L’un des rares projets dévoilés pendant la campagne présidentielle vient de se concrétiser. Vendredi 29 septembre, l’Assemblée nationale a voté l’obligation d’exercer minimum quinze heures d’activité par semaine pour les allocataires du RSA, mesure phare d’une loi plus large intitulée « France Travail ». Avec ce texte, Emmanuel Macron confirme la traque méprisante des plus précaires, tandis que les ultra-riches sont, de leur côté, toujours plus choyés et inatteignable.

Ce que le palais Bourbon, dominé par la droite, a voté vendredi dernier, s’apparente très fortement au retour du travail forcé. D’autant plus surveillés et criminalisés, les plus pauvres devront en effet s’acquitter d’une activité imposée pour pouvoir conserver une maigre indemnité qui permet à peine de survivre.

Que contient le projet ?

La loi « France Travail » est censée mener le pays vers le « plein emploi » (c’est-à-dire moins de 5 % de chômage). Pour y parvenir, le gouvernement entend donc durcir les contrôles et les sanctions envers les individus sans activité rémunérée à travers une réforme globale.

Celle-ci passera notamment par le changement de nom de Pôle Emploi en « France Travail ». Une opération de communication qui devrait coûter plusieurs millions, mais qui aura une nouvelle fois pour but d’entretenir la confusion entre travail et emploi, comme si une personne sans rémunération contractualisée n’apportait rien à la société et que le travail devait nécessairement être au service du capitalisme et de la croissance.

Le RSA en ligne de mire

Pour autant, la mesure phare de ce projet concernera bien les allocataires du RSA. Systématiquement pointés du doigt comme des « assistés » par la droite et l’extrême droite, ils feront une fois encore office de boucs émissaires.

Déjà hautement surveillés, ils seront davantage contraints pour continuer à percevoir le minimum vital. Dans le nouveau contrat qu’ils devront signer, les bénéficiaires auront l’obligation de réaliser minimum quinze heures d’activité par semaine.

Le flou et l’insistance de la droite

Les contours de ce qui sera imposé concrètement par cette loi restent encore à définir précisément, mais ils apparaissent de moins en moins flous. Emmanuel Macron avait au départ évoqué un temps d’activité comprise entre quinze et vingt heures. Dans la première mouture du texte, aucune durée n’avait cependant été fixée.

Une faille dans laquelle se sont allègrement engouffrés Les Républicains qui font tout pour durcir le projet. Ces derniers ont ainsi inscrit la quinzaine d’heures comme un minium requis dans un amendement. Le chef du parti, Éric Ciotti s’en est même félicité sur X (anciennement twitter), estimant que toucher le RSA supposait des « devoirs ». Des déclarations qui peuvent faire sourire lorsque l’on sait que le député n’avait pas autant de scrupules pour détourner des fonds dans une affaire d’emploi fictif pour son ex-femme.

Si LR sont parvenu une nouvelle fois à tirer leur épingle du jeu, c’est avant tout parce que les soutiens du président ne disposaient pas d’une majorité pour faire voter cette loi. Pour réussir à l’imposer, ils ont dû faire des concessions à droite pour ne pas risquer d’être mis en échec par les députés de la NUPES.

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Inscription obligatoire

Parmi les autres mesures de cette loi, il deviendra obligatoire d’être affilié à « France Travail » dès lors que l’on perçoit le RSA. L’inscription sera même généralisée pour tous les demandeurs d’emploi, les personnes en situation de handicap sollicitant un accompagnement, et les jeunes conseillés par la mission locale.

Une manière pour l’État d’avoir une main d’œuvre sous la main à laquelle il sera possible d’imposer une activité dans les secteurs en tension, bien souvent à cause de conditions de travail déplorables. D’une certaine manière, cette loi pourrait alors servir une solution sur un plateau d’argent au patronat de certains domaines qui se refusent à améliorer les offres proposées et qui peinent donc à recruter.

Une attaque envers le salaire minimum au service des entreprises

Si là encore, il faut attendre avec précision les détails de la loi, tout porte à croire que ce projet va également mettre un bon coup derrière la tête au salaire minimum. En effet, si de la main d’œuvre « gratuite » est « servie » aux patrons, pourquoi iraient-ils alors embaucher des salariés qu’ils devraient payer ?

