Devenu tout puissant, le lobby laitier a réussi à imposer à une bonne partie de la population mondiale l’idée que le lait est indispensable à notre organisme. Pourtant, ce produit pose beaucoup plus de problèmes qu’il n’en résout, tant sur les plans sanitaires qu’éthiques et environnementaux. Décryptage d’une industrie qui nous tue à petit feu. 

Le lait est consommé par de nombreuses espèces animales juste après la naissance pour se développer rapidement. Mais l’être humain est le seul à continuer cette pratique une fois arrivé à l’âge adulte ; pour y parvenir, il a dû asservir d’autres animaux.

Une habitude relativement récente

Comme tous les autres animaux, l’être humain n’est génétiquement pas programmé pour tolérer du lait après l’enfance. Et c’est d’ailleurs tout à fait logique, comme l’explique le média Passeport Santé :

« Des mammifères adultes capables de boire le lait réservé aux nourrissons mettraient leur propre espèce en danger. En cessant la production de la lactase, l’enzyme qui permet de digérer le lactose, ils permettent aux nouveau-nés de jouir de l’exclusivité du lait de la mère, et donc de favoriser la survie de l’espèce. »

Pour les intolérants, prendre du lait en trop grande quantité peut conduire à des effets indésirables comme des crampes à l’estomac, des ballonnements ou des diarrhées. C’était d’ailleurs le cas de nos ancêtres qui ont commencé à consommer cette denrée en même temps qu’ils ont inventé l’agriculture, il y a environ 10 000 ans. À l’époque, le lait est donc essentiellement consommé par les enfants.

C’est ensuite par hasard que l’être humain découvre le fromage. Il se rend vite compte que transformer ainsi le lait favorise à la fois la conservation mais aussi la diminution du taux de lactose, ce qui permet aux adultes de mieux le digérer. Par la suite, c’est finalement une mutation génétique qui a permis le développement de la consommation de lait, notamment en Europe. Cette modification, qui s’est répandue il y a 4000 ans, a en effet fait perdurer la production de lactase à l’âge adulte chez bon nombre d’individus.

Mais loin d’être mondiale

Pour autant, ce gène est très loin d’être présent chez tout le monde et cette réalité s’impose particulièrement d’un point de vue géographique. Ainsi, si seuls 40 % des Européens seraient toujours intolérants (ce qui est déjà beaucoup plus que ce que l’on pourrait penser), le chiffre grimpe entre 50 et 80 % en Amérique du Sud et même jusqu’à 95 % en Asie !

Malgré ces contraintes, les lobbies, bien aidés par de nombreux gouvernements occidentaux, ont réussi à développer un marché florissant et en constante croissance. Alors que plus 5,2 milliards d’êtres humains ont du mal à digérer le lactose, 6 milliards consomment pourtant des produits laitiers ! D’abord concentré sur l’Occident, cette habitude s’est ensuite propagée dans le monde entier, en particulier dans les pays émergeant qui aspirent souvent vivre d’une manière identique.

Une production effrénée

Résultat, la production ne cesse d’exploser depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sur le globe, elle est passée d’un peu moins de 350 milliards de tonnes en 1961 à 888 milliards en 2020. D’après les projections de la FAO, ce chiffre pourrait même dépasser les 1000 milliards d’ici 2030.


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La France est incontestablement l’un des meilleurs exemples du phénomène puisqu’elle a dynamité sa consommation juste après la guerre. Ainsi de 1950 à 1960, la production a doublé dans l’hexagone.

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Le verre de lait quotidien institué par Pierre Mendes-France à l’école dès 1954 n’y est sans doute pas pour rien. Si cette initiative devait lutter contre l’alcoolisme (il n’était pas rare à l’époque de donner du vin ou de la bière aux enfants), elle a surtout représenté une magnifique opportunité financière pour les industriels.

Photo de Museums of History New South Wales sur Unsplash

Une manne financière colossale

Derrière ces arguments sanitaires se cachent donc d’énormes intérêts économiques. Utiliser les enfants pour écouler la gigantesque quantité de lait des Européens (dont provient également une immense partie de la production de viande) est en outre une idée mise en place par la communauté européenne en 1976 lorsqu’elle décide d’offrir du lait à tous les écoliers.

