En août dernier s’est déroulé sur les îles Féroé un nouveau bain de sang, celui de dauphins-pilotes en migration rapatriés sur la côte pour être tués. C’est le Grindadráp, une tradition qui perdure depuis des siècles. À une époque où la préservation des espèces sauvages devrait faire consensus et où de plus en plus de personnes combattent la souffrance animale, le Grindadráp semble plus que jamais archaïque. Attention
L’archipel des îles Féroé, situé à mi-chemin entre l’Islande, l’Écosse et la Norvège, a des allures de cartes postales pour férus de nature. Cascades, falaises verdoyantes, fjords, paysages picturaux, avifaune développée… Ce n’est ni plus ni moins qu’un petit paradis sur terre, porteur de toutes les beautés sauvages de ses pays voisins.
L’enfer au paradis
Les 53 000 habitants des îles Féroé jouissent, en plus d’un environnement magnifique, d’un certain confort administratif. Rattachées au Danemark, les 18 îles bénéficient toutefois d’une large autonomie territoriale, n’étant notamment pas membre de l’Union Européenne et gérant elles-mêmes la majeure partie des affaires intérieures.
D’un point de vue économique, le pays vit de la pêche à hauteur de 90%. Et c’est là que le bât blesse. Ancrés dans une culture marine et côtière depuis des siècles, les habitants des îles Féroé perpétuent une tradition locale appelée Grindadráp : barbare, archaïque, triviale, cette pratique prend des allures de faille spatio-temporelle.
Une tradition vieille de plus de cinq siècles
Les premières traces écrites témoignant de l’existence du Grindadráp remontent au 17ème siècle. Il est toutefois probable que cette pratique soit bien plus ancienne, même s’il est difficile de savoir exactement à quelle période les chasses massives de dauphins-pilotes ont débuté. Car le Grindadráp, qui signifie « mise à mort des cétacés » en féroïen, c’est ça : repérer un groupe de dauphins-pilotes (dit aussi globicéphales), les pousser vers la côte à l’aide de bateaux, et les abattre une fois sur la berge.
Les technologies actuelles font qu’il n’a jamais été aussi aisé de piéger les pauvres cétacés. Radars, sonars, téléphones et même drones permettent aux pêcheurs et ferrys de repérer la présence des animaux, sur leur couloir de migration – qui se transforme en couloir de la mort. Dans les terres, hommes, femmes et enfants sont conviés au massacre, sous couvert des autorités. Il existe même des lois n’autorisant que les hommes à mettre à mort les animaux (mais femmes et enfants peuvent les tracter sur le sable et les dépecer).
En 2015, un texte a décrété que les personnes donnant le coup de grâce aux animaux doivent détenir une licence et ce, afin d’abréger leurs souffrances. À voir les vidéos du dernier Grindadráp qui s’est déroulé en août dernier, il est justifié de se demander s’il existe plusieurs définitions au terme « souffrance ».
Des animaux victimes d’une souffrance souvent indescriptible
Car la souffrance est bien là, et elle est même palpable à travers un écran, haut-parleurs coupés… La première étape de cette « chasse » consiste, une fois les pauvres bêtes à demi-échouées sur la côté, à leur planter un crochet dans l’évent. L’évent, c’est cet orifice situé sur la tête des cétacés et qui leur sert tout simplement à respirer : ne reste que l’imagination pour deviner la douleur qu’ils ressentent, malgré ce que les défenseurs du Grindadráp prétendent sans le démontrer par des arguments étayés et scientifiques prouvant qu’un crochet planté en pleine tête et dans le système respiratoire de l’animal pourrait ne pas être source de souffrance.
Tirés à terre par le biais du crochet et de filets, les animaux sont alors abattus par des hommes qui leur sectionnent partiellement la tête. À l’instar des plaidoyers pour les abattoirs « sans souffrance », la technique est sensée être brève et limiter l’agonie des animaux. Or, dans « limite », il n’y a pas l’idée d’absence. Donc, l’animal souffre. Par ailleurs, tout comme dans les abattoirs, les loupés sont courants.
L’association Sea Shepherd France a ainsi publié une vidéo du dernier Grindadráp en date, dans laquelle un homme chargé « d’abréger la souffrance des animaux » découpe, non sans effort, la tête d’un globicéphale échoué. Ce dernier, encore bien vivant, bat désespérément de la queue, piégé sur le sable, littéralement découpé vivant.
Tout cela ne saurait faire fi de l’immense source de stress et de panique subie par les cétacés lorsqu’ils sont poursuivis en mer, poussés le long des côtes, et abattus les uns à côté des autres dans un déchaînement de violence. Le Grindadráp est un bain de sang, au sens propre comme figuré.
Un massacre visible… et inutile !
