Le dérèglement climatique impose chaque année des étés de plus en plus chauds : depuis 2015, les températures mondiales n’ont cessé de croitre. En ville, les canicules à répétition provoquent de nombreux dégâts, en particulier sur la santé humaine. Des milliers de décès liés à ces températures extrêmes sont ainsi enregistrés chaque année. Pourtant, ce phénomène n’est pas inexorable : une nouvelle étude estime qu’un tiers des disparitions attribuables à la chaleur estivale pourrait être évité. La solution ? Augmenter la couverture végétale des villes pour atteindre 30% de surface arborée.
Selon le dernier rapport de l’Institut européen Copernicus, les huit dernières année ont été les huit plus chaudes jamais enregistrées. Durant cette période (2015-2022), la température moyenne annuelle était supérieure de 0,3°C à la période de référence 1991-2020, ce qui équivaut à environ 1,2°C de plus que la période 1850-1900, précédant l’industrialisation. Ces chiffres ne sont pas étonnants : ils corroborent malheureusement les constats cinglants dressés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) depuis 1990.
Les vagues de chaleur se succèdent
Depuis quelques années, les vagues de chaleur intenses et prolongées se succèdent en Europe occidentale et septentrionale. La persistance de faibles niveaux de précipitations, associée à des températures élevées et à d’autres facteurs climatiques, entrainent une sécheresse généralisée. En 2022, le Système européen d’information sur les feux de forêt décompte pas moins de 988 283 hectares de forêts brûlés, libérant malgré elles 40 mégatonnes de dioxyde de carbone (CO2) et pas moins de 87 mégatonnes de méthane (CH4), de quoi charger lourdement l’atmosphère et accélérer encore le changement climatique.
En ville, la situation est quelque peu différente. Si les habitants ne sont pas encore menacés directement par les flammes, un autre phénomène devrait réveiller leurs inquiétudes : les ICU ou îlots de chaleur urbains. Définis comme des élévations localisées des températures en milieu urbain par rapport aux zones rurales ou forestières voisines ou par rapport aux températures moyennes régionales, ces phénomènes sont favorisés par la massification des villes.
Un modèle urbain à bout de souffle
Avec une population grandissante, les espaces publics sont de plus en plus minéralisés, les activités urbaines rejetant de l’air chaud se multiplient (chauffage, climatisation, industries, circulation routière ou éclairage public) et la densité du bâtiment agit comme un capteur de chaleur diurne, ensuite restituée pendant la nuit, alors qu’elle limite également la circulation des vents rafraichissants.
Ce réchauffement urbain semble aujourd’hui en voie d’aggravation et n’est pas sans conséquence : inconforts thermiques, insuffisances respiratoire, maladies cardiovasculaires, cérébrovasculaires, neurologiques et rénales et même mortalités prématurées… En plus d’augmenter la consommation énergétique urbaine, les ICU menacent sérieusement la santé humaine.
« La combinaison du réchauffement climatique dû au changement climatique et de l’expansion de l’environnement bâti mondial signifie que l’intensification des îlots de chaleur urbains (ICU) est attendue, accompagnée d’effets néfastes sur la santé de la population », expliquent ainsi Tamara Iungman, biologiste à l’Institut de santé mondiale de Barcelone.
Des solutions à portée de main
Malgré l’ampleur du phénomène, des solutions existent. Certains d’entre elles paraissent même évidentes, comme la limitation des surfaces minéralisées, la végétalisation des bâtiments et des espaces urbains, la rétention de l’eau par le sol ou dans des bassins, l’écoconstruction et la valorisation des modes de transport sans émissions.
Une équipe de chercheurs dirigée par Mark Nieuwenhuijsen, directeur de l’Urban Planning, Environment and Health Initiative chez ISGlobal, a tenté d’estimer le nombre de décès évitables liés aux îlots de chaleur urbains en 2015. Leur étude, publiée le 18 février dans la revue scientifique The Lancet, estime qu’un tiers des décès survenus cet été-là à cause de la chaleur auraient pu être évités en Europe si la couverture végétale urbaine était plus importante.
Plus d’un tiers des décès liés aux ICU pourrait être évité
Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques se sont basé sur les taux de mortalité des résidents âgés de plus de 20 ans dans 93 villes européennes (un total de 57 millions d’habitants), entre juin et août 2015, et collecté des données sur les températures rurales et urbaines quotidiennes pour chaque ville. « Dans un premier temps, ils ont estimé la mortalité prématurée en simulant un scénario hypothétique sans îlot de chaleur urbain. Deuxièmement, ils ont estimé la réduction de température qui serait obtenue en augmentant le couvert arboré à 30 % et la mortalité associée qui pourrait être évitée », décrypte le journal scientifique ScienceDaily.
Les résultats de leurs calculs sont en appel : 2 644 décès auraient pu être évités en 2015 si la couverture arborée des villes européennes atteignait en moyenne 30% de leur surface totale, sur les 6700 décès prématurés attribuables aux effets des ICU.
« Nous avons estimé que l’augmentation de la couverture arborée à 30 % refroidirait les villes de 0,4 °C en moyenne. Nous avons également estimé que 2 644 décès prématurés pourraient être évités en augmentant la couverture des arbres de la ville à 30 %, ce qui correspond à 1,84 % de tous les décès estivaux », notent les chercheurs qui estiment avoir démontré les effets délétères des îlots de chaleur urbains sur la mortalité. Selon eux, l’étude révèle également les avantages sanitaires de l’augmentation de la couverture arborée, permettant de refroidir les environnements urbains mais également d’accéder à un modèle urbain plus durable et plus résistant aléas climatiques.
Tour d’Europe
Actuellement, les villes européennes enregistrent en moyenne des températures supérieures de 1,5°C par rapport à la campagne environnante selon les données de l’étude. Dans l’hexagone par exemple, Paris grimpe à 2,5°C de plus que sa périphérie, alors que Strasbourg se limite à +1,14°C. Marseille et Lyon enregistrent quant à elles +1,81°C et 1,73°C. En Grèce, Thessalonique bat tous les records avec une température supérieure de +2,74°C par rapport à la campagne alentour.
Sans surprise, les villes dont le thermomètre grimpe le plus sont aussi souvent celles qui détiennent une surface végétale moindre. À titre d’exemple, Paris est de loin la ville comptant la plus faible couverture arborée (5%), à distance de Nice (23%) ou Nantes (18%). Seules trois villes européennes atteignent déjà les 30% de surface végétale recommandée par les auteurs de l’étude. Il s’agit de Genève, Berlin et Oslo. Si chaque zone urbaine du continent leur emboitait le pas, la température en ville baisserait en moyenne de 0,4°C l’été, de quoi améliorer considérablement la santé de leurs habitants.
À chaque ville sa stratégie
En résumé, l’étude met en évidence les avantages substantiels de planter plus d’arbres dans les villes, bien que ses auteurs reconnaissent aussi les difficultés pratiques qu’entrainerait l’entérinement d’une telle mesure dans certaines métropoles européennes
« La vulnérabilité à la chaleur change d’une ville à l’autre en fonction de plusieurs facteurs. Comprendre les avantages de politiques telles que l’augmentation du couvert forestier peut aider à éclairer les actions visant à réduire les risques et à prévenir les décès évitables, en particulier avec le changement climatique », conclut Antonio Gasparrini, professeur de biostatistique et épidémiologie à la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM) et l’un des auteurs de l’étude.
– L.A.
Photo de couverture : Maraudes – plan canicule © Croix-Rouge française – COM 75 – Benjamin Vancrayenest. Source : Flickr