Alors que le nombre de personnes s’opposant à la chasse ne cesse de croître, la France demeure le pays d’Europe dans lequel cette pratique prend le plus de place à l’échelle nationale. Entre méthodes barbares et « prélèvements » inutiles qui ne font qu’aggraver la situation, la réglementation est loin d’être suffisante et l’indifférence de l’État est déplorable. La peur viscérale des éleveurs face aux prédateurs, notamment le loup qui est depuis longtemps le bouc-émissaire des problèmes qu’ils rencontrent, n’est qu’un ingrédient supplémentaire à cet enchevêtrement d’hostilités.
Tandis que certaines pratiques agricoles demandent à laisser toujours moins de place à la faune sauvage, des éleveurs ont récemment décidé de prendre eux-mêmes les armes. En août 2019, une vidéo a été diffusée sur Internet et dans plusieurs médias, présentant des personnes armées et cagoulées avec pour message, des menaces de mort à l’encontre du loup, accusé d’attaques multiples sur leurs troupeaux. « Le Front de libération du Champsaur va entrer en action » : Une mise en scène sinistre, semblable à une parodie du groupuscule terroriste FLNC (Front de libération nationale corse). La vidéo a été tournée devant une plaque du Parc national des écrins, un espace naturel protégé.
Cerise sur le gâteau, la secrétaire générale de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) 05 a déclaré : « On sait que c’est illégal mais on les comprend et on les soutient ». Les syndicats demandent aujourd’hui, notamment, la possibilité d’abattages en zone cœur du parc. Alors que le quota de 90 prélèvements pour l’année 2019 du plan national loup a déjà été atteint, celui-ci a été rouvert, autorisant l’éradication de 10 canidés supplémentaires. Il va de soi que cette affabilité de l’État face aux activistes agricoles ne résoudra aucunement leur problème et ne fait que s’ajouter aux multiples violences que subit la nature sauvage et qui affaiblissent la résilience de cette dernière.
Et cet acharnement inhumain et destructeur contre le loup ne date pas d’hier. En 1937, la pression agricole avait conduit à l’éradication totale sa population du territoire français, jusqu’à sa réapparition en 1992. Aujourd’hui, ce que les éleveurs ne comprennent pas, c’est que l’abattage des loups, quels que soient les quotas définis, n’est en aucun cas une solution à la prédation. C’est même tout l’inverse, comme le montrent de plusieurs études internationales. Pour plus d’informations sur le sujet, on n’invitera les curieux à relire une étude exposant comment tuer les loups ne sert à rien. On y apprend même que « dans 43% des cas, au contraire, les dégâts infligés aux troupeaux augmentent après la mise en place de la mesure d’abattage ». Et ceci s’explique simplement par le fonctionnement même de la nature, la faim provoquée par l’abatage des loups « alpha » engendrant davantage d’attaques. Encore faut-il prendre le temps de l’écouter.
La peur des éleveurs façonne la barbarie mais ne l’excuse pas
L’acharnement contre le loup est donc fondé sur une ignorance, des croyances et un obscurantisme lourdement ancré dans les esprits. Comme on croyait aux sorcières hier, au point de tuer des femmes célibataires de nos campagnes, c’est le loup (parmi d’autres espèces) qui est toujours victime de la bêtise humaine sans qu’on semble capable de pouvoir y remédier, tant les intérêts économiques nous aveuglent. Pourtant, seules les mesures préventives, non létales, sur le temps long, ont démontré leur efficacité pour réduire les attaques. On retrouve parmi elles le gardiennage des troupeaux, les clôtures électrifiées et la présence d’un chien de protection (patou) dressé adéquatement. Oui, tout ceci demande des moyens humaines, techniques et économiques probablement plus importants que la mise à mort.
