Depuis des années, les médias français entretiennent une fascination intense envers la monarchie, en particulier anglaise. Une façon de détourner l’attention des sujets politiques qui concernent réellement le quotidien des gens, mais aussi de normaliser l’existence de privilèges pour une partie de la population. Edito. 

Des heures et des heures de direct sur le moindre mouvement de la famille royale anglaise, en France, ont de quoi interroger. Plus récemment, ce 20 septembre 2023, le faste du dîner organisé par l’Elysée à Versailles lors de la visite du roi d’Angleterre Charles III a relancé les débats concernant l’attachement du gouvernement au décorum de la royauté et à ses privilèges.

Une fascination qui semble être partagée par les médias traditionnels qui ne ratent jamais une occasion de commenter l’actualité de la famille britannique. Mais pourquoi donc entretiennent-ils une telle obsession pour la couronne alors que notre pays s’est débarrassé de son dernier monarque depuis 1848 ?

Divertir pour mieux régner

Bien sûr, ce processus s’inscrit en premier lieu dans une optique de divertissement imposé par la télévision et les journaux. L’agenda médiatique s’attarde en effet rarement sur les questions qui concernent le plus grand nombre ou alors sans en donner les véritables causes et mécanismes.

Pour preuve la presse qui déferle dès la rentrée 2023 sur le sujet peu signifiant des abayas tandis que les écoles sont de plus en plus à la peine à cause d’un manque d’investissement criant de l’État. Évoquer de longues heures la visite d’un souverain en France permet, également, d’occuper le temps d’antenne.

Tandis que les Stéphane Bern et autres serviteurs de la monarchie s’exprimeront sur la magnificence de la royauté, personne ne parlera de la crise sociale ou encore du désastre écologique sur le plan systémique. Pour autant, au-delà de ces techniques traditionnelles de détournement de l’attention citoyenne, l’intérêt de la presse pour cette thématique est plus profond encore.

Un mécanisme de défense des privilèges

Au fond, si les grands médias entretiennent tant cette fascination pour les familles royales, qu’elles soient britanniques ou monégasques par exemple, c’est avant tout pour installer l’idée qu’il existe de « super êtres humains » dont la vie mérite d’être valorisée, sacralisée.

Ainsi, il y aurait des inégalités « naturelles », pour ne pas dire de « droit divin », qu’il ne faudrait certainement pas remettre en cause. Ce processus, plus visible concernant les célébrités, est également au service des ultra-riches qui sont sans cesse glorifiés par la presse afin de nourrir la narration néolibérale méritocratique du self-made-man, malgré son caractère infondé avéré. 

Le message est donc clair pour « ceux qui ne sont rien » : ils doivent rester à leur place et accepter le rapport de domination imposé par une minorité depuis des siècles. Pour cela, les grands médias – rejoints par de nombreux politiciens de la droite à l’extrême droite – n’hésitent pas à profiter d’un phénomène biologique humain : sa tendance à magnifier le passé.

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La carte de la nostalgie

En vieillissant, notre biais naturel nous invite à croire que « c’était mieux avant », oubliant tous les aspects négatifs du passé. En mettant constamment en avant les familles royales, les grands médias détenus par les milliardaires alimentent le mythe d’un « âge d’or perdu » et participent implicitement à culpabiliser les Français d’avoir mis fin à la monarchie.

Plusieurs journaux vont ainsi dans ce sens, alimentant ouvertement la nostalgie de la royauté. Pour ne pas être tenus responsables de tels propos, ceux-ci donnent souvent la parole à des « historiens » ou des « experts » qui eux, n’hésitent pas à parler à la place de la population pour assurer que cette dernière éprouverait des regrets. 

Ce fut le cas du Figaro à de nombreuses reprises, notamment à la rentrée 2022 lorsque le journal très à droite a donné la parole à l’historien anti-écologiste Jacques de Saint-Victor selon lequel les français seraient « admiratifs du faste, de la Grandeur, du pouvoir fort et, à mesure qu’ils perdent foi dans leurs institutions, sont nostalgiques de la continuité historique véhiculée par la couronne britannique »…

Un professeur de droit explique également au Figaro que le souverain incarnait la « figure tutélaire du père » du peuple et que l’on aurait besoin de lui pour garantir l’unité nationale. Selon Le Point, « le décorum monarchique manque aux Français ».  Selon Franceinfo nous serions en « mal de sacré », tandis que BFMTV note que la France dispose « d’un monarque républicain ».

Accepter la toute-puissance d’un dirigeant

C’est aussi sans doute l’une des raisons de l’existence de cette fascination pour la monarchie au sein de la presse. En transmettant ce goût à l’audience qui les suit assidûment, ils installent doucement l’idée qu’un pays a besoin d’un dirigeant suprême apte à mener le peuple dans son intégralité.

Par là, ils infantilisent la population, entérinant le fait qu’elle soit incapable de prendre ses décisions seules. Faire l’apologie de la monarchie, c’est aussi, donc, directement porter atteinte à l’envie même de démocratie réelle.

Une aubaine dans le système français qui confie pratiquement tous les pouvoirs au président de la République (pourvu qu’il dispose d’une majorité à l’assemblée). Et là encore, il s’agit bien de ne pas renverser l’ordre établi entre les dominants et les dominés.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si Emmanuel Macron lui-même déclarait déjà dès 2015 sa nostalgie de la monarchie, assurant que « les Français n’ont pas voulu la mort du roi » et que « la démocratie ne suffit pas à elle-même ». Des propos que l’on retrouve également à l’extrême droite dans les propos d’Éric Zemmour pour qui « les rois ont fait l’Histoire de France, pas le peuple » ou encore chez Marine Le Pen, soutenue par l’Action Française (le parti royaliste) aux élections présidentielles de 2022.

Une soif de démocratie

Pour autant, d’après les enquêtes d’opinion, les Français se placent massivement à l’encontre de ces positionnements avec plus de 80 % d’opposition à la monarchie. À l’inverse, s’est exprimé distinctement un fort besoin de démocratie ces dernières années, notamment dans le sillage du mouvement des Gilets Jaunes.

73 % des interrogés se sont ainsi montrés favorables au référendum d’initiative citoyenne et 64 % veulent tourner la page de la 5e république, jugée trop autoritaire. Une belle démonstration que non seulement le peuple ne désire pas un roi, mais qu’il a une volonté puissante de décider par lui-même de sa destinée, en lieu et place d’une élite hors-sol, travaillant à continuer de jouir de privilèges sans fin au sein d’un monde abîmé par ces abus et dont les inégalités sont de plus en plus exacerbées.

– Simon Verdière


Image d’entête : le roi Charles III et Emmanuel Macron, Buckingham Palace, 18 Septembre 2022 @Fergus Burnett/fergusburnett.com

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