Le café de spécialité est une filière avec peu d’intermédiaires et où le prix du café est négocié directement entre les fermiers et les importateurs/torréfacteurs qui sont généralement des petites plantations familiales ou avec peu d’employés. Logiquement, ce sont aussi les premiers touchés lors de crises mondiales et l’actuelle pandémie de coronavirus, loin d’être résorbée à l’échelle du monde, le démontre hélas une nouvelle fois : retour sur le vécu des fermiers pendant cette crise mondialisée.
La chaîne d’approvisionnement du café n’a pas été épargnée par les retombées désastreuses de la quarantaine mondiale. La distanciation sociale imposée par nos gouvernements pour plus d’un tiers de la population terrestre signifie qu’une quantité importante de cafés, restaurants et lieux autour de ce grain devenu si commun sont restés au point mort. Conséquence directe ; les entreprises achètent moins de café que d’habitude même si le digital a pris le relai, et de février 2019 à février 2020 l’exportation des arabicas a baissé de 11% (1).
Ce marché du café est mondialement régulé par le New-York Coffee Exchange pour le cours de l’Arabica et la bourse de Londres pour le Robusta, qui ne prennent en compte ni la qualité du café ni les méthodes de production. En temps habituel, c’est un des secteurs les plus dévalorisants pour les fermiers, qui ne récoltent que quarante centimes par kilo -soit vingt-quatre euros par sac vendu- (2). Nous estimons à l’heure d’aujourd’hui que les cafés dits « de spécialité » représentent environ 5% de la totalité des exportations. Aux États-Unis cette part est montée à presque 30%, l’Australie suit avec 20%, tandis qu’en France ou en Italie, elle n’est pas plus haute que 2%… Pourquoi ? Majoritairement car elle écrasée par la mécanisation et la production de lots de basse qualité ne nécessitant pas de main d’œuvre humaine, en vente partout de manière abordable (3).
En France nous connaissons bien le vin. Nous parlons désormais en vins naturels, en vins bio ou vins dits conventionnels. C’est désormais pareil pour le café avec cette appellation « de spécialité ». Un café dit de spécialité est (selon la SCA – Specialty Coffee Association) un terroir noté au minimum à 80 points sur 100, selon un protocole de notation réalisé directement en amont et fortement régulé, car n’acceptant que très peu de défauts. Ces terroirs ne peuvent être issus que d’un modèle agroécologique pérenne et durable. Devant respecter des conditions de culture précises, il est impossible donc de les trouver commercialisés sous la marque de grands groupes, le label bio étant un label indépendant.
Aujourd’hui, 75% de la production mondiale caféière est réalisée par de petites exploitations agricoles, familiales pour la plupart (4). Fragiles, celles-ci sont directement confrontées aux fluctuations de ce marché, leur viabilité dépendant principalement du prix de vente direct de leur produit. Prix du marché largement impacté par les géants du secteur. En effet, les multinationales présentes sur ce marché sont responsables de la hausse exponentielle du prix du café. Elles achètent à grande échelle des lots récoltés industriellement sans grand respect pour le terroir ou la saisonnalité, investissent dans les coopératives locales dans le but d’uniformiser et mécaniser les procédés de production et fermentation, achètent de plus en plus de parcelles pour les contrôler et sont responsables de l’appauvrissement et de l’acidification des sols en imposant une agriculture entièrement pétro-chimique, encerclant les petites exploitations et les polluant, sans égard pour leur travail…
Ces grands groupes réalisent ensuite des assemblages de café dits ‘‘blend’’ (mixte), sur-torréfiés, pré-moulus et emballés sous-vide pour en cacher les défauts et revendus au kilo de cinquante à cent fois plus cher qu’il ne l’est acheté au fermier. Nous avons appelé ceci l’avènement industriel des Trente Glorieuses, sans nous préoccuper plus de ces pays entièrement dépendants de leur production caféière, comme le Burundi, l’Ouganda ou l’Éthiopie, dont plus de la moitié des revenus annuels dépendent de l’exportation du café. En Amérique Centrale, nous sommes à la période où les cafés sont habituellement préparés pour la vente et l’exportation. En raison du Coronavirus, la plupart des acheteurs et des importateurs ont suspendu leurs achats ou ont dû drastiquement ralentir leurs commandes.
