Quand on parle des bâtisseurs de grands évènements sportifs internationaux, on vous montre sur petit écran les noms de sponsors qui crachent des millions pour gagner quelques secondes de cerveau disponible. Mais derrière les strasses et les paillettes, qui sont les véritables fourmis à l’origine des infrastructures babyloniennes qui accueillent des sportifs pour quelques semaines de jeux ? Où se cachent ces visages noirs où perle la sueur d’une vie de labeur ? C’est au Qatar que se prépare la Coupe du Monde pharaonique de 2022 grâce à un esclavagisme moderne plus que jamais assumé.

La servitude rend libre ?

Une enquête du Guardian datant de 2013 révélait déjà les épouvantables conditions de vie des travailleurs immigrés du Qatar qui préparent dans l’ombre la Coupe du Monde 2022. Plusieurs ONG internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International alertaient déjà l’opinion sur les conditions de vie de ces immigrés anonymes qui représentent pourtant plus de 90% des travailleurs au Qatar, soit 1.35 million de personnes. La plupart d’entre eux viennent du Népal, quittant leur foyer et leurs familles criblés de dettes et espérant trouver au Qatar les moyens de survivre. Sur place, c’est tout autre chose qui les attend…

Sur place, les non-paiements sont courants, tout comme les déductions de salaire, aléatoires et illégales. Les travailleurs sont parqués dans des habitations insalubres où jusqu’à 12 personnes doivent partager une même chambre. La liberté de circuler y est inexistante, quant aux droits du travail ou les droits humains, n’en parlons pas. « Si je ne devais demander qu’une chose ? Qu’on nous traite comme des êtres humains » déclare un migrant. Un témoignage parmi d’autres rapportés par Amnesty International et qui mettent en échec l’unique argument répété des exploitants : « ils gagnent mieux leur vie que dans leur pays !« 

Certains travailleurs réfugiés à l’ambassade et ayant témoigné pour le Guardian affirment qu’ils travaillaient chaque jour sous 50°C et que leurs employeurs ne leur donnaient pas de libre accès à l’eau. Ce n’est pourtant qu’un petit aperçut des conditions de travail de ces hommes. Selon ces témoignages, les règles de sécurité ne sont pas respectées et l’ambassade du Népal au Qatar a recensé entre le 04/06 et le 08/08/2013 44 morts, presque un travailleur par jour. La plupart des morts sont dues à des arrêts cardiaques ou des accidents de travail et touchent aussi des hommes jeunes, trop jeunes. Amnesty International a ainsi dénombré 1000 morts (dont des adolescents) depuis le début des travaux. On s’attend à 4000 décès d’ici la fin des travaux. 4000 vies, et autant de familles, broyées pour quelques semaines d’animation télévisée. Tout va bien dans le meilleur des mondes.

Un pays sous le regard de tous

Et pourtant, le pays est sous tous les regards. Le Qatar est devenu, en l’espace de 10 ans, une des premières puissances de la péninsule arabique, un pays très riche à la conquête du monde. L’actualité est aujourd’hui rythmée par ses nouvelles extravagances, du rachat du club de football parisien (PSG) à la récente acquisition de 24 avions de guerre français (Rafales) et leurs missiles, en passant bien sûr par les preuves de financement des groupes djihadistes armés par des émirs qataris. Loin de la lumière des médias, les travailleurs immigrés que le pays exploite continuent de travailler sans relâche pour satisfaire les exigences des préparatifs de la Coupe du Monde 2022.

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À la hauteur de sa réputation, le Qatar voit grand. La ville qui accueillera principalement la Coupe du Monde, et qui renferme tant d’abus, Lusail City, est sortie de terre en à peine quelques années. Le pays aurait, selon le rapport d’Amnesty International, investi plus de 300 milliards de dollars dans les infrastructures pour accueillir la compétition (hôtels, nouvelles routes, nouvel aéroport etc…). Mais combien pour les vies humaines ? Quel serait le prix de jeux où les droits de l’Homme seraient respectés ?

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Les accusations graves des journaux et des ONG noircissent dangereusement la réputation qatarie. Les autorités ont notamment informé le Guardian que leur gouvernement menait une enquête pour vérifier ces propos. L’une des principales sociétés de construction, Halcrow, filiale de la société CH2M Hill Group, a affiché une tolérance zéro sur la question du travail forcé mais affirme aussi ne pas être responsable de la surveillance et du contrôle des conditions de travail. Une déresponsabilisation qui laisse planer un sérieux doute sur les actions prises sur le terrain. De manière générale, les firmes ont annoncé une augmentation du nombre d’inspections et d’enquêtes internes. Ces « auto-vérifications » sont-elles bien suffisantes et digne de transparence ?

Précisons que les multinationales françaises de BTP, Bouygues et Vinci, sont présentes au Qatar et profitent de cette main d’œuvre servile et sous-payée pour faire gonfler leurs bénéfices. Suite à une enquête sur place, la CGT (syndicat français) et l’ONG Sherpa ont porté plainte contre Vinci en Mars 2015 pour travail forcé. « Les enquêtes menées sur place concluent à l’utilisation par ces entreprises de menaces diverses pour contraindre une population vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement indignes et à une rémunération dérisoire », déclarent-elles. Une pétition a été lancée pour appuyer cette plainte, qui a finalement abouti à l’ouverture d’une enquête préliminaire par le Parquet de Nanterre visant Vinci Construction Grands Projets.

Chaîne d’exploitation légale

À la recherche d’une vie meilleure, les immigrés, principalement Népalais, déchantent rapidement. Une fois sur place, endettés d’un voyage coûteux, ils n’ont pas les moyens de lutter contre les grandes entreprises et contre l’État qatari lui-même. Le journal britannique révèle qu’il existe un réseau de recrutement complexe qui s’étend des leaders qataris jusqu’aux villages népalais.

