Malgré la popularisation et la démocratisation des modes de vie alternatifs, les idées reçues sur les personnes qui choisissent de vivre autrement sont encore très nombreuses, créant un fossé regrettable entre la norme contemporaine et les imaginaires en construction. Quelques rappels bienveillants pour réduire les distances.
Avec la profonde sédentarisation de nos modes de vie, beaucoup pensent aujourd’hui que la seule et vraie vie possible se trouve dans l’habitat fixe et l’accumulation de biens matériels. Travailler toute son existence pour rembourser un véhicule, une maison et tout ce qui peut y entrer persiste, malgré les éveils de conscience, à incarner un gage de réussite sociale pour une majorité d’entre-nous.
En dehors des conditions économiques qui piègent les classes populaires dans le train de vie capitaliste classique, le mode de vie du consommateur moyen conviendra à beaucoup pour des questions de tranquillité, de confort et de sécurité. Ce n’est cependant pas le seul mode de vie viable. Certains échappent à ce modèle en adoptant concrètement d’autres formes d’existence au monde.
Pourtant, la société continue de les juger sévèrement. Même si les mentalités évoluent à force de médiatisation, on leur reproche encore souvent de vivre trop en marge, à l’écart, d’être de doux rêveurs ou des profiteurs inactifs. Prenons le temps d’observer ces préjugés.
Retour sur les préjugés qui empêchent de populariser la démarche et marginalisent parfois négativement ces personnes.
1. Ceux qui vivent de manière alternative sont asociaux
C’est l’une des idées reçues les plus répandues sur les personnes qui vivent autrement. Ce mythe persistant consiste à dire que ceux qui font le choix de vivre dans un habitat alternatif, mobile ou non, vivent nécessairement coupés du monde. Dans l’imaginaire, persiste cette image d’une cabane isolée au fond des bois où survivent péniblement des individus qui ne seraient plus en mesure de communiquer avec les gens de la société civile.
vivre autrement ne veut pas forcément dire s’isoler de tout.
Pourtant, avec l’émergence de la communication de masse et la facilitation des transports, vivre autrement ne veut pas forcément dire s’isoler de tout. Bien au contraire, aujourd’hui, la plupart des individus qui choisissent un mode de vie alternatif le font pour recréer du lien social, source de rapports humains sincères. Par opposition, vivre dans un centre urbain à la démographie dense ne signifie pas forcément être socialement actif. Dans le cas extrême de Tokyo, en dépit d’un accès facilité aux lieux de sociabilisation, l’isolement d’individus est particulièrement remarquable au point de voir émerger de nouveaux troubles psychologiques.
Il n’y a donc pas une seule manière de vivre autrement et d’avoir une vie sociale épanouie. Parmi ceux qui font ce choix, on trouve évidemment les personnes qui vivent sur les routes, en Tiny House, en Van, camping-car ou encore en camion aménagé. Ces nomades rencontrent continuellement du monde sur les routes comme sur les lieux d’arrêt. Des communautés se construisent précisément aussi autour du mieux partager-ensemble, souhaitant revaloriser les moments du quotidien et régler les problèmes inévitables de la vie en collectif. On trouve ces communautés partout en Europe, et celles-ci sont aujourd’hui le plus souvent connectées aux considérations du monde, respectant l’adage du « penser global, agir local ».
Peut-on seulement dire qu’ils quittent la société ? Pas vraiment. Ils quittent symboliquement une image d’une certaine société afin de mieux la repenser en profondeur, plus consciemment. Et par la même, font évoluer celle-ci vers une mixité nouvelle des modes de vie résilients.
2. Les personnes qui vivent autrement sont des utopistes qui « reviendront forcément à la réalité un jour ou l’autre »
Depuis notre naissance nous sommes tous inévitablement conditionnés par les structures de la société : étudier, trouver un emploi, fonder une famille, emprunter, se reproduire, et attendre la retraite en espérant grappiller quelques moments de bonheur et de liberté.
Ce modèle hérité de l’industrialisation où l’activité humaine s’est fortement localisée autour des usines se brise peu à peu en morceaux. La tertiarisation de l’économie, quant à elle, et l’apparition d’une économie du savoir et de l’information permet à de plus en plus d’individus de tester de nouveaux modes de vie, donc d’habitat.