Toucher en premier lieu les plus jeunes, c’est aussi l’assurance de fidéliser de futurs consommateurs majeurs. D’abord parce que les préférences gustatives se forgent dès les premières années ; ainsi, un enfant à qui on aura appris à aimer les produits laitiers deviendra un adulte qui continuera à en acheter.

Ce processus se vérifie d’autant plus que cette denrée alimentaire contient une protéine qui provoque une certaine dépendance : la caséine. Particulièrement présente dans le fromage, elle libère un composé chimique (la casomorphine) lors de la digestion qui a des propriétés apaisantes sur le cerveau. À en croire les chercheurs, ce phénomène rendrait le fromage aussi addictif que l’alcool ou la cigarette.

Et si les industriels déploient autant d’effort pour nous inciter à consommer leurs marchandises, c’est pour les bénéfices colossaux qu’ils génèrent. Ainsi, en 2021, le secteur a rapporté pas moins de 871 milliards de dollars dans le monde.

Matraquage des cerveaux

Et pour arriver à s’immiscer dans les foyers de milliards d’individus sur la planète, les professionnels du domaine ont réussi à introduire une certitude dans l’esprit de bon nombre d’entre nous : le lait est bénéfique pour la santé, et même, nécessaire !

Pour y parvenir, le lobby concerné (le CNIEL dans l’hexagone) s’est d’abord appuyé sur de monstrueuses campagnes publicitaires dont la cible est bien souvent les enfants eux-mêmes. En France, il est par exemple très difficile d’échapper au célèbre slogan : « Les produits laitiers sont nos amis pour la vie » répété dans plusieurs réclames depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui.

Et au fil des années, l’interprofession du lait a entrepris de séduire les plus jeunes en innovant sur ses spots publicitaires. On l’a vue par exemple faire appel à l’univers des contes ou des fables. Plus récemment, il a également enrôlé de célèbres youtubeurs comme Mister V ou Squeezie, pour toucher un public toujours plus large.

Séduire le jeune public

Plus récemment encore, les publicités se sont modernisées en adoptant un style d’animé japonais, faisant appel à la doubleuse Brigitte Lecordier, célèbre pour avoir été la voix de Son Goku, héros de Dragon Ball Z.

À chaque fois, les spots emploient toujours la même technique : le lait est presque associée à un super pouvoir qui aiderait à devenir fort et à « bien grandir ». La vache est systématiquement présentée comme heureuse de vivre et de fournir son lait dans des élevages idylliques et en plein air.

Dans l’air du temps, la filière a été jusqu’à produire une publicité centrée sur le thème de l’écologie à coup de greenwashing, assurant que le lait contribuerait à « préserver la biodiversité », et réduirait « ses émissions, sa consommation d’eau, et d’énergie ». Une image évidemment très éloignée de la réalité.

Infiltrer les écoles

Pour autant, la propagande du lobby du lait ne se limite pas à la publicité. Celui-ci a également infiltré le système éducatif. Il n’est par exemple pas rare que des salariés de l’industrie se fassent passer pour des diététiciens et réussissent à entrer dans des écoles pour dispenser leurs éléments de langages qui ne reposent sur aucune rigueur scientifique.

Le lobby de la viande utilise d’ailleurs exactement les mêmes méthodes. Et même si rien n’est imposé dans les programmes scolaires, s’ils ne sont pas informés, les enseignants pourraient être tentés de reprendre tout simplement les recommandations des autorités.

Pour ne rien arranger, les paysans, et en particulier les producteurs laitiers, sont déjà dans une grande souffrance à cause d’un manque de soutien de l’État et d’un système mondialisé basé sur la concurrence et sur lequel les gros industriels ont la mainmise. Dans ces conditions, les gouvernements ne se risquent pas à aller à contre-courant des fermiers en incitant à consommer moins (voire plus du tout).

Les produits laitiers sont-ils vraiment bons pour la santé ?