Et pourtant, ces moyens de prévention sont principalement financés par l’État. Alors pourquoi ce comportement belliqueux en sachant que la grande majorité des attaques ont lieu sur des troupeaux non protégés (comme dans les Hautes-Alpes) ? À qui la faute ? Pourquoi une telle indifférence réactionnaire ? D’autre part, les principaux problèmes que rencontrent les éleveurs ne sont en aucun cas imputables au loup, les causes de mortalité des ovins étant diverses et variées, le plus souvent inévitables. Selon les données disponibles, les loups n’ont qu’une infime part de responsabilité dans la mort d’animaux d’élevage et les pertes liées à ces attaques sont indemnisées par l’État. On fait donc face à un non-sens total, la demande de tirs à l’aveugle par soif de vengeance, un exutoire inutile baigné d’infamie.
Il faut également noter que ce prédateur se nourrit en grande majorité de proies sauvages telles que les mouflons, jouant un rôle naturel de régulation comme le renard. Sachant que ceux-ci sont soumis à un plan de chasse en France, le gibier est raréfié pour le loup qui doit alors compléter son alimentation avec des animaux d’élevage. Ne va-t-il donc pas de soi que la résolution de cette problématique rencontrée par les éleveurs repose sur la remise en cause des pratiques de chasse pour lesquelles le prétexte malhonnête de « régulation » ne tient, de toute évidence, pas la route ? Plus le nombre d’ongulés sauvages sera élevé, moins les élevages en pâtiront, c’est mathématique. D’ailleurs, les experts ne manquent pas de rappeler que les loups jouent un rôle déterminant et positif sur les écosystèmes et la biodiversité comme le montre l’exemple le plus populaire de leur réintroduction dans le parc national de Yellowstone, aux États-Unis. Une histoire racontée dans un documentaire allemand diffusé sur Arte : « Le retour des loups – Une chance pour le parc de Yellowstone », réalisé par Jürgen Hansen et Simone Stripp.
Cet acharnement anti-loup s’ajoute à celui que l’on peut voir à l’encontre du lynx et de l’ours, notamment dans les Pyrénées, bénéficiant d’un désintérêt condamnable de la part de l’État. La délinquance de certains activistes agricoles radicalisés s’étend même aux agents de l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage), chargés de la réalisation des constats de dégâts causés par les ours, permettant aux éleveurs d’être indemnisés. Ceux-ci ont dû suspendre leur activité dans deux vallées de l’Ariège en raison d’agressions sur leur personne par des anti-ours. La tolérance de l’État face à l’ensemble de ces violences bien réelles commises en dépit du fait que la France soit plus que généreuse en indemnisations pour les éleveurs de montagne, est inadmissible à l’heure même où des militants « climat » sont gazés à bout portant en plein Paris au prétexte d’un simple sit-in. On tiendra que cet argent des indemnisations est celui du contribuable qui, en grande majorité, trouve inacceptable l’abattage d’espèces protégées sous prétexte que celles-ci représentent un risque.
Ajoutons enfin que les éleveurs désespérés ne sont pas les seuls à agir contre la faune dans l’illégalité, le braconnage est toujours d’actualité et fait également beaucoup de dégâts. Par exemple, très récemment, des agents de l’ONCFS ont interpellé trois personnes qui chassaient illégalement des animaux la nuit (sangliers, chevreuils et lièvres) depuis cinq ans dans les Hautes-Pyrénées. Avec plus de trente morts à leur actif, ils ont admis le plaisir qu’ils tiraient de leurs parties de chasse nocturnes et le caractère amusant de ces dernières. Et ce ne sont pas les seuls adeptes des « sensations fortes » du braconnage nocturne. Malheureusement, il n’est pas facile de les prendre la main dans le sac et les réseaux ne sont pas toujours démantelés. L’impact sur certaines populations d’animaux ainsi que sur la sécurité des personnes vivant dans ces zones reste considérable.
