de contamination accru

Enquête de Animal Equality International sur les « Wet Market » en Chine / photo : Flickr

L’environnement insalubre et la promiscuité étroite entre les gens et tous les animaux en état de stress intense, parfois morts, parfois blessés, parfois déjà malades, offre des conditions de transmission idéales aux virus à fort taux de transmission ou très adaptables.

Ainsi, les vecteurs infectieux et maladies passent facilement d’un animal à un autre, voire directement à un être humain. De plus, la vente d’animaux sauvages, capturés, braconnés ou chassés dans la nature font que leur mise en vente, souvent à peine légale, est effectuée de ce fait sans aucun contrôle vétérinaire préalable.

La pandémie de Covid-19 n’était pas une première. En 2002 est apparue le SRAS, pour Syndrome Respiratoire Aigu Sévère, et en 2012 le MERS, une autre maladie respiratoire du Moyen-Orient. Les chauves-souris seraient responsables de la chaîne de transmission de ces trois maladies et les virus se propageraient aux humains via divers hôtes intermédiaires tels que les civettes, les dromadaires ainsi que, dorénavant, le pangolin.

L’Organisation mondiale de la Santé répertorie plus de 200 zoonoses (maladies pouvant être transmises de l’animal aux humains). Certaines nous sont bien connues, comme la peste, le virus Ebola, le paludisme, la dengue ou la borréliose transmise par les piqûres de tiques et qui sévit sous nos latitudes.

Vis-à-vis de l’implication de la chauve-souris pour le SRAS, MERS, Ebola ou Covid, des chercheurs ont étudié une grotte au sud-ouest de la Chine pendant quatre ans. Leur travail a révélé l’existence de 11 nouveaux coronavirus. Par la suite, entre 2015 et 2017, des tests conduits dans le Yunnan, le Guangxi et le Guangdong, au sud de la Chine, ont révélé que 0,6 % de la population rurale possédait des anticorps correspondant aux précédents coronavirus de la chauve-souris. Ces résultats permettent de conclure à l’existence d’une interaction étroite entre les espèces.

Ces éléments, entre autres, ont amené les chercheurs du Wildlife Disease Surveillance Focus Group à exiger des pays une intensification des tests sur les animaux sauvages dans les zones présentant un risque élevé d’émergence de maladies infectieuses. Ils souhaitent également que des technologies de dépistage avancées soient déployées.

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Un « wet market » au Vietnam, où on peut voir la viande crue en contact direct avec les gens / Photo : Flickr

Cependant, de telles mesures de surveillance nécessitent des fonds et des implications politiques.

Actuellement, seuls 125 laboratoires de référence dans le monde détiennent les certifications nécessaires pour réaliser des dépistages pour un ou plusieurs pathogènes animaux. Cependant, deux problèmes : 1) ces laboratoires ne conduisent pas d’enquêtes approfondies sur les agents pathogènes potentiels, 2), ils sont presque tous situés en Europe et en Amérique du Nord, alors que les départs infectieux émergent, majoritairement, d’Asie du sud, d’Afrique et d’Amérique du sud.

« Nous avons besoin de procéder à une surveillance à plus grande échelle », déclare le docteur Mrinalini Erkenswick Watsa, chercheuse pour la San Diego Zoo Wildlife Alliance et membre du groupe de travail. « On ne peut pas laisser cette responsabilité entre les mains d’un gouvernement, c’est une instance politique et les financements y sont liés. »

La docteur Watsa et ses collègues affirment que la première étape doit consister à établir un système de biosurveillance des maladies décentralisé et rentable. Cela permettrait alors aux professionnels de la santé publique et aux spécialistes de la faune sauvage qui opèrent dans les régions de « biodiversité cible » de tester les agents pathogènes en prévention de nouvelles pandémies zoonotiques.

Un appel à la fermeture de ces marchés

Une enquête en ligne de GlobeScan réalisée en mars 2020 au Vietnam, à Hong Kong, au Myanmar, en Thaïlande et au Japon, révèle qu’environ 93% des répondants acceptent les mesures prises par leur gouvernement concernant la fermeture des marchés non réglementés et illégaux d’animaux sauvages.

