Pérou, 2017. Rencontre intimiste avec Saul, paysan et guide de montagnes, investi pour la préservation de ses terres contre les affres d’un réchauffement climatique dont beaucoup continuent de nier la réalité malgré l’accumulation d’évidences scientifiques. En 2023, qu’est-il devenu ? Où en est-il ? Mise à jour. 

Saul Luciano Lliuya est un paysan péruvien et guide de montagnes dans les magnifiques paysages des Andes qui l’ont vu naître il y a 37 ans.

La fierté de la terre

En novembre 2017, avec sa famille, son épouse et ses deux enfants, Saul vivait, près de Huaraz dans le Nord du Pérou. Son petit village s’appelle Llupa, 350 habitants, une poignée de petites maisons à flanc de collines, entourées de terres cultivées. Saul est fier de faire visiter ses terres et ses cultures : des pommes de terre, du quinoa, du blé, du maïs, de l’orge,…

« En quelques années, les glaciers des Andes ont perdu 40% de leur surface et le phénomène s’accélère »

Sa maison modeste a une vue imprenable sur les sommets voisins et les glaciers. Saul est né ici et est un des premiers témoins de la fonte dramatique des glaciers des Andes. Quand il était enfant, les sommets étaient tout blanc 365 jours par an. « En quelques années, les glaciers des Andes ont perdu 40% de leur surface et le phénomène s’accélère », confie-t-il tristement !

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Le combat d’une vie

Ces dernières années, Saul est devenu un symbole de la lutte contre le réchauffement climatique et surtout de cette réalité très injuste : les pays développés sont les gros pollueurs de la planète, et les pays les plus « pauvres » souffrent en première ligne des conséquences de leur mode de vie. Un cynisme qu’il est important aujourd’hui d’exposer.

Saul, sa famille, les 350 habitants de Llupa, les villages voisins et les quelques 50.000 habitants de Huaraz vivent avec une menace constante au-dessus de leur tête. La fonte des glaces fait peser le risque d’une gigantesque inondation de toute la vallée, pouvant générer une catastrophe similaire aux deux glissements de terrain meurtriers qui ont ravagé la région au cours du siècle dernier.

Sans compter le risque de pénurie d’eau potable qui est déjà une réalité, car moins de glace en montagne offre moins d’eau douce dans la vallée alors qu’elle est la richesse première de ces peuples dont la subsistance dépend essentiellement du travail agricole. Ils vivent à la montagne, avec la montagne et ses rythmes. Pascal Sury recueillait à l’époque le témoigne de Saul pour Mr Mondialisation.

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Saul veut réagir. Il décide alors, avec l’aide de l’ONG allemande Germanwatch, de poursuivre en justice RWE, un gros groupe énergétique allemand, propriétaire du plus gros parc de centrales à charbon d’Europe : « RWE est le plus gros émetteur européen de C02 » selon les responsables de Germanwatch, « il est responsable d’environ 1% de toutes les émissions de gaz à effet de serre industrielle ».

Selon Arte, « Cette seule entreprise a émis plus de CO2 dans son histoire que le Pérou à lui tout seul ». Elle représente donc un symbole contre lequel Saul a décidé de mener une lutte. Son combat de « David contre Goliath » est dès lors une grande première sur le sol européen.

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Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Pour nous montrer un exemple concret des dégâts, Saul et sa petite fille de 7 ans nous conduisent sur le glacier Churup, situé à 4450m d’altitude, à deux heures de marche, en montée et à bout de souffle évidemment. Outre les témoignages directs et les relevés scientifiques, la fonte des glaces s’observe à vue d’œil, les lacs de montagnes, magnifiquement endormis au pied des sommets, gonflent d’années en années et menacent de craquer en déversant un tsunami d’eau et de boue dans les vallées environnantes.

Pour Saul, il n’y a qu’un seul responsable : les industries émettrices de gaz à effet de serre.

Pour Saul, il n’y a qu’un seul responsable : les industries émettrices de gaz à effet de serre. Il faut donc qu’elles en assument leur responsabilité. Saul Luciano Lliuya demande à la compagnie RWE de s’engager financièrement (0,5% du budget global) dans des travaux d’urgence de sécurisation des lacs de montagnes qui menacent de déborder.

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Une bataille juridique 

Alors en décembre 2015, il dépose une première plainte, quelques jours avant l’ouverture de la COP21 et un an après la COP20 où il avait rencontré les membres de l’ONG allemande de défense de l’environnement. En décembre 2016, sa demande en justice est rejetée : il est débouté par le tribunal de Essen où se situe le siège de RWE. Même si le défi est grand et la partie encore loin d’être jouée, Saul espère encore à ce moment-là pouvoir gagner ce combat.  

Sa persévérance paye : le 13 novembre 2017, son cas est réétudié en appel devant la Haute Cour Régionale de Hamm en Allemagne. Et le 30 novembre, cette dernière accepte d’examiner la requête du paysan péruvien : la recevabilité d’une telle plainte est alors une première mondiale. Après un retard du processus d’enquête causé par la crise du Covid-19, une délégation de neuf juges et experts allemands est envoyée au Pérou en 2022 pour vérifier les observations de Saul. 

Depuis, Saul n’a cessé de poursuivre son combat contre le géant industriel. Au cours des six dernières années, il a mené à bout de bras sa lutte pour la justice en faveur du son peuple et des peuples victimes des pollutions criminelles d’un marché déconnecté. La chaîne Arte a continué de suivre son parcours pour délivrer en août 2023 un documentaire réalisé par Barbara Lohr : Pérou-Allemagne : le paysan contre le géant de l’industrie. 

Le verdict est encore attendu à l’heure actuelle, et bien que Lliuya assume ouvertement auprès de la BBC que son « procès ne sauvera pas la planète », il reste persuadé que quelque chose devait être fait.

Retour en 2017. En venant plaider sa cause, Saul découvrait la vie occidentale en Allemagne. Il décrivait alors une vie « ultra connectée et déconnectée de la nature », mais pour lui, la nature fait partie intégrante de son existence : ses champs, ses animaux, ses montagnes, elle lui donne cette énergie folle pour se battre pour la survie de sa région et de sa famille. Son mot de la fin est à la fois simple et factuel : « si personne ne fait rien, dans quelques années, il n’y aura plus de glaciers ». Et ainsi disparaîtront, dans l’indifférence des masses, nombre de lieux uniques et leurs communautés.

– Pascale Sury pour Mr Mondialisation


Photo de couverture : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

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