Réparer votre iPhone 6 (ou 6 Plus) dans une boutique non-agréée par Apple risque de vous couter très cher. À travers la dernière mise à jour d’iOS 9, la multinationale introduit « l’Erreur 53 », une mesure détruisant le téléphone en cas de réparation « maison » ou par un professionnel non-agréé. C’est « une révolution » pro-obsolescence dont le monde se serait bien passé.
L’obsolescence programmée est l’ensemble des techniques utilisées par les industriels pour réduire la durée d’utilisation d’un produit, soit en écourtant physiquement la durée de vie, soit en influençant le consommateur dans ses choix. En matière d’obsolescence, Apple ne semble reculer devant rien pour pousser les acheteurs à ré-envisager un nouvel achat le plus tôt possible. Après les batteries collées, l’obsolescence logicielle et les changements de connectiques, voici l’interdiction de faire réparer librement son téléphone : l’erreur 53.
Votre téléphone transformé en « brique »
C’est The Guardian qui révèle que des milliers d’iPhone 6 auraient été désactivés depuis la dernière mise à jour, après que l’appareil ait détecté une réparation maison ou par un technicien n’appartenant pas à la maison mère. Ainsi, une simple réparation d’écran ou le remplacement du bouton « home » de l’appareil peut le rendre parfaitement inutilisable après installation de la dernière mise à jour d’iOS 9. Le téléphone est alors « briqué » (“bricked”) et devient irréparable, même en passant par l’Apple-store. Toutes les données personnelles se voient également perdues. Des experts techniques questionnés par le journal anglais estiment qu’Apple était au courant de cette manœuvre mais n’a rien fait pour prévenir les utilisateurs qui ont donc eu une bien mauvaise surprise en ce début 2016. Des milliers d’entre eux avaient notamment fait réparer leur téléphone avant la mise à jour fatidique.
Apple iPhone Error 53 explainer: iPhone owners are on the warpath after their phones have been bricked by what… https://t.co/Oi9IApPRmw
— Australian Headlines (@AussieHeadlines) February 6, 2016
Au delà de la colère légitime des milliers d’utilisateurs touchés par la mise à jour et des futures personnes qui ne pourront plus réparer librement leur appareil, il y a ces cas particuliers auxquels on ne pense pas. On peut notamment citer l’histoire du journaliste et reporter de terrain Antonio Olmos spécialisé dans la crise des réfugiés en Macédoine. Celui-ci a fait malencontreusement tomber son appareil lors d’une intervention en septembre dernier et fut contraint de le faire réparer en urgence par une petite boutique locale pour pouvoir communiquer. Après la mise à jour, l’appareil fut soudainement inutilisable. Les membres d’un Apple-store londonien lui ont confirmé que l’appareil était bon pour la poubelle, l’obligeant à en acheter un neuf. « Cette histoire est à peine croyable. Comment une entreprise peut-elle délibérément rendre ses produits inutilisables avec une simple mise à jour sans même prévenir ses utilisateurs ? En dehors des pays industrialisés, les magasins Apple sont rares et un smartphone endommagé ne peut être réparé que dans des magasins alternatifs » s’indigne le reporter.
Une manœuvre qui peut rapporter gros
Les avantages pour Apple d’un tel système sont multiples. Tout d’abord, c’est un message clair aux centaines de millions d’utilisateurs d’iPhone à travers le monde qui devront désormais obligatoirement se rendre dans un magasin officiel pour faire réparer leur téléphone, y compris pour un détail comme la fixation d’un bouton ou le remplacement d’un écran brisé. Une manière de s’assurer le monopole de la réparation du produit. Deuxièmement, selon toutes probabilités, les personnes qui faisaient appel à un réparateur non-agréé cherchaient surtout à éviter les prix fixés par la pomme, soit entre 109 et 129 euros (selon le modèle) pour le seul changement de l’écran. Une partie de cette clientèle sera nécessairement tentée d’investir dans un appareil neuf. Par ailleurs la marque cherche à vendre son assurance AppleCare+ vendue à 99 euros et qui « offre » la réparation pour 69 euros partout en France.
