Depuis quelques années déjà, de nombreuses marques de vêtements fabriqués à partir de fibres recyclées pullulent sur le marché de l’industrie de la mode. Mais, est-ce vraiment écologique ? Qu’en est-il des conditions des travailleurs ? De la provenance ? Mr Mondialisation est parti à la rencontre de Sendo, fondateur de la marque ANTHROPOCENE, afin de retracer l’ensemble du processus de fabrication éthique qu’il a fallut mettre en place. Présentation et interview du fondateur.
Face à une prise de conscience généralisée quant aux impacts sociaux et environnementaux de l’industrie de la mode, et plus particulièrement de la fast fashion, de nombreuses marques dites « écologiques », « éthiques » ou encore « respectueuses de l’environnement » font leur apparition. Or entre discours et réalité, il y a souvent un monde : manque de transparence, pratiques peu éthiques, fibres recyclées venant de l’autre bout du globe, manque d’inclusivité … le greenwashing et le fairwashing ne sont jamais bien loin.
Et notamment dans les marques de vêtements qui, sous couvert d’utiliser des fibres recyclées, prétendent être éthiques. Heureusement, parmi elles, il existe des marques qui s’engagent réellement, en toute transparence et humilité : c’est le cas, par exemple, d’ANTHROPOCENE. Nous sommes partis à la rencontre de Sendo, son fondateur, afin de comprendre comment est fabriqué un vêtement à partir de fibres recyclées, qui se voudrait à la fois écologique et respectueux des travailleurs, tout en remettant en question le système économique actuel.
Mr Mondialisation : Pourquoi cette décision de fabriquer des vêtements en fibres recyclées ? D’où est venue cette idée ?
Sendo : Lors d’un service civique à la direction des déchets du Grand Reims, il y a deux ans, j’ai eu une réelle prise de conscience. En tant qu’ ambassadeur écologique, j’avais pour rôle de faire de la sensibilisation au recyclage avec le Tri Truck, un camion qui sillonne la banlieue de Reims pour éduquer les enfants sur cette thématique. Je profitais également de cette mission pour m’informer toujours plus, et en apprendre davantage sur la gestion des déchets en France et dans le monde. J’étais déjà très intéressé par les problématiques écologique et sociale, et j’avais conscience que la question des déchets en faisait partie. Savoir que le monde produit deux milliards de tonnes de déchets municipaux par an c’est une chose, le voir c’est autre chose. C’est à ce moment là que je me suis vraiment rendu compte de l’ampleur de ce qui est jeté tous les jours, et notamment les vêtements. En tant que passionnée de mode, cela a confirmé mon envie de continuer à m’habiller en friperies. Peu de marques éthiques correspondent à mon style, notamment les vêtements techniques pour le sport et, surtout, ce qui m’embête c’est que la majorité d’entre elles créent de nouvelles ressources. Alors qu’il y a déjà tellement de ressources existantes qu’on peut réutiliser avant d’en produire d’autres !
J’avais déjà envie de travailler dans un secteur dans lequel agir n’est pas inutile, où les valeurs sociale et écologique sont fondamentales. Sans trouver vraiment ce que je voulais apporter. C’est donc après ce service civique que j’ai eu l’idée de créer mon propre concept : des vêtements éthiques fabriqués en France à partir de fibres recyclées, autant pour les sportifs que pour la vie de tous les jours, dans le style streetwear. Ce que je ne trouvais pas dans les marques éthiques sur le marché. C’est comme ça que j’ai réussi à convaincre des amis de mon projet : « au lieu de mettre 100€ dans une tenue Nike, est-ce que tu ne préfères pas mettre cet argent dans une tenue streetwear en fibres recyclées, qui n’exploite pas de personnes à l’autre bout du monde et qui est stylé ? » C’est comme ça qu’on s’est retrouvés à huit sur le projet. Nous n’y connaissions rien mais, à plusieurs, nous avons énormément appris.
Mr Mondialisation : Quelle est la matière que vous avez décidé de prendre pour vos fibres recyclées ? Beaucoup de marques dites éthiques se contentent de recycler du plastique, ce qui n’est pas franchement écologique.
