Mercredi 31 janvier au soir, des militant·es écologistes ont collé dans Paris des affiches pour soutenir le mouvement agricole et appeler à la grève générale, ainsi que promouvoir un concept de plus en plus populaire et d’ores et déjà expérimenté à Dieulefit, Strasbourg et Montpellier : la « sécurité sociale de l’alimentation » (SSA). Explication.
L’action de collage du 31 janvier a été soutenue par différents mouvements et associations écologistes dont Greenpeace, la Confédération PEPS (Pour une écologie populaire et sociale) ou encore Youth for the Climate. Son message fédérateur : une sécurité sociale alimentaire (SSA).
Mais de quoi s’agit-il exactement ? Et, surtout, pourquoi n’en entend-on pas suffisamment parler ?
Avant tout, sensibiliser à l’urgence
Le projet de SSA a fait l’objet d’une tribune publiée par le média Reporterre en 2020, signée notamment par la Confédération Paysanne. Il est perçu par le milieu militant comme une réponse à la fois à l’inflation, mais aussi à la crise que connaît une grande partie du monde agricole.
Or, débat politique par excellence, il peut être perçu comme trop technique par l’opinion publique qui a du mal à s’en emparer. Dernièrement, le collectif Riposte Alimentaire a donc médiatisé le sujet lors d’une action au Louvre, inoffensive mais suffisamment bruyante pour parasiter les médias, durant laquelle des écologistes ont aspergé de soupe la vitre de sécurité de la Joconde.
110 ans plus tard des militant•es écologistes s'attaquent aux vitres d'œuvres avec de la soupe, qui ne touchent qu'au pire, le cadre
— artistiquement on se balade 👁 (@Mhkzo) January 28, 2024
« L’alimentation, c’est une inégalité qui me choque »
Durant cette mobilisation du 31 janvier dernier, Jérôme*, colleur et militant écologiste, nous explique qu’il a depuis longtemps fait le choix de l’agriculteur bio dans son alimentation afin de protéger l’environnement. Toutefois, il se sait privilégié de pouvoir effectuer des achats qui ne sont pas accessibles à toutes et tous, surtout alors que l’inflation met en difficulté une grande partie des français·es.
Il se dit choqué par cette inégalité sociale et considère cette sécurité sociale de l’alimentation comme une réponse efficace et concrète à la détresse économique des individus, ainsi qu’à la souffrance des agriculteurs.
« Oui, il y a des oppositions, par exemple sur la gestion de l’eau ou sur les normes écologiques de la FNSEA qui ne sont pas les nôtres, mais il faut arrêter d’humilier et de diaboliser le monde agricole, lui-même rendu malade par ce modèle » déclare le militant qui dénonce la fausse opposition dans laquelle on place le secteur agricole et les défenseurs de l’écologie.
« On vient se réconcilier »
Alors que certain·es, comme Karine le Marchand lors de sa distribution de croissants sur un blocage des agriculteurs, ont joué la culpabilisation des consommateurs qui pourraient « changer la donne et arrêter de manger de la merde », les militant.es ont davantage conscience que tous les foyers n’ont simplement pas accès à ces produits locaux, dont les prix sont parfois bien supérieurs à des produits importés.
Ne répondant pas aux normes françaises ou européennes, ces derniers sont en effet plus accessibles aux budgets des ménages déjà usés par l’augmentation du prix de certains produits, de l’électricité, de l’essence, des logements, etc. Ainsi, la Banque Alimentaire estime aujourd’hui que 7 millions de personnes sont en situation de précarité alimentaire.
7 millions de personnes sont en situation de précarité alimentaire.
En quoi consiste la SSA ?
Concrètement, ce concept porté par le Collectif pour la Sécurité Sociale de l’alimentation depuis 2019, a pour objectif de sortir du modèle de production agricole dicté par le capitalisme à travers un système solidaire basé sur le même principe que la sécurité sociale où chacun verserait une cotisation sociale selon ses revenus.
Ainsi, les plus précaires percevraient une aide alimentaire d’un certain montant leur permettant d’acheter des produits de qualités et locaux dans des magasins/AMAP répondant à certains critères et ainsi être sécurisés au quotidien alors que l’alimentation est une source de stress très forte pour les plus pauvres.
Cette version améliorée des bons alimentaires, en plus de permettre de financer l’agriculture locale au juste prix, serait selon Jérome* un moyen de sortir les paysans de l’isolement dont ils souffrent, pouvant les pousser jusqu’au suicide.
En effet, la mise en place organisée d’un statut de « directe-producteur » permettrait de récréer le lien entre celui qui produit et celui qui consomme. En opposition au système déshumanisé que peuvent représenter les grandes surfaces actuelles, ce lien renforcerait le pouvoir des territoires qui seraient décisionnaires dans ce système.
Si l’idée peut sembler utopique, elle fait en réalité son bout de chemin à travers les expérimentations locales en cours et donne un nouveau souffle à la réflexion sur un avenir où écologie et système de production agricole seraient réconciliés et où l’humain, paysan comme consommateur, pourrait vivre et se nourrir dignement sans détruire son environnement.
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