Par revendication écologique, pour réduire leur impact sur l’environnement et/ou par envie de liberté, des personnes embrassent une manière alternative de vivre autant qu’une autre conception de la vie. Souvent, la question de la simplicité volontaire, véritable fracture avec le modèle consumériste dominant, est au cœur de ce choix.
Ces personnes mettent en place, parfois sans le réaliser pleinement, d’autres modèles économiques, écologiques, sociaux, qui fonctionnent et se nourrissent entre eux. Encore trop peu médiatisés et trop souvent caricaturés, les modes de vies alternatifs sont pourtant tout à fait viables sur le long terme. Grâce à l’internet, de nombreux exemples positifs alimentent les blogs et les réseaux sociaux, démontrant que tout est possible.
Qui dit choix, dit cependant renoncements, notamment à tout un univers de références confortables issues de nos années d’insouciances, autant de deuils qui ne sont toutefois pas forcément synonyme de sacrifices et peuvent laisser place à des imaginaires joyeux et constructifs.
3. Les personnes qui vivent en communauté sont des illuminés
C’est l’une des autres idées reçues parmi les plus tenaces : ceux qui vivent en communauté ou en marge seraient des illuminés guidés par des gourous fanatiques et/ou des préceptes d’un autre âge. Bref, des éco-terroristes en herbe qu’on qualifie autant de nuisibles (quand ils n’ont pas de moyens) que de bobo-écolo quand ils en ont de trop. Pourtant, les portraits en témoignent, hors cas de dérives comme il en existe dans tout mode de vie, la grande majorité des communautés sont simplement composées de personnes hétéroclites ayant tout bonnement fait le choix de vivre dans un environnement qui leur convient davantage. Rien de spectaculaire.
Dans son livre « Moins de biens, plus de liens« , Emeline de Bouver a étudié la vie de ces gens qui font le choix de vivre simplement. Elle y explique que ces personnes sont souvent issues de milieux universitaires, remettant également en question le mythe de l’écologiste-doux rêveur. Au contraire, une génération de plus en plus informée semble faire le bilan clair et raisonné de la situation du monde et un choix proportionné en conséquence, qui allie respect du monde et de soi-même à travers un regain de sens. Ils aspirent à un monde plus humain, plus solidaire et plus respectueux du monde vivant.
4. Ceux qui vivent de manière alternative sont des profiteurs
Vous l’avez sans doute déjà entendu, cet argument réducteur qui condamne avant de comprendre : « Mais comment font-ils pour vivre financièrement ? Encore des profiteurs qui vivent de l’aide sociale ?! » C’est là une croyance terriblement persistante. Vivre de manière alternative ne veut pas dire être inactif. Au contraire, la simplicité n’est pas le synonyme de facilité. Pouvoir faire une croix sur un grand nombre de besoins, choisir un habitat différent ou plus petit, nécessite des sacrifices importants et un réapprentissage de savoir-faire souvent menacés de disparaître, représentant ainsi un véritable atout quant à l’héritage immatériel de nos sociétés.
Si on sait aujourd’hui qu’il existe un grand nombre de possibilité de vivre du télé-travail, d’autres subsistent par l’intermittence, des fonds propres, le troc, l’activité saisonnière, le woofing ou tout simplement un emploi en contrats courts. Leur situation économique n’est pas toujours facile, mais ils participent à leur niveau à l’économie locale le plus souvent et participent à créer des voies parallèles aux sociétés traditionnelles capitalistes. Certes, ce mode de vie implique souvent d’utiliser de nombreux « systèmes D » pour vivre correctement, mais, si on questionne les intéressés, il en vaut la chandelle.
5. Ces personnes imposent leur mode de vie à leurs enfants
toute famille impose inévitablement à ses enfants son mode de vie, pour le meilleur comme pour le pire.
Quand on décide de vivre autrement et qu’on est en famille, on entraîne forcément ses enfants dans son mode de vie. C’est indéniable. Or, n’est-ce pas exactement la même problématique des familles sédentaires qui vivent au rythme du métro boulot dodo ? Dans tous les cas, toute famille impose inévitablement à ses enfants son mode de vie, pour le meilleur comme pour le pire. En réalité, on sous-estime très généralement la capacité des enfants à s’adapter à des situations différentes de la norme. Pour eux, ce mode de vie est leur norme et leur regard permet inversement de prendre conscience que les évidences d’une époque sont toujours subjectives et jamais innées.