Alors, comment vivre de ce marché complexe et précaire, quand les frontières ferment une à une, et que les « coffee shops » ou autres lieux de dégustation de ce breuvage restent portes closes pendant des semaines ? Trois fermiers impactés par le COVID-19, témoignent de leur situation :
Au Costa-Rica, Alejo Castrok, propriétaire d’une plantation, rapporte qu’il a pu continuer à travailler avec ses collaborateurs seulement car sa plantation est un terrain privé où il reste confiné, lui évitant de longues années au ralenti, s’il avait dû stopper ne serait-ce que quelques semaines sa production. Sa vision reste authentique et intègre : « Je ne souhaite pas fermer certains postes ou diminuer les salaires, mais chercher à être plus efficient en réfléchissant où injecter mes fonds en priorité car la demande est différente maintenant. Il faut que nous fassions face à la diminution de certaines commandes et au retard des bateaux/containers ne pouvant partir, sous risque de pénalités financières. Il est sûr que sans l’importante solidité des partenariats et des échanges que nous avons grâce à cette filière entre fermiers, importateurs de café vert et torréfacteurs, avec qui la communication est quotidienne, nous ne pourrions faire face à cette situation, ni essayer de chercher des solutions ensemble. »
L’Association Du Café de Spécialité base ses prix planchers sur les prix fixés par les deux bourses, mais les prix de vente sont librement fixés avec le fermier lui garantissant un meilleur revenu, une plus-value, même petite, engendrant forcément une spécialisation dans la même direction pour limiter les difficultés. Avec la quarantaine, cette plus-value s’est soudainement réduite, mais pour Alejo Castrok : « Ne pas faire partie du marché boursier permet de garantir des partenariats pérennes et récurrents, permettant d’investir en retour dans nos plantations pour les améliorer, ou dans les forêts alentours. J’ai décidé, pour ma part, d’investir dans la conservation des forêts (5) et ainsi prendre en charge la conservation de 1500ha de forêts costaricaines. » Alejo est un acteur majeur permettant à de nombreux projets locaux d’être mis en place dans sa communauté et aux alentours.
Direction le Brésil, où la cueillette a commencé pendant la quarantaine, chez Clayton Barossa. Très impliqué dans le café de spécialité dans son pays natal, il travaille en agroécologie depuis plus de quinze ans et cherche aujourd’hui « à aider les plus petites fermes à s’adapter à la crise car absolument tout y est artisanalement réalisé, de la cueillette au séchage. » Ses employés vivant dans sa ferme ou bien à côté, ainsi il peut leur assurer un espace de travail en accord avec les règles sanitaires de la crise. Clayton a le même discours que son voisin Costa-Ricain : « Pour être durable et pérenne il nous est vital d’avoir une connexion entre les fermiers producteurs, les torréfacteurs et les baristas en coffee shop. Aujourd’hui il y a déjà quelques torréfacteurs travaillant en ce sens, valorisant la ferme et l’origine des cafés qu’ils vendent, achetant à un prix juste (6), et surtout racontant l’histoire de nos terroirs, ajoutant une petite mais utile valeur ajoutée à chaque tasse. Mais pas assez. Et j’espère qu’avec cette crise, nous obligeant à concentrer nos efforts sur le digital avec des ventes en ligne et des vidéos explicatives, nous continuerons à créer plus de lien direct avec nos consommateurs du bout du monde. »
Clayton est sûr qu’avec les changements induits par la sensibilisation aux problématiques environnementales couplées à la quarantaine, de plus en plus de personnes vont commencer à consommer directement en ligne directe et ce nouveau mode de consommation peut garantir la pérennité des cafés de spécialité et donc des petites fermes. À l’instar de son slogan ; « Si vous voulez produire pour cinq ans, vous plantez du café. Si vous voulez produire pour vingt ans, vous plantez des arbres (5). Si vous voulez produire pour cent ans, vous éduquez les enfants et préparez les futures générations ! » il a mis en place un programme avec les écoles locales pour apprendre l’agriculture durable comme matière à part entière aux enfants de 6 à 10 ans et ainsi encourager de futures alternatives agricoles.