C’est dans ce contexte que l’on voit apparaître un peu partout la recommandation de prendre entre deux et trois produits laitiers par jour. C’est par exemple ce qu’explique l’agence nationale de sécurité sanitaire, notamment sur le site mangerbouger.fr.

La plupart de ces suggestions s’appuient sur le calcium fournis par les produits laitiers. Et effectivement, un verre de lait renferme à lui seul pas moins de 30 % des apports quotidiens conseillés. Bien incitée par une lourde communication, la majorité des Français continue d’ailleurs à puiser deux tiers de ce dont elle a besoin en calcium dans les produits laitiers.

Danone, première usine du secteur laitier en France. Wikimedia.

Pourtant, les scientifiques ont mis en lumière le fait que l’absorption de protéines animales causerait l’acidification de l’organisme et des « fuites de calcium ». Autrement dit, plus on consomme de protéines animales, plus nos besoins en calcium sont grands. Un véritable cercle vicieux.

Des troubles possibles

Comme expliqué plus haut, le lait peut également entraîner certains troubles digestifs pour les intolérants au lactose, bien que ceux-ci puissent demeurer asymptomatique. Mais il se pourrait qu’il ne s’agisse pas du seul inconvénient.

Il reste néanmoins très compliqué d’évaluer les risques liés à la prise de produits laitiers tant les études (dont celles commandées par les lobbies eux-mêmes) sur le sujet semblent contradictoires, notamment en termes de cancer ou de diabète.

Pour autant, les produits laitiers comportent suffisamment d’acides gras saturés pour poser problème s’ils sont consommés en trop grande quantité, d’autant plus s’ils sont associés à des aliments carnés qui en renferment également. Une difficulté qui pourrait incontestablement générer des ennuis cardiovasculaires.

Le calcium contenu dans le lait n’est pas non plus une garantie d’éviter l’ostéoporose comme l’ont longtemps expliqué les professionnels du secteur. La vitamine D et l’exercice régulier sont aussi des facteurs prépondérants pour se préserver de futures fractures.

Le lait n’est pas indispensable

Si la dangerosité du lait est probable à haute dose, sa nécessité n’a en tout cas rien d’évident. De nombreux scientifiques et structures assurent d’ailleurs que l’on peut tout à fait s’en passer.

C’est le cas, par exemple, de l’académie de nutrition et de diététique (la plus grande association de nutritionnistes au monde), des diététiciens du Canada, du service national de santé britannique, ou encore des ministères de la Santé du Brésil, d’Afrique du Sud ou de Nouvelle-Zélande, qui reconnaissent tous qu’il est possible d’adopter une alimentation végétale, sans risque pour la santé, et ce à tout âge de la vie.

Un désastre environnemental

Au-delà des aspects sanitaires, l’industrie laitière pose de gros problèmes environnementaux. En effet, l’élevage, qu’il soit réalisé pour la viande ou le lait (même si les deux secteurs sont étroitement liés), demeure une très importante source de gaz à effet de serre.

Ainsi, les fermes laitières en produisent six fois plus qu’elles n’en stockent. L’élevage est en outre responsable à lui seul d’au moins 12 % des émissions de l’humanité, d’après la FAO. Même si elle est encore loin de la viande (67 % du total), l’industrie laitière représente tout de même 30 % de cette part.

Pour autant, le sujet climatique n’est pas l’unique problème engendré par ce type d’agriculture. Elle nécessite en effet énormément d’eau, spécifiquement pour le conditionnement des marchandises. En plus d’utiliser l’eau, cette industrie est aussi coupable de sa pollution, en particulier aux antibiotiques, ce qui favorise l’antibiorésistance. Une question pourtant cruciale dans une ère où la sécheresse va se faire de plus en plus pesante.

En outre, lorsque les animaux ne peuvent pas être nourris par pâturage (notamment en hiver), ils doivent de fait consommer des cultures fourragères parmi lesquelles on retrouve des céréales (souvent produites à grands coups de pesticides) ou même de tourteaux de soja, responsable de la déforestation en Amérique du Sud.