En effet, d’après certains spécialistes, la propagation des agents pathogènes pourrait échapper à la détection, même avec une surveillance accrue des marchés d’animaux sauvages. Cela serait en partie dû au trafic, qui voit chaque année des millions d’animaux traverser les frontières internationales. Par exemple, des 17 magasins inspectés au marché humide de Wuhan, aucun ne fournit de certificat d’origine ou de quarantaine, indiquant que les animaux étaient potentiellement vendus illégalement.

En effet, dans les mois qui ont suivi l’épidémie de coronavirus, les groupes de défense de l’environnement ont dénoncé une nouvelle fois le commerce illégal, qui est estimé à 23 milliards de dollars, et les risques de débordement zoonotiques qui y sont associés. En outre, entre mai 2017 et novembre 2019, un rapport révèle que sur les 38 espèces vendues sur le marché de Wuhan, 31 étaient des espèces protégées… un trafic et un commerce qui se moquent bien donc des réglementations pour se développer.

Les chercheurs affirment cependant que c’est surtout le commerce légal d’animaux sauvages qui présente le plus grand risque pour l’humanité. « Il est certain que nous ne voyons qu’une petite partie du trafic d’animaux sauvages, mais il faut comprendre que l’ampleur du commerce légal est, quant à elle, plus grande d’au moins [trois] ordres de magnitude », explique Vincent Nijman, anthropologue à l’université Oxford Brookes qui étudie le commerce d’animaux sauvages à Mongabay.

Des manquements dans l’inspection des cargaisons, une vérification de seulement 10% environ du commerce, des installations sanitaires inefficaces et des zones de quarantaines viciées, autant de facteurs favorables à de nouvelles infections zoonotiques.

« Le commerce légal est considéré comme peu risqué et certains pays ne prennent pas le problème au sérieux », Chris Shepherd, directeur général de Monitor, une association qui lutte contre le commerce d’animaux sauvages. Il explique que la majorité des animaux ne traversent pas les frontières : la capture et le commerce ont lieu sur le même territoire.

Au marché, les animaux sont exposés dans des conditions inhumaines. Les cages, qui contiennent des dizaines et des dizaines d’espèces totalement différentes, sont empilées les unes sur les autres de façon à former des tours les plus hautes possible. Les animaux en bas de la pile se retrouvent alors noyés de déjections et autres sécrétions de ceux d’au-dessus. Certains de ces animaux sont vendus pour leur viande, d’autres en animaux de compagnie, d’autres encore pour des « vertus médicales ».

« Les conditions d’hygiène dans les marchés à ciel ouvert, comme au Myanmar, au Cambodge ou au Laos, sont terrifiantes. Il n’y a aucune véritable mesure en place pour assurer que ces endroits ne sont pas des nids à maladies », affirme Chris Shepherd. « Ces marchés sont des bombes à retardement. »

 

Ce qu’en disent les gouvernements

La Chine avait réagi début avril 2020 et avait interdit, jusqu’à nouvel ordre, la vente et la consommation d’animaux sauvages terrestres tels que la civette ou le pangolin. Cependant, l’interdiction ne fait pas référence à leur utilisation médicinale ou encore à la détention d’animaux de compagnie, nous apprend la WWF. Certains marchés d’animaux sauvages, aussi appelés « marchés humides » ont été temporairement fermés. La Chine est également en train de réviser la liste des espèces chassables et commercialisables. Le Vietnam a annoncé qu’il voulait lutter plus assidûment contre le commerce illégal d’espèces sauvages et que des lois correspondantes seraient adoptées. Reste à voir maintenant de quelles façons ces lois seront effectives et quelles seraient les sanctions liées à son infraction.

Moro


Sources :

Mongabay : https://fr.mongabay.com/2021/11/la-biosurveillance-des-marches-et-du-commerce-despeces-sauvages-une-necessite-pour-limiter-le-risque-pandemique/
Nature : https://www.nature.com/articles/s41598-021-91470-2
One Cell : https://www.cell.com/trends/parasitology/fulltext/S1471-4922(21)00029-5?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS1471492221000295%3Fshowall%3Dtrue
WWF : https://www.wwf.ch/fr/stories/les-marches-danimaux-sauvages-un-risque-sanitaire-pour-le-monde-entier

Photo de couverture « Meat Market China » @Michael McCulloch/Flickr

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