Sendo : Justement, quand j’ai commencé à faire mes recherches, je me suis rendu compte que la plupart de ceux qui font des fibres recyclées, c’est non seulement en plastique, mais c’est en plastique qui n’est pas “post-consumer”. Autrement dit, les marques produisent des bouteilles en plastique pour ensuite les détruire et en faire des vêtements. C’est aberrant … je ne comprends même pas comment on peut apposer la mention “recyclé”. Le pire, c’est que les gens ne font pas la différence, parce que souvent ce sont des grandes entreprises qui ont un énorme budget marketing et publicité, un budget greenwashing quoi. Mais ça n’a aucun sens. Nous avons donc poursuivi nos recherches. Et on est arrivé à un second obstacle : pour faire des vêtements techniques ultra-respirants, le polyester (donc, du plastique) est inévitable si on veut rester sur des fibres recyclées et ne pas créer de nouvelles ressources.
On s’est alors demandés s’il y avait un moyen de trouver des personnes qui récupèrent les déchets des océans pour en faire des vêtements, parce que si on est obligés d’utiliser du plastique, autant récupérer celui qui est déjà jeté, en post-consommation. C’est à ce moment-là que nous nous sommes rapprochés de la Seaqual Initiative, un groupe qui s’organise avec des pêcheurs et des associations pour ramasser les déchets plastiques dans les océans ou en bord de mer. Sachant que j’étais encore boursier, que je n’avais pas les moyens financiers de faire toute la logistique pour organiser le ramassage des déchets, ça a été un vrai soulagement de trouver cette initiative pour nous soutenir dans notre projet. Pour les autres vêtements, étant donné qu’il est possible de ne pas prendre du plastique, nous nous sommes intéressés à d’autres matières : soit les chutes de matières, l’upcycling, soit le coton recyclé.
Après, quand j’ai compris que l’on n’avait pas encore réglé les problèmes dans les machines [i.e. les vêtements en plastique recyclé relâchent des microfibres plastiques à chaque lavage, microfibres qui iront polluer les océans. Selon l’ADEME, 500 000 tonnes de microparticules de plastique finissent ainsi dans les océans du globe chaque année, soit autant que 50 milliards de bouteilles plastiques. Autrement dit, ramasser le plastique dans les océans pour … l’y renvoyer] , je dois vous avouer que ça m’a fait un coup. En fait, si on a voulu utiliser le Seaqual, c’est pour enlever le plastique des océans mais si c’est pour qu’il y retourne … ça ne sert totalement à rien. Ce problème devrait être réglé par un adaptateur, une sorte de filtre à mettre dans la machine à laver, qui devrait être dans la réglementation à partir de 2024.
Mr Mondialisation : Vous travaillez donc avec deux types de matières : le polyester et le coton recyclé. Quelle est leur provenance ?
Sendo : Je croyais, en commençant dans ce milieu, qu’avoir les informations serait facile. Mais, en réalité, les chaînes d’informations ne sont pas encore faites car encore peu de marques s’intéressent à tout ça. Du coup, les informations, il faut aller les chercher directement auprès de celles et ceux avec qui tu travailles. Personnellement, j’ai eu la chance de rencontrer Laurent Malterre, notre fournisseur de coton recyclé. Il nous a expliqué que les déchets de coton issus de l’industrie textile, ébouriffés puis transformés en fibres en Espagne, sont issus de l’industrie textile européenne. En Espagne, il y a deux filatures espagnoles, près d’Alicante, de Belda et de Ferri, qui fabriquent le fil et toutes deux fournissent un certificat GRS (Global Recycle Standard). C’est ce qui permet de savoir qu’ils respectent vraiment cela, que c’est vraiment du recyclé. Initialement, je voulais que tout soit issu de France, mais c’est malheureusement impossible à l’heure actuelle.
Quant au polyester, nous utilisons celui que ramasse la Seaqual Initiative sur les côtes françaises et espagnoles pour nous. C’est une initiative mondiale mais qui est présente à différents endroits localement. C’est parfait pour nous, car cela veut dire que nous sommes dans une démarche locale, même dans le ramassage de déchets dans l’océan.
Mr Mondialisation : Effectivement, les acheteurs ont du mal à s’y retrouver parmi toutes ces marques. D’ailleurs, peu d’entre eux savent quel est le processus de fabrication d’un vêtement. Pourriez-vous le retracer ? Quelles sont les étapes, les villes, le nom de vos partenaires ?