Dans tous les cas de figures, la manœuvre profite à l’entreprise au détriment du secteur de la réparation. En persistant dans cette voie, en tant que marque la plus vendue dans le monde, la multinationale tente purement et simplement de porter un coup dur au marché naissant de la réparation de smartphone et aux associations qui font du bidouillage électronique le centre de leur activité, souvent pour des raisons écologiques. Mais si la marque maltraite ses consommateurs, ne risquent-t-ils pas en toute logique de s’en éloigner au profit de la concurrence ? Dans les faits, on constate qu’aucune des décisions controversées de la marque, ni même les révélations quant aux conditions de travail chez ses sous-traitants chinois ou encore sa politique d’évasion fiscale massive, n’entament les marges de profits ni même le nombre de ses clients. Aujourd’hui, la marque possède dans les 200 milliards de dollars en réserves de cash et la marche ne semble pas s’essouffler.
Deux logiques, deux avenirs
Deux logiques diamétralement opposées s’affrontent en ce moment même dans l’indifférence générale (ou presque). La première, celle d’Apple et d’autres grandes firmes qui font passer l’intérêt financier à court-terme avant toute chose, même si ceci met en péril l’avenir de l’humanité. Quand la marque vend 74,5 millions d’iPhone 6 en 3 mois, son activité pèse lourdement sur l’environnement, d’autant plus quand les filières d’approvisionnement des ressources n’ont rien de socialement soutenables. Cette fuite en avant productiviste se base sur la croyance aveugle dans l’infinité des ressources disponibles et un déni de la crise écologique pourtant profondément liée à la consommation de masse.
Repair-cafe. Image : Johannes Arlt
La seconde, marginale à ce jour, consiste à une volonté assumée de produire des objets durables dans le temps, démontables, recyclables et surtout réparables. C’est notamment le combat de la société néerlandaise Fairphone (téléphone juste) dont le nouveau modèle est conçu pour être totalement réparable. La marque allant même jusqu’à offrir le mode d’emploi « do it yourself » et les pièces détachées pour chaque type de réparation. La coopérative s’assure également des salaires équitables tout au long de la chaine de production ainsi qu’un approvisionnement en minerais qui ne laisse pas du sang sur les main de l’utilisateur. Il est clair que la victoire d’une de ces logiques sur une autre, dans les marchés dominants comme la téléphonie mobile, orientera lourdement l’avenir de l’humanité et notre capacité à gérer la raréfaction des ressources.
De son côté, la société tentaculaire au logo de pomme ne s’est pas vraiment excusée pour cette gageure. Face à la colère des utilisateurs, Apple s’est justifié en affirmant que cette désactivation n’est autre qu’un mécanisme de protection des consommateurs. Une explication évasive qui convainc peu. Un cabinet d’avocats de Seattle, aux Etats-Unis, envisage de lancer une action en justice contre Apple.
UPDATE – 20 février 2016
Suite aux pressions des consommateurs et après plusieurs jours d’errance communicationnelle, Apple s’est officiellement excusé concernant cette affaire. L’erreur 53 n’était pas un système de protection des données comme précédemment affirmé par la pomme mais un système qui ne devait pas, disent-ils, être livré aux utilisateurs. « Nous nous excusons pour la gêne occasionnée. [Ce système] a été conçu pour des tests en usine et il ne devait pas affecter les clients. Ceux qui ont payé pour un remplacement hors garantie de leur appareil peuvent contacter AppleCare pour un remboursement ». La note sur le site d’assistance parle simplement d’obtenir des informations « sur la tarification des réparations hors garantie ». Apple propose donc en téléchargement une nouvelle version iOS 9.2.1 (build 13D20) qui fixe l’erreur sans pour autant réactiver la fonction Touch ID du téléphone. (source)
Sources : lefigaro.fr / theguardian.com / Image à la une iCare Yakima