Derrière le masque de la régulation, une simple soif de sang
La chasse est aujourd’hui un loisir qui se prétend indispensable à l’équilibre de la faune mais s’apparente plutôt à une association de pompiers pyromanes. Entre abattage des prédateurs (qui sont, rappelons-le, les seuls véritables régulateurs de la nature) et méthodes barbares telles que la chasse en captivité, la malhonnêteté des arguments qui se veulent défenseurs de la chasse est chaque jour plus flagrante.
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Dans son enquête « Carnage derrière le grillage », L’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages) dénonce la cruauté de la chasse en enclos qui concerne jusqu’à 100 000 animaux élevés, voire importés d’autres pays, et détenus dans environ 1 300 terrains privés. Source de revenus pour les propriétaires, ces parcs permettent aux chasseurs de traquer des ongulés (sangliers, daims, cerfs, chevreuils et mouflons) sans que ceux-ci n’aient une chance de s’échapper des enclos. Et le sadisme ne s’arrête pas là selon le témoignage d’un enquêteur : « Comme ils sont sûrs de l’avoir, ils ne le tuent pas tout de suite. Il faut s’être amusé avec ». C’est ainsi que des sangliers tentent de fuir pendant de longues heures, souffrant de blessures que leur infligent les chiens durant la course, sous les yeux des chasseurs qui ne se gardent pas de cacher leur jubilation. Quelle humanité reste-t-il dans l’indolence, voire la jouissance, face aux cris d’agonie d’un être vivant ?
Au-delà de l’abomination que représente cette pratique, ces élevages sont un non-sens écologique total en sachant que les chasseurs réclament constamment des quotas de prélèvement plus élevés sous le prétexte des difficultés qu’ils éprouveraient à réguler les populations de sangliers en liberté. L’absurdité de la chose est d’autant plus frappante que des sangliers, parmi d’autres animaux, sont régulièrement importés d’autres pays, sans transparence concernant leur origine, posant de surcroît, un réel problème sanitaire. La chasse en captivité doit être interdite d’urgence selon l’ASPAS, la qualifiant de « cruelle et totalement aberrante sur le plan écologique ».
Cette méthode n’est pas la seule à mettre en avant l’incohérence des sophismes allégués par les chasseurs. Alors que les oiseaux disparaissent des campagnes à une vitesse alarmante, parmi les pratiques dites « traditionnelles », nous retrouvons la chasse à la glu, qui consiste à dissimuler des tiges en bois recouvertes de colle dans les branches des arbres. Ceci permet de capturer les oiseaux qui se posent sur une colle forte. Un volatile capturé est placé dans une cage afin qu’il puisse attirer d’autres oiseaux de son espèce qui se feront alors tirer dessus par les chasseurs. Toutefois, cette méthode atroce ne garantit en rien que seuls les membres des espèces visées (comme les merles noirs et les grives) seront englués. Par ailleurs, les populations des oiseaux ciblés étant en déclin, elles ne nécessitent en aucun cas de régulation.
Maintenir en place ce type de pratique constitue un véritable danger pour la biodiversité. En 2017, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) a demandé à interdire cette méthode, requête qui a été rejetée par le Conseil d’Etat. Cette « tradition » est à ce jour autorisée dans cinq départements (Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse). Une plainte a été déposée contre la France par la LPO, devant la Commission européenne. L’argument de la tradition, « on le fait parce qu’on l’a toujours fait », est plus qu’absurde et relève d’un manque profond de maturité d’esprit et d’un positionnement réactionnaire, empêchant toute remise en question d’un système empreint de cruauté et sans égard pour la vie.