Sendo : Bien sûr ! J’ai à cœur d’être le plus transparent possible. Notre styliste, Bleuenn, est bretonne mais on se rencontre à Paris. Ma sœur Misha, qui a fait un BTS en stylisme, m’a aussi aidé pour la partie créative. Avec Anne, qui est en banlieue parisienne, on travaille le design, les étiquettes et tout ce qui est relatif au logo. À partir de là, tout le travail créatif est fait. C’est après cette étape que le réel travail commence. Trouver des partenaires de qualité quand on veut du recyclé et qu’on a pas beaucoup de moyens financiers, c’est le plus dur. Pour le coton recyclé, nous avons trouvé Laurent Malterre, dont les usines sont situées à Moreuil, à vingt minutes d’Amiens. Pour le plastique recyclé, nous avons trouvé un laboratoire de matières à Nancy qui fait des matières très techniques. Igor, le directeur, a tout de suite accroché à mon projet parce qu’il essaie de développer des matières techniques de plus en plus écologiques. C’est donc à Nancy qu’on a décidé de transformer le tissu de Seaqual initiative en matière sportive. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que le laboratoire n’avait jamais fait cela ! On a dû investir de l’argent pour qu’ils testent … et ça a marché ! Ensuite, pour la confection, on a trouvé Chanteclair qui est située à Pouanges, près de Troyes. On l’a notamment choisie parce que la localisation n’était pas trop éloignée des étapes que je viens de citer, toujours dans cet objectif de rester le plus local possible. C’est pour cela qu’on a cherché des personnes spécialisées dans la broderie localisées à Troyes également. On a trouvé Emma et Vincent, qui tiennent une petite entreprise familiale depuis des années. Et là on croit que tout est bon … mais non. Il y a plein de détails à penser quand on veut mener sa démarche jusqu’au bout. A commencer par les cordons de pulls. On a commencé à discuter avec Aurélie de l’entreprise Gauthier fils, à Vertolaye. Les étiquettes aussi. Les meilleures que l’on ait trouvées, en made in France, c’est celles de Josiane, de JSD à Saint-Étienne, car elles sont faites en polyester recyclé. Les étiquettes et les cordons sont ensuite envoyés au confectionneur pour qu’il les ajoute aux vêtements. Nos matières premières sont donc d’origine européenne, et la confection des vêtements est vraiment made in France. Je dirais même made in local ! Beaucoup de marques jouent sur le français alors que tout n’est pas confectionné en France, en faisant concevoir le vêtement au Portugal et en apposant ensuite une étiquette made in France. Ce n’est pas notre cas : tous nos vêtements sont confectionnés dans un rayon de 300 à 700 kms, contre une moyenne de 60 000 kms.
Mr Mondialisation : Au-delà des matières, de leur provenance et de la localisation des différentes étapes de confection, comment une marque de vêtements dite éthique peut-elle s’engager ?
Sendo : Personnellement, à chaque fois que j’achète un vêtement qui me plaît, je me pose toujours la même question : où va l’argent ? Imaginons qu’il n’y ait que des entreprises éthiques, elles nourrissent tout de même le système capitaliste en touchant de l’argent. Faire attention à comment on produit et comment on ne produit pas c’est important, mais il est aussi indispensable de porter un regard critique sur la manière dont l’argent qui est gagné est redistribué. Avec mes amis, on a donc eu l’idée de reverser plus de la moitié des bénéfices à des associations environnementales et sociales. Comme ça, on sait où va l’argent. Pour avoir travaillé dans le domaine associatif, je sais combien la problématique de l’argent et des subventions est importante. En donnant de l’argent à des associations ou en organisant des actions avec elles, on pourra les soutenir concrètement. Être une marque écolo pour moi ça ne suffit pas, il faut s’engager pour faire les choses à fond. Quitte à perdre des clients. Les valeurs sociales et environnementales sont bien plus importantes que le profit.
Et cela vaut aussi pour l’inclusivité de la marque. On peut se dire marque éthique made in france et, dans les faits, ne pas être représentatif de la société française. En fait, ce qu’il faut savoir c’est que l’inclusivité coûte très cher ! Une taille de plus, c’est un prototype de plus … et donc de l’argent supplémentaire à investir. C’est un réel choix, que nous avons décidé de faire. Puis, je pense que l’on se revendique inclusif aussi dans la mesure où on propose des vêtements de sport et des vêtements de style streetwear. Ce qui est assez rare dans le milieu des marques éthiques, excluant donc beaucoup de personnes qui souhaiteraient acheter mieux mais ne trouvent pas de vêtements à leur goût.