Dans le cas où les presque deux millions d’allocataires du RSA seraient poussés au travail forcé, il y a même fort à parier que le chômage augmente. Puisqu’il y a beaucoup plus de demandeurs d’emploi que d’offres, les individus dirigés dans l’activité par contrainte seront nécessairement destinés à prendre le poste de personnes actuellement en place, le tout aux frais de l’État. Dans l’ensemble, ce système ne peut donc qu’engendrer une précarisation globale des travailleurs, d’autant plus que ces revenus seront dépourvus de cotisations sociales.

Et cette sanction pourrait également s’appliquer aux gens qui ont déjà une occupation non rémunérée lourde (comme les parents au foyer) ou ceux qui effectuent un travail qui ne le leur rapporte pas assez d’argent (comme les agriculteurs ou les indépendants par exemple). On imagine la tête d’une paysane ou d’un restaurateur qui trime soixante heures par semaine sans réussir à dégager suffisamment de gains et à qui on va demander d’aller exercer une activité supplémentaire.

Une mesure inefficace

Le pire, c’est que le système a déjà été testé à petite échelle dans certaines régions de France. Et comme le rapporte le député NUPES Arthur Delaporte, la mesure est loin de conduire aux effets escomptés. Au contraire, elle a plutôt entraîné à une radiation massive des allocataires qui ne souhaitaient pas se voir imposer une activité contrainte.

Pour ceux qui accepteraient de jouer le jeu, on peut d’ailleurs penser qu’il sera d’autant plus compliqué de chercher un emploi en étant déjà occupé par cette nouvelle activité obligatoire. Pire, ils risquent même de se retrouver piéger dans un cercle vicieux et dans l’impossibilité de sortir du RSA.

On est donc très loin du but annoncé d’orienter les personnes en difficulté vers l’emploi et la réinsertion. Pour autant, la mesure semble plutôt remplir sa fonction réelle, celle d’obtenir de bonnes statistiques.

Rendre la pauvreté invisible

Depuis toujours, une bonne partie du spectre politique fonde sa ligne, non pas sur le taux de pauvreté des Français, mais bien sûr celui du chômage. Par cette vision capitaliste et productiviste, il est clairement indiqué au peuple que son rôle est avant tout de dégager une valeur économique.

Ainsi, la « réussite » d’un pays ne se mesurerait pas sur le bonheur de ses habitants, mais bien sur le nombre des individus qu’il est parvenu à mettre au service des gros profits. Peu importe, donc, si des millions de gens n’arrivent pas à vivre correctement, l’essentiel est surtout d’obtenir de bons chiffres du chômage pour asseoir une campagne de communication dans les médias.

Et pour ce faire, le gouvernement n’hésite pas à effacer une grande partie de la population de tous ses fichiers. Pour lui, il n’existe pratiquement pas de différence entre une personne qui retrouve un emploi et une autre radiée des listes. En effet, les deux représentent tout autant de chômeurs en moins dans les statistiques.

Vers une précarisation accrue des plus fragiles

Une chose est certaine, ce projet s’inscrit une nouvelle fois dans une politique de criminalisation des plus précaires au profit des plus riches. Il repose d’ailleurs sur l’idée erronée que les chômeurs seraient responsables de leur situation et ne voudraient pas travailler par paresse.

L’adage pour la classe bourgeoise incarnée par la droite pour être résumée ainsi : « Pour lutter contre les pauvres, tapons sur les pauvres » . Cette logique répressive comporte par ailleurs le net avantage de ne surtout pas s’interroger sur les raisons structurelles du chômage.

Dans les faits, monter les classes moyennes contre les moins favorisés est un très grand classique de l’élite bourgeoise. Tandis que 99 % des Français s’écharpent entre eux pour savoir qui est le plus paresseux, le plus resquilleur ou le plus assisté, cela passe sous le tapis que c’est en réalité les 1 % restants qui accaparent toutes les richesses et exploitent tous les autres. Et c’est bien le principal objectif.

– Simon Verdière


Photo de couverture de Tom Parsons sur Unsplash

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