Quant au caractère « naturel » de la chasse, autre argument avancé pour défendre ce loisir, il est tout aussi réfutable. La chasse est naturelle lorsqu’un prédateur s’y adonne pour survivre. Pour l’Homme, elle est majoritairement une partie de plaisir, un divertissement à part entière, avec l’utilisation d’armes toujours plus élaborées et ce, souvent, pour tuer des animaux venant d’être lâchés dans la nature. La pollution au plomb n’a, elle non plus rien de naturel, et c’est pourtant un grave fait qui accompagne la chasse avec 8 000 de tonnes de ce métal lourd déversées chaque année dans la nature en France. Ce chiffre faramineux s’élève à 21 000 tonnes pour l’Union européenne. La découverte de la toxicité du plomb ne date pourtant pas d’hier. Elle peut être source de grave intoxication pour les oiseaux et présente également des risques sanitaires pour les personnes consommant régulièrement le gibier des chasseurs. Si un quelconque industriel devrait relâcher des tonnes de plombs dans la nature, un vent de colère traverserait le pays, tous les médias focaliseraient leurs caméras sur cet évènement. Mais ceci se fait discrètement, chaque année sans interruption, et surtout sans personne pour se remettre en question. Une fois encore, cette passivité est criminelle.
Omniprésence des lobbys des chasseurs en France : qu’en pense la population ?
La France est le seul pays d’Europe autorisant la chasse tous les jours de la semaine durant une période qui fait partie des plus longues. C’est également le pays qui détient le record européen d’accidents de chasse. L’année dernière, une infographie a fait le tour des réseaux sociaux, comparant la chasse au terrorisme en termes d’êtres humains morts et blessés depuis l’an 2000. Les chiffres n’étaient pas tout à fait exacts mais pas non plus très éloignés de la vérité. En effet, entre 2000 et 2018, les accidents de chasse ont fait 366 morts en France. Sur la même période, entre 254 et 281 morts sont imputables aux attentats sur le sol français. Certes, comparer la chasse au terrorisme manque peut-être de probité mais il n’en demeure pas moins que ces chiffres mettent en avant un problème profond d’insuffisance en matière de réglementations imposées aux chasseurs.
Selon un sondage réalisé par One Voice et Ipsos, seuls 19 % des Français sont favorables à la chasse. 84 % d’entre eux la considèrent comme dangereuse pour eux et leur entourage. En effet, durant les périodes de chasse, la peur est omniprésente dans les campagnes : les habitants craignent pour leurs vies mais également pour celles de leurs animaux domestiques qui peuvent facilement être victimes d’un coup de fusil (comme le montre l’exemple d’un chasseur qui a tué un chien de 4 mois, simplement parce que celui-ci « aboyait trop fort » et « perturbait le gibier » – chasseur qui dispose toujours de son permis). En écrasante majorité, les Français considèrent de nombreuses pratiques de chasse comme étant cruelles (notamment la chasse à courre et le piégeage des oiseaux à la glu) et souhaitent leur interdiction. Plus de la moitié de la population souhaite également l’interdiction des lâchers de gibier. De même, une forte majorité des français aimerait que les animaux sauvages puissent être protégés dans les parcs nationaux et les réserves naturelles, qu’il soit interdit de chasser durant la période de reproduction et que les espèces en mauvais état de conservation soient préservées. Enfin, 82 % de la population considère la chasse comme étant une menace pour l’environnement (par exemple, à cause de la pollution au plomb). Trois quarts des Français pensent que la baisse du prix du permis de chasse national (coût réduit de moitié par Emmanuel Macron) est une mauvaise chose.
Une pétition a été lancée par l’association One Voice, soutenue par quarante associations de défense de la faune et de la flore, demandant une réforme profonde de la chasse. En sachant que le nombre de chasseurs était en déclin constant ces dernières années, avec seulement 1,1 millions personnes détenant un permis en 2018, il est affolant de voir que cette minorité destructrice de la population ait un poids aussi important dans la société. Il en ressort le sentiment justifié d’une pression virulente du lobby des chasseurs sur le gouvernement, ce dernier prévoyant aujourd’hui l’extermination de millions d’animaux sauvages, considérés comme étant « nuisibles ». En fin de compte, qui est le véritable nuisible dans tout cela ?
Elena M.