Au Nicaragua, Benjamin Weiner nous accueille chez Gold Mountain Coffee Growers, où la situation est beaucoup plus critique. Tous sont concernés par la pandémie et les risques sanitaires, mais encore plus inquiets quant aux problèmes de nourriture et à l‘insécurité économique frappant aujourd’hui les communautés locales, dont nombreux sont ceux qui ne peuvent plus, aujourd’hui, simplement se payer à manger. Benjamin est très présent dans l’amélioration des conditions de vie pour les communautés locales (comme l’installation de l’eau courante pour l’école) et la transmission de savoirs et valeurs agricoles aux jeunes générations.
À la plantation, tous continuent de travailler ne pouvant se permettre de ralentir, sous peine de ne plus pouvoir produire et de devoir patienter au minimum cinq années pour retrouver leur équilibre économique d’avant le Covid-19. Ils respectent donc les directives sanitaires requises (masques, gel hydroalcoolique et distance de sécurité) bien que travaillant à la machette et à la main pour plus de précision. Ils utilisent les camions de la plantation pour transporter les travailleurs évitant ainsi les transports publics. Benjamin insiste : « Il faut davantage de travail en amont pour produire une bonne tasse de café que pour produire un verre du meilleur vin du monde. Faire pousser des arbres pendant des années sans rien récolter, cueillir plusieurs fois pendant des mois afin de respecter la maturation naturelle des cerises de café, fermenter les cerises récoltées, les laver, les sécher, trier les cerises trop petites ou défectueuses, ‘‘déparcher’’, tout stocker et trier à nouveau pour finalement exporter, ne sont que les principales étapes, que l’on réalise entièrement par nous-mêmes. Les cafés de spécialité et toute la chaîne qui en découle ont besoin de valoriser davantage le dur labeur des fermiers et des communautés locales, dans le but de rester durables et pérennes. Nous adorons par exemple quand les torréfacteurs avec qui nous travaillons viennent nous rendre visite, cela renforce cette connexion qui nous est vitale. »
Un seul constat, nous sommes dépendants les uns des autres à travers ce que nous consommons. Sans producteurs et fermiers, les exportateurs, importateurs, torréfacteurs et cafés/boutiques ne peuvent exister et nous sommes de ce côté du monde, sans café. Sans torréfacteurs engagés et sans consommateurs sensibilisés, ils ne sont rien, si ce n’est à la merci des multinationales qui n’attendent que de pouvoir en prendre possession. Une seule solution, éviter les mixtes industriels qui ne peuvent exister qu’à travers l’exploitation systématique et mondialisée, au profit de cafés locaux, achetés idéalement en ligne directe ou en magasin spécialisé. La bonne nouvelle, c’est que le prix n’est pas nécessairement plus élevé ! En effet, la généralisation des capsules de café, avec leurs machines qui drainent une série de pollutions inutiles, le prix du café auquel nous sommes habitués est généralement plus élevé au kg que du café produit avec respect du vivant et des travailleurs. Alors, dans ce monde qui tourne au ralenti, Benjamin, Clayton, Alejo et tous les autres comptent sur nous pour faire la différence.
Mo Knoll
Notes
(1) ICO trade statistic table ‘’exports of coffee by exporting countries’’
(2) Tefera Aberu
(3) E.Dias, M.Portannier, J.Vergne, SCA
(4) Blackgold ‘Economics of Coffee’ and ICO
(5) Forêts : Le caféier étant une plante adorant l’ombre et l’humidité, l’agroforesterie est une des premières formes de production des cafés de spécialité, protégeant l’écosystème et favorisant la complexité et la délicatesse des terroirs et le renouvellement naturel des sols. Mais sous ombrage, perte de productivité, les multinationales n’hésitent donc pas à augmenter l’ensoleillement donc la croissance (et la mort rapide) des caféiers. (SCA)
(6) Prix juste : supérieurs à ceux fixés par les bourses de Londres et New-York. (Source NCA & SCA)
Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Afin de perpétuer ce travail, soutenez-nous aujourd’hui par un simple thé ?☕