Belgique : des gilets jaunes parqués dans une étable comme du bétail

En Belgique, la mobilisation contre l’austérité se poursuit. Ce samedi 8 décembre, plusieurs appels ont réuni environ 1000 manifestants à Bruxelles qui, sur le modèle des gilets jaunes, réclament une évolution sociale de la politique de leur pays. Mais le week-end dernier, les manifestations ont été le théâtre d’une intervention massive de la police, dans l’objectif d’empêcher leur participation parfois même avant leur arrivée sur les lieux. Des images interpellantes montrent des centaines d’individus parqués dans les écuries à chevaux de la police bruxelloises.

Ce samedi 8 décembre, plusieurs centaines de personnes venues manifester à Bruxelles ont été arrêtées par la police : souvent, les manifestants ont été interpellés avant même d’avoir rejoint les lieux de rassemblement, en tout début de journée, dès leur sortie du train et « sans qu’aucun motif ne leur soit communiqué ». D’autres sont menottées sur place en début d’après-midi, lorsqu’éclatent les premières échauffourées entre la police et les protestataires. Citoyens ordinaires, femmes, hommes et quelques personnes âgées, ces individus seront parqués jusqu’à la nuit dans les étables de la gendarmerie belge.

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La police belge veut tuer la manifestation dans l’œuf

Autre interrogation : les chiffres. Selon les communiqués officiels de la police, les manifestations de samedi n’auraient réuni qu’un millier de personnes. Dans le même temps, les forces de l’ordre auraient procédé à environ 400 arrestations administratives, soit 40% de toutes les personnes présentes. La disproportion est manifeste. La volonté d’empêcher la manifestation avant même qu’elle ne se produise également. Sur les réseaux sociaux et dans les médias, de nombreuses belges présents cherchent à alerter l’opinion sur cette entrave à leur liberté de manifester. D’aucun se questionnera : un tel dispositif ciblant des citoyens pacifistes – nous ne parlons pas ici de casseurs arrêtés ailleurs dans d’autres circonstances – n’est-il pas en violation directe avec les Droits de l’Homme dont la liberté de réunion et celle d’exprimer une opinion dans l’espace public ?

Si la manifestation n’avait pas fait l’objet d’une demande officielle, la répression systématique des manifestants se fondant sur ce simple prétexte, ou sur les échauffourées qui avaient éclaté la semaine précédente en marge des manifestations, questionne sérieusement les limites de la liberté d’expression et d’association dans un pays pourtant démocratique comme la Belgique. Le même jour, en France, les autorités ont également eu recours à des centaines d’arrestations préventives (bien qu’elles s’en défendent officiellement) d’individus non-violents. Que ce soit dans un pays ou dans l’autre, que ceci concerne ou pas les gilets jaunes, les cheminots ou tout autre groupe, l’avenir du droit de manifester pose question. L’arrestation systématique de personnes pacifistes avant même leur arrivée sur les lieux deviendrait-elle la norme ?

Pour l’un des témoins, voilà l’objet qui aura justifié sa séquestration.

Par ailleurs, des témoignages concernant les conditions de détention des personnes arrêtées ont suscité l’indignation. Ainsi, plusieurs vidéos attestent que certains manifestants arrêtés ont été parqués dans une étable de la police, parfois même avec les mains ligotées dans le dos à l’aide de colsons (souvent « serrés de façon abusive » selon les propos que nous avons pu recueillir), et sans qu’aucune information ne leur soit fournie. Le hall en question souffre de problèmes d’étanchéité et de l’eau ruisselle depuis le toit sur les individus; une vidéo prise par une personne enfermée montre que les personnes sur place sont contraintes d’uriner à même le sol, à proximité du reste du groupe. Pour certains, la garde à vue dans cette étable aura duré une dizaine d’heures. Le manque de place peut-il justifier un tel traitement envers des personnes qui, pour la majorité d’entre elles, s’apprêtaient à manifester ?

Des manifestants sous le choc

Bertrand*, fouillé à plusieurs reprises dans la même journée, dénonce « le travail de sape » des forces de l’ordre pour casser la manifestation avant même qu’elle puisse se produire. Interrogé, il s’offusque des conditions de détention qu’il décrit comme « indignes ». « La plupart de nos échanges avec les forces de l’ordre ont été très cordiaux », tient à préciser Loïc, qui reste néanmoins abasourdi par le déroulement de la journée. Ce sont les ordres des supérieurs et responsables politiques qui posent question. « Lors de la première fouille, on nous a indiqué que l’on pouvait manifester pacifiquement avant d’être arrêté un peu plus tard », regrette-t-il. Pour lui, le gouvernement joue l’escalade avec une politique sans cohérence.

« J’ai vu beaucoup de gens choqués, et même une série de policiers qui ont eux-mêmes avoué ne pas comprendre la logique des ordres qu’ils recevaient. » explique l’auteur d’une vidéo prise sur le vif dans l’étable. « Dans mon enclos nous étions environ 150. Hommes et femmes. Dans le froid. Dans des conditions inacceptables. » L’homme estime qu’il s’agit d’une la volonté d’intimider et de casser le mouvement à la source. D’interdire le droit à l’expression et à la contestation. « On a aucune information (…) Les policiers nous répondent que c’est une décision du bourgmestre, des autorités de la ville de Bruxelles ». Dans un message publié sur Facebook, il déclare vouloir porter plainte et prendre contact avec la Ligue des Droits de l’Homme.

Dans le rang des arrêtés, les raisons de manifester sont multiples. Comme en France, certains d’entre eux voulaient demander au gouvernement une baisse des taxes. Mais d’autres voix s’élèvent pour une rupture dans la politique au niveau social. Olivier, 19 ans, vivant encore chez son père, souhaitait pour sa part « manifester par solidarité », dépité que « dans un pays riche comme le sien il y ait des gens qui souffrent de la faim ». Sa révolte est celle contre un modèle de société « fondamentalement basé sur un paradigme matérialiste qui nous fait croire que le bonheur s’achète, conditionnant l’individu à un simple consommateur à la quête d’un bonheur fictif (future voiture, maison) et éphémère, car cette jouissance de l’acquis ne dure que très peu) » selon ses propres mots.

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Jusqu’à présent, les décideurs publics belges jouent la sourde oreille, focalisant le débat public sur les violences. Par la force des choses, percevoir les gilets jaunes telle une masse informe d’individus violents permet d’éluder tout débat de fond avec eux, donc toutes solutions démocratiques, comme par exemple l’instauration du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne). Focaliser le débat sur les violences en marge des manifestations semble également avoir pour effet de minimiser la gravité de ces arrestations administratives massives d’individus pacifistes. Faudrait-il un jour également parquer dans des écuries des cheminots ? des chômeurs ? des travailleurs en grève ? des lycéens ? À quel moment réalisera-t-on que nous avons peut-être déjà basculé dans un roman de fiction à la Orwell où on enferme des citoyens au simple prétexte d’avoir une opinion contraire à celle de l’autorité de leur temps ?


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*Tous les prénoms ont été modifiés à la demande des témoins.

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