Mr Mondialisation : Nous avons aussi lu que vous souhaiteriez, par la suite, organiser des ateliers Kintsugi. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Sendo : Le kintsugi, c’est un art traditionnel japonais qui consiste à sublimer les imperfections d’un objet, en laissant notamment ses fissures apparentes. [i.e. Cette technique date de la fin du XVè siècle, lorsqu’un général japonais a cassé son bol préféré et l’a envoyé en Chine, d’où il provenait, pour le faire réparer. Déçu de la manière dont cela avait été rafistolé, à l’aide d’agrafes métalliques, il décida de faire appel à des artisans japonais pour sauver le récipient. Ces derniers réparèrent les fissures du bol avec de l’or. C’est ainsi qu’est né l’art du kintsugi.] Nos ateliers en seraient inspirés : vous venez avec vos vêtements abîmés ou que vous n’aimez plus et on va les réparer, leur donner une seconde vie. Soit on vous apprendra à le faire, soit on va le faire pour vous. Le message qu’on veut faire passer aux gens c’est que le mieux, finalement, c’est de ne pas acheter. Que l’armoire de chacun d’entre nous regorge de vêtements que l’on peut réparer ou customiser pour les rendre à notre goût. Le meilleur vêtement que l’on peut acheter, c’est celui que l’on a déjà ! On aimerait vraiment que les gens repartent en appréciant encore plus le vêtement qu’ils ont apporté. Et, surtout, faire comprendre que pour consommer mieux et moins, revaloriser les métiers de la retouche et de la customisation, c’est essentiel. Dans un second temps, s’ils ont vraiment besoin d’acheter, alors on leur propose des vêtements en fibres recyclés et l’argent dépensé est réinvesti dans des causes sociales et environnementales. Et, bien sûr, ils pourront apporter les vêtements ANTHROPOCENE pour les faire réparer ou customiser dans nos ateliers par la suite !
Notre objectif, à l’avenir, serait d’avoir à Paris un lieu ANTHROPOCENE composé d’une boutique avec nos vêtements sportswear, d’une friperie et d’un atelier kintsugi. Nous ne voulons pas seulement être une marque de vêtements, ANTHROPOCENE c’est un concept. Un concept engagé et positif.
Mr Mondialisation : Créer une marque éthique, autant sur le plan écologique et social, c’est donc sans cesse devoir penser à beaucoup de détails … que l’acheteur ne voit pas forcément. Vous vous attendiez à tout cela ? Et comment le vivez-vous au quotidien ?
Sendo : Le problème, c’est qu’être engagé, ça n’apporte rien dans notre système économique actuel – le capitalisme. J’essaie de faire en sorte que tout soit le plus local possible mais, en réalité, cela ne va rien apporter au fait de vendre ou pas. Très peu de gens font la différence entre les marques qui s’engagent réellement et celles qui font du greenwashing. Après, si cela ne m’apporte rien sur le plan professionnel d’être très engagé, sur le plan personnel c’est autre chose. Je peux dormir tranquille parce que je sais que je ne mens à personne, que je ne fais aucune manipulation, que je n’exploite personne et que je respecte l’environnement. Faire produire son coton bio au Bangladesh et se présenter comme une marque éthique made in france, pour moi c’est une aberration : créer une ressource supplémentaire, telle que le coton bio, consomme de l’eau, le transport est souvent peu écologique, et il est difficile de s’assurer au quotidien que les employés travaillent vraiment dans de bonnes conditions à l’autre bout du monde.
Après, je reste tout de même positif. Rien que dans mon entourage, j’ai réussi à convaincre mes amis qui ne sont pas du tout écolo d’acheter des vêtements éthiques en leur proposant des produits qui correspondaient à leur style. Cela contribue à rendre l’écologie plus accessible, et c’est comme cela qu’on dépasse la sphère des personnes convaincues. Puis, je ne sais pas où on va aller si on n’a pas le sourire, si on ne garde pas la bonne humeur, quand on est engagé ! Je pense qu’il ne faut pas faire culpabiliser les gens. Je souhaite que même les personnes désintéressées ou critiques finissent par venir échanger avec nous, dans la bonne humeur. Qu’elles restent comme elles sont, mais en consommant mieux.
-Propos recueillis par Camille Bouko-levy
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