Sous les toits d’une ancienne caserne, près de cinq cents hommes, femmes et enfants partagent un quotidien singulier au sein d’un centre d’hébergement, Les Cinq Toits, géré par l’association Aurore. Venus d’ici ou d’ailleurs, ils sont réfugiés, demandeurs d’asile, travailleurs sociaux, voisins, associations, entrepreneurs, artisans et artistes. Pour quelques temps, ils construisent ensemble un projet : celui de faire vivre un espace ouvert à tous fondé sur l’hospitalité et la rencontre. Michaël Mosset, un encadrant technique aux Cinq Toits, a recueilli les réflexions de cinq résidents et travailleuses sociales durant le temps du confinement. Des témoignages accompagnés d’un portrait réalisé avec une streetbox (ou afghanbox), un appareil photo de rue qui permet de donner directement un exemplaire de leur photo aux concernés… NB : tous les portraits ont été recueillis sans filtre durant le confinement.

Ibrahim

© Michaël Mosset

« J’essaye de tirer seulement les aspects positifs du confinement. J’ai essayé de faire un programme dans lequel je ne m’ennuie pas. Le matin je me réveille, je chauffe de l’eau citronnée, je nettoie l’appartement, je cuisine, je descends faire du sport, je fais de la lecture, et le soir je descends dans la cour.

Et puis j’ai essayé de faire aussi un travail d’introspection. J’ai même arrêté de fumer. Le fait que beaucoup de gens soient restés à la maison, ils savent ce que ça fait de rester à la maison, d’avoir peur de sortir.

J’ai compris par ce fléau que les caprices de la nature ne tiennent pas compte de la classe sociale des Hommes et d’aucune autre différence quelconque. Quand elle est généreuse elle offre à tout le monde et de même quand elle est désastreuse elle fait subir à tout le monde. La nature est juste envers l’Homme et nous devons l’être aussi envers elle. En guise de reconnaissance je suggère que tous les Hommes soient justes envers la nature en la protégeant contre la dégradation climatique. Je retiens aussi que l’Homme se croit fort par sa puissance économique, militaire ou financière, en un mot son confort matériel. Mais la nature l’a démenti et démontré que la puissance de l’Homme réside dans le cœur, dans le ressenti, sa capacité émotionnelle, faire attention les uns des autres, l’entraide, l’union, la communication, l’entente et l’humilité. »

Jofrine

© Michaël Mosset

« J’avais la volonté de faire des masques, je passe mon temps à faire les masques. Je couds bien les masques, je me défends. Je n’ai pas compté combien j’en ai fait, une centaine.

Le travail s’est arrêté, la famille où je travaille n’est pas là. Ils sont partis pour le confinement. J’ai pas de contrat, elle m’avait promis un contrat pour début mai mais avec le confinement, j’ai pas eu. On devait faire un contrat même avant. Il faut attendre. C’est vraiment embêtant, ça dérange. Ça fait vraiment du bien de travailler, tu t’épanouis un peu, tu es libre, tu ne dépends pas de quelqu’un quoi.

Là financièrement c’est un peu dur parce que mon mari lui aussi a fait le confinement mais le salaire c’est moitié, c’est pas comme ils avaient dit donc c’est un peu difficile. Comme beaucoup de familles nous sommes tous dans la maison, au moins je me distrais avec les masques.

Le petit ne vas pas aller à la crèche, c’est un enfant malade, j’ai peur de l’amener. Je préfère attendre 1 mois, voir comment ça va se passer.

J’ai peur parce que dans les transports je sais pas qui je vais rencontrer, j’ai vraiment peur. Même après je vais pas sortir tous les jours, je vais pas prendre le métro, pour éviter un peu.

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Franchement la vie s’est arrêtée en quelque sorte, on n’est plus libres de faire ceci on n’est plus libres de faire cela. Je peux dire j’ai perdu mon travail parce que je sais pas si elle va encore me prendre ou pas, je ne sais pas si on va encore signer un contrat, il y a plus de questions qui passent par la tête. »

Béhija & Sophie

© Michaël Mosset

« On est aussi invisibilisées que les populations dont on s’occupe. Les populations qu’on prend en charge ici ce sont les invisibles, les gens qu’on ne veut pas voir, les grands oubliés, la grande précarité.

Dans les professions qui sont citées lors des allocutions présidentielles, quand on parle des professions qui sont importantes pendant le confinement, les gens qui sont essentiels, et bah on ne parle pas de nous tu vois. Après on sait qu’ils ne peuvent pas citer tout le monde, il y a plein de métiers qui sont oubliés. On nous parle de prime et cætera, déjà je pense que nous on est les derniers concernés par les primes et au-delà de ça, au lieu de donner des primes, ce qui est déjà bien, c’est plutôt revaloriser les salaires, les conditions de travail de toutes ces professions en fait.