Une industrie cruelle

Pour couronner le tout — et c’est peut-être le plus important — l’industrie du lait est enfin extrêmement cruelle pour les animaux. Même si les exemples du petit élevage local où les bêtes sont censées être choyées peuvent être brandis, il faut garder à l’esprit que la quantité de laits consommés par l’humanité est absolument incompatible avec ce type d’installation à grande échelle.

Pour produire suffisamment, avec si peu de moyens humains, il est en effet impossible de faire autrement qu’en traitant des êtres sensibles comme des marchandises.

Parmi les victimes du secteur, on peut citer les vaches et les veaux de sexe masculin. Parce qu’évidemment, pour faire du lait, il est nécessaire d’inséminer les vaches, ce qui conduira inévitablement à la naissance d’une progéniture. Or les mâles ne pourront pas à leur tour devenir des machines à lait comme le sont les vaches.

Ils sont ainsi très rapidement séparés de leurs mères (ce qui constitue une grande violence psychologique) pour qu’ils ne boivent pas le lait confisqué pour la consommation humaine. Isolés, ils sont nourris avec un mélange à base de poudre de lait et d’huile de palme, issu des déchets de l’industrie. Ils sont ensuite entassés avec d’autres veaux et élevés en bâtiments fermés sur des caillebotis, dans 91 % des cas.

Au bout de cinq à six mois (alors qu’ils pourraient vivre vingt ans), ils sont finalement envoyés à l’abattoir où ils seront tués pour finir dans nos assiettes. Et comme les gens s’attendent à de la viande blanche lorsqu’ils mangent du veau, ces animaux sont souvent volontairement anémiés par les producteurs.

Le destin des femelles n’est pas plus reluisant. Destinée à produire toute leur existence de manière intensive, elles subissent grossesse sur grossesse et leur traite ne s’arrête jamais. L’ex-professeur en sciences vétérinaires à l’université de Bristol, John Webster, estimait d’ailleurs, dans les années 80, que cet effort colossal équivalait à 6 h de courses par jour pour un être humain.

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Écornées dès leur plus jeune âge, elles endureront bon nombre maux durant leurs années de vie d’exploitation. On peut par exemple évoquer des inflammations au niveau des mamelles, des infections de l’utérus ainsi que diverses lésions aux pattes. Pour terminer cette triste vie, lorsqu’elles ne sont plus assez rentables, vers l’âge de 8 ans, les vaches laitières sont finalement envoyées à l’abattoir avant de finir également dans nos assiettes.

Des alternatives existent !

Heureusement, contrairement à ce que tentent de faire croire les professionnels du lait, il est tout à fait possible de se passer de ce produit et de ces dérivés. En effet, le calcium nécessaire à la croissance et la solidité de nos os se trouve à profusion dans le monde végétal. Ces sources sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont mieux absorbées par l’organisme.

Les légumineuses comme le soja, les haricots, les pois chiches ou les fèves sont ainsi particulièrement intéressantes dans cette optique. Certains légumes, comme le chou ou les brocolis, et certains fruits comme l’orange, sont aussi de bonnes alternatives. Dans la même veine : quelques oléagineuses notables, comme les graines de chia et de sésame ou encore les amandes.

Pour les accrocs au lait, pâtisseries et autres chocolats chauds, comment ne pas évoquer enfin les variantes à base de plantes en la matière ? Il existe en effet de nombreux types de laits végétaux enrichis en calcium. Dans le domaine, il y en a pour tous les goûts ; soja, noisettes, avoine, amandes, coco, riz, etc.

Par ailleurs, on compte aussi une ribambelle des produits imitant le fromage pour satisfaire les plus dépendants. Enfin, on peut même acheter des préparations infantiles végétales, validées par les autorités sanitaires, pour nourrir les bébés lorsqu’une mère ne peut ou ne souhaite pas donner le sein.

On l’aura compris, se passer des produits laitiers n’a absolument rien d’insurmontable aujourd’hui. S’il est facile de rester en bonne santé en le faisant, franchir le pas paraît tout à fait censé lorsque l’on sait la cruauté de cette industrie envers les animaux et les agriculteurs, mais aussi les ravages qu’elle entraîne sur le plan environnemental.

– Simon Verdière


Photo de couverture de Providence Doucet sur Unsplash

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