Le déchaînement de passion et de dénonciations autour du Grindadráp peut s’expliquer de
plusieurs manières. Tout d’abord, pour la raison développée plus haut, à savoir la mort très douloureuse de cétacés. Ensuite, le fait qu’il s’agisse, justement, de cétacés : ces mammifères marins attirent généralement la sympathie et l’empathie. Est-ce l’impact de films comme Flipper ou Sauvez Willy, le fait qu’il puisse scientifiquement être attesté de leur très grande intelligence, ou encore que la chasse à la baleine soit interdite à travers le monde ? Le fait est que les mammifères marins fascinent, et que, contrairement à d’autres animaux, les boucliers se lèvent pour les protéger.
Par ailleurs, la dénonciation intense et très relayée du Grindadráp tient au fait qu’il est particulièrement visible. Ce n’est ni plus ni moins qu’un abattoir à ciel ouvert. Les photos et vidéos des cétacés à moitié décapités, alignés le long d’un banc de sable maculé de sang, choquent. Et quoi de plus normal ? Ce massacre, qui n’a pas lieu derrière les murs d’un abattoir, rappelle simplement, mais brutalement, de quoi la prédation humaine est capable…
Enfin, le Grindadráp pouvait autrefois se justifier du fait qu’il nourrissait les populations locales. Peu reliés au monde extérieur, les insulaires comptaient sur ces « pêches géantes » pour se ravitailler et nourrir un grand nombre d’habitants. Aujourd’hui, les îles Féroé sont très bien reliées au reste du monde et se nourrissent en grande partie de nourriture importée. De ce fait, le Grindadráp est devenu tout simplement inutile.
Si certains consomment encore la viande des globicéphales abattus, ce n’est plus du tout le cas de la majorité des insulaires. Des cadavres de centaines de globicéphales ont été retrouvés par des plongeurs à proximité des côtes, preuve qu’une grande partie de ces animaux ont tout simplement souffert et été abattus pour rien. Cerise sur le gâteau, la viande de globicéphale, du fait de sa très haute teneur en mercure, est devenue toxique ! En la consommant, les Féringiens s’empoisonnent…
Un abattoir parmi tant d’autres
Si le Grindadráp choque tellement, il paraît nécessaire de rappeler que plus de 3 milliards d’animaux sont tués chaque jour dans le monde pour nourrir les êtres humains. L’image, insoutenable pour beaucoup, que renvoie le Grindadráp n’est que le reflet de ce qui se passe en continu dans les abattoirs, y compris à côté de chez nous.
Si les caméras y sont redoutées, que les murs y sont si élevés, et les hangars, si éloignés de nos habitations, ce ne sont pas pour des raisons pratiques… Les abattoirs sont des lieux de souffrance intense et de mort, où le sang coule à flots et les animaux perdent la vie après des heures de panique et, souvent, de trop longues minutes d’agonie.
En France, au nom de la tradition, la corrida avec mise à mort du taureau est encore autorisée. Un spectacle qui semble tout aussi archaïque que celui des Féringiens, et pour lequel les gens paient leur place… Il est parfois difficile de prendre du recul et de réaliser à quel point les habitudes culturelles peuvent aller à l’encontre d’autres valeurs, et des évolutions de l’époque.
Les animaux soumis à l’industrie alimentaire naissent, vivent et meurent dans des conditions absolument indignes pour la grande majorité d’entre eux. La défense des animaux ne doit pas avoir de frontière, ni se voir ostracisée. Tous les animaux méritent d’être protégés, de vivre dans les meilleures conditions adaptées à leur espèce, et de ne pas mourir selon le bon vouloir des êtres humains…
Les îles Féroé, complices de l’arrestation de Paul Watson
Comment espérer que les choses bougent quand, sur place, personne ne semble prêt à dénoncer le massacre ? L’espoir de voir le Grindadráp disparaître s’amenuise davantage lorsque Sea Shepherd France révèle les conditions ayant mené à l’arrestation de Paul Watson, plus grand défenseur des cétacés et des océans de notre époque. L’alerte de son départ pour le Groenland vient en effet… des îles Féroé. C’est en effet la police féringienne qui a alerté la première la police groenlandaise que le bateau du capitaine de Neptune’s Pirate quittait l’Irlande.
Les îles Féroé et Paul Watson, c’est une longue histoire de désamour, et cette alerte prend tous les aspects d’une vengeance. Depuis des décennies, Paul Watson et Sea Shepherd dénoncent les massacres des globicéphales et tentent de s’y interposer. Ils ont également participé à la médiatisation des Grindadráp en révélant des images tout aussi choquantes les unes que les autres de ces massacres organisés.
Si le choix actuel des îles Féroé est de livrer Paul Watson aux Japonais, il semble utopique de penser que le mortifère Grindadráp pourrait prochainement s’arrêter.
M.L
Photo de couverture : Wikimedia