S’ils n’avaient pas accès à un ordinateur, à internet, même une boîte mail, alors que tous les devoirs ça passe par là, si nous on était pas capables de gérer le truc et de recevoir tous les jours les emails pour les cinquante-six enfants du centre, les dispatcher, expliquer les consignes… même nous en gérant il y a quand même eu des décrochages. Il y a des enfants qui ont décroché parce qu’on ne peut pas tous les suivre. Au niveau de l’accompagnement des parents, il y a des parents qui n’ont pas été scolarisés, même s’ils parlent français ils n’écrivent pas forcément le français, ils ne lisent pas le français donc le suivi au niveau des parents c’est compliqué. Du jour au lendemain, les enfants ils ont été coupés de tout, des bénévoles qui venaient ici, de l’école, du soutien scolaire, du point d’accueil jeune où ils allaient faire leurs devoirs.

Souvent, les gens ils pensent qu’on ne fait que de l’administratif mais s’ils voyaient toutes les choses qu’on fait, on n’est pas que derrière un bureau à remplir des papiers. Il y a des gens qui veulent juste venir nous voir pour parler, ou juste pour nous voir, ça les rassure. Avec le confinement, on s’est dit à plusieurs reprises qu’on n’avait pas le temps d’offrir ce temps de parole aux gens et qu’on devait essayer de le prendre au maximum parce que tous les suivis psys ont été coupés, donc les gens ont encore plus besoin de venir vers nous. Il y a une profonde angoisse qui est sortie de ce confinement, les gens n’ont plus tous les espaces de décompression qu’ils avaient avant, ce qui fait que quand ça pète c’est sur nous que ça tombe. On est tout, profs d’école, psys, coiffeuses pour les enfants ! Infirmières quand il y a des petits bobos, on fait tout. »

Robert

© Michaël Mosset

« Ce qui me faisait beaucoup de bien c’était de marcher. Je pourrais marcher juste pour marcher mais c’est pas motivant. Souvent je retrouvais un copain pour aller au restaurant, maintenant lui il est dans sa banlieue et moi je suis là. C’est surtout le fait de ne pas pouvoir sortir, ce n’est pas vraiment le restaurant en lui-même tu vois. C’était le fait de partir de là.

Moi je ne peux pas être un jour sans parler. Je ne pourrais pas être dans ma chambre tout le temps, c’est petit et tout ça, mais aussi le fait de parler aux gens c’est important.

Il paraît qu’on est qu’au début de ce qui nous attend. Le réchauffement climatique, ça va impliquer la fonte des glaces au pôle nord. Ils ont dit que ça allait nous libérer des quantités de virus qui sont dans les glaces donc on n’a pas fini de se taper des conneries comme ça. Tous les gens que j’écoute sur des radios, des gens de haute volée, ils disent que ça vient de comment on a traité la nature depuis pas mal de temps.

De toute façon beaucoup de choses sont dues à la primauté donnée à l’argent par rapport à la qualité de vie. Parce qu’on vit une époque où du moment que ça rapporte, c’est bien.

Moi je ne supporte pas de ne pas être libre. Là c’est un frein qui est mis à notre liberté. Mais je comprends qu’il faille faire ça, parce que c’est gravissime. »

Zabiullah

© Michaël Mosset

C’est difficile de rester tous les jours dans la maison. Travailler c’est plus facile. Je ne sais pas quand je vais recommencer à travailler, je continue à être payé même si je ne vais pas travailler, mais ce n’est pas bien, je préfère travailler pour gagner mon argent.

Je ne fais rien la journée. J’écoute un peu le journal, je regarde youtube pour apprendre le français, trente minutes tous les jours. À l’école c’était plus facile d’apprendre, tout seul c’est difficile. Le soir avec un ami on parle et on écrit un peu en français. Je lui demande les choses que je n’ai pas comprises. Petit à petit.

Avant je faisais mes courses à la Chapelle. Maintenant je vais dans le quartier mais c’est trop cher, 1 kilo de viande c’est entre 16 et 18 euros. À la Chapelle 1 kilo de viande de mouton c’est 10 euros.

Le soir, tout le monde descendait dans la cour avec sa chaise. On préparait le café, le thé et à manger et on venait partager dans la cour. On parlait, parfois jusqu’à 3 heures du matin. Après chacun retournait chez soi pour dormir, maintenant c’est fini. Le travail ça me manque aussi. Partir au travail, revenir à la maison le soir, faire la cuisine, manger, dormir et le lendemain repartir au travail, ça c’est très bien. Quand on reste tous les jours dans la maison, tout nous manque.

En Afghanistan, il y a le coronavirus maintenant et toujours les attaques des Talibans. Tous les jours il y a la guerre. On a une grande maison de famille en Afghanistan, la semaine dernière ils ont tiré et cassé tous les carreaux des fenêtres. Toute ma famille était dans la maison, ils étaient allongés sur le sol pour se protéger. Après, des avions sont arrivés et des bombes ont été lâchées. C’est tous les jours comme ça. Ça fait 40 ans que c’est comme ça. Je ne sais pas pourquoi.

Photos et propos recueillis par Michaël Mosset (à retrouver sur facebook)


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