Comme le montre le Guardian dans son enquête et les rapports des ONG, plusieurs des droits fondamentaux de ces personnes sont allègrement bafoués par les entreprises de construction. Les travailleurs ne jouissent ni du droit de grève ni du droit de se syndiquer, contrairement à ce qu’exige l’Organisation Internationale du Travail (OIT). L’équipe du Guardian semble en effet avoir levé le voile sur ce qui paraît être une chaîne d’exploitation « légale » généralisée incarnée par le système de « parrainage », le système Kafala.

Le système Kafala est régi par une loi qui oblige tout travailleur étranger à se faire patronner par une entreprise ou un particulier qui lui délivre alors des visas d’entrée et de sortie de manière arbitraire. Ce système donnerait ainsi lieu à des abus de pouvoir de la part des entreprises qui l’utilisent comme un moyen de pression pour entraver le départ des travailleurs, limitant la vie à une seule alternative : le travail. « On aimerait partir mais la compagnie nous en empêche » explique un homme à l’équipe du Guardian.

Qatar migrant workerImage : endslaverynow.org

Le système du parrainage devient alors un instrument de pouvoir et de domination pour les entreprises qui, en menaçant les travailleurs récalcitrants de leur retirer leur permis de séjour, s’assurent de leur fidélité. Quant à ceux qui sont déterminés à partir, ils sont condamnés à payer des amendes et ainsi poussés à devenir hors-la-loi. Les immigrés n’auraient, toujours selon ces rapports, aucune protection légale ni juridique et les frais prohibitifs d’un procès les empêchent de saisir la justice. Ces travailleurs (qui sont avant tout des Hommes) se trouvent dans une impasse judiciaire et financière qui fait dire à Maya Kumari Sharma, l’ambassadeur népalais au Qatar, que ce pays est une véritable « prison ouverte ».

Une nouvelle forme d’esclavage ?

Le Guardian n’hésite pas à employer l’expression d’une « nouvelle forme d’esclavage moderne » selon la définition donnée par l’Organisation Internationale du Travail. Mais Amnesty International s’y refuse comme l’explique J-F Dubost, directeur du projet « Personnes Déracinées » à Amnesty France. Celui-ci différencie deux types de contrats. Dans le premier cas, le contrat est respecté mais les droits des travailleurs sont bafoués. Dans le second cas, les personnes signent un contrat qui n’est pas respecté, ils sont alors employés pour un autre travail et encourent des sanctions s’ils revendiquent leur droit. Ce type de contrat relève du travail forcé. Selon l’OIT, près de 21 millions de personnes seraient victimes de travail forcé dans le monde dont 19 millions exploitées par une entreprise privée ou des particuliers. Or, dans ces contrats, il n’est pas question de propriété comme le sous-entend la notion d’esclavage, même si la situation semble s’y rapprocher.

Aux travailleurs forcés des chantiers pour la coupe du monde, s’ajoutent les travailleuses domestiques employées par les particuliers, moins « médiatisées », issues principalement des Philippines. Là aussi, les conditions sont extrêmement dures : violence physique et sexuelle, harcèlement moral, longues périodes sans salaires, privation de passeports et de congés, privation de nourriture…

Le système de parrainage tel qu’il est appliqué aujourd’hui et les divers abus dont sont victimes les travailleurs ne constituent-ils pas une étape vers cette nouvelle forme moderne d’esclavagisme ? En pratique, ceci y ressemble grandement. Le système de parrainage prive les ouvriers de leur liberté de mouvement notamment par une relation stricte entre parrain et travailleur qui ressemble davantage à un rapport de maître à esclave.

Pas d’amélioration visible

L’actualité récente confirme l’analyse précoce du Guardian d’une manière inattendue. Des travailleurs immigrés ont récemment été obligés de participer à un marathon sous une chaleur écrasante, a rapporté le Doha News. Vêtus de jeans et de chaussures de travail, ils ont été amenés par bus au départ de la course pour courir les 42 km aux côtés des sportifs. Al-Saad, le principal club de marathon de Doha, voulait simplement essayer de battre le record du plus grand nombre de participants sur un marathon et inscrire le pays dans le Guinness World. Sans commentaire.

Par ailleurs, suite au tremblement de terre au Népal, les autorités qataries se font une nouvelle fois remarquer pour refuser aux travailleurs une permission de quitter le territoire pour assister aux funérailles. « Ma famille vit près de Katmandou. Depuis le séisme, je n’ai plus eu aucun contact. Deux de mes proches sont morts. Ma femme et mes deux enfants dorment sur les routes. Je veux absolument rentrer mais je ne peux pas, mon employeur m’en empêche. Je dois rembourser le prêt que j’ai contracté ici au Qatar. » explique un travailleur au journal The Independent.

Plus que jamais, la Coupe du Monde 2022 soulève beaucoup de questions qui dérangent les plus hautes autorités de la FIFA. Des questions qui sont au cœur d’une mondialisation qui puise sa force dans les inégalités tout en prétendant être un vecteur de développement pour tous. Une symbole comme la FIFA, qui se veut rassembleur des peuples au niveau mondial, peut-il décemment soutenir un modèle de société où l’esclavagisme par le travail est standardisé, où le dictat du capital se lie à celui d’un état, où l’objet sociétal se réduit à un productivisme effréné à l’heure même de la crise écologique ?


(Soyez curieux, consultez les sources, ce que nous vous révélons n’est qu’une petite partie de la vérité…)

Sources : theguardian.com / leparisien.fr / tempsreel.nouvelobs.com / humanite.fr / liberation.fr (2) / observatoiredumoyenorient.blogspot.com

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