Sa description est des plus laconiques. Quelques mots qui auront suffi à attiser la curiosité de millions d’internautes à travers le monde. Une vidéo de slam « éco-like » signée du rappeur Prince Ea fait le buzz avec 40 millions de vues en quelques jours : « Chères futures génération. Désolé. » Et après ?

Désolé. Désolé de l’activité humaine de manière générale. De la pollution. Des arbres coupés. De l’impact carbone. Du mal de notre inconscience. La vidéo admirablement bien réalisée offre un message unanime qu’aucun ne pourrait contredire. Il faut changer, maintenant, tout de suite. Qui n’est pas d’accord lève la main !

Changer. Oui, mais comment ? En préservant la forêt, selon le discours de Prince, tout le monde est à nouveau d’accord. Il faut arrêter de couper des arbres. Et concrètement ? En achetant des certifications CO2, d’après cette même vidéo. Des quoi ?

En effet, ce clip, à la réalisation admirable, est en réalité le fruit d’une campagne médiatique rondement menée par « Code REDD » via l’ONG Stand for Trees (debout pour les arbres) dont le but est de protéger les forêts d’une manière assez controversée dans le monde des écologistes : la vente de certificats carbones REDD+.

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Derrière le discours, du capitalisme vert

« J’ai fais cette vidéo pour informer ma génération qu’il y a quelque-chose que nous pouvons faire maintenant pour préserver notre futur, cette chose, c’est de « prendre un Stand for Trees » (se lever pour les arbres)«  déclare Prince Ea, en indiquant par un astucieux jeu de mot le lien de l’ONG où il est possible d’acheter de bien étranges coupons.

L’action médiatique de Stand for Trees, réussite absolue en matière de chiffres et d’inspiration, consiste donc en substance à vendre des certificats carbone de 5 à 100$ en vue de protéger une forêt de votre choix. 14 options sont disponibles en ce moment sur le site officiel de l’action et toutes semblent véritablement porteuses de changement, si on en croit le site.

En principe, un certificat carbone acheté vient compenser une quantité donnée de CO2 (par tonne) qui ne sera pas rejetée dans l’atmosphère. Concrètement, sur le terrain, votre achat empêche la coupe future de certains arbres en leur donnant une valeur. Ceci limiterait en pratique la déforestation. L‘argent récolté revient en partie aux ONG qui gèrent des projets locaux de conservation de la faune et de la flore.

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Ainsi, leur site explique qu’un arbre non coupé est un arbre qui conserve, en toute logique, son CO2 accumulé avec les âges. En moyenne, 18 tonnes de CO2 par arbre. Un CO2 capturé ayant une valeur d’usage qu’il est possible de revendre sous forme de certificats ou crédits carbone à des particuliers, mais aussi (et surtout) à des entreprises. De cette manière, un arbre a plus de valeur vivant que mort, ce qui encouragerait leur préservation. Le souci, c’est qu’en pratique, les certificats CO2 sont aussi (et surtout) rachetés par des multinationales qui tentent de compenser leurs activités polluantes tout en redorant leur blason sans remettre en question leur mode de fonctionnement. Et c’est là que le bât blesse.

En effet, contrairement à ce que laisse suggérer la vidéo, il existe une profonde division au sein des institutions, ONG et collectivités locales en ce qui concerne le marché des certificats carbone et plus particulièrement le modèle REDD+ dont Stand for Trees fait ici la promotion à travers un buzz mondial en apparence sincère.

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Une « éco » justification de l’accaparement des terres ?

Plusieurs médias américains indiquent que Prince Ea n’est pas à l’origine de la vidéo, il n’en serait que l’acteur médiatique. En effet, cette campagne de Stand for Trees serait le fruit de Mike Korchinsky, fondateur même du code REDD dont il fait habilement ici la promotion. Le concept lancé en 2008 a été coordonné par l’ONU, encouragé par les incitations financières liée au marché du carbone.

De manière vulgarisée, l’idée fondatrice derrière le modèle REDD (Reducing emissions from deforestation and forest degradation) est de donner une valeur monétaire aux choses vivantes, de sorte à les placer en meilleur position sur les marchés internationaux. Ici, il est question de tonnes de CO2 que les arbres capturent. En privatisant les terres par des investissements étrangers, le modèle REDD permet donc de vendre et acheter ce que certains nomment des permis de polluer. Une logique de financiarisation du vivant « à l’américaine » approchée notamment dans un reportage d’Arte : Nature, le nouvel Eldorado de la finance ainsi que dans un article signé Bastamag.

Ainsi, les critiques de cette approche estiment que le modèle REDD+ permet de poursuivre, de légitimer et d’intensifier des activités aussi destructrices que les industries minières, pétrolières, gazières et charbonnières, la monoculture d’arbres et l’agro-industrie, tout en les justifiant par une protection locale de quelques arbres. En d’autres termes : le mythe de la croissance durable. Mais la critique n’émane pas que des intellectuels. Des peuples autochtones viennent en également à s’opposer à cette privatisation « verte » de leurs terres. C’est notamment le cas du Indigenous Environmental Network, association qui lutte pour les droits des peuples indigènes depuis 1990. Ils estiment que le modèle REDD+ constitue un accaparement « légalisé » des terres, voire même une ouverture à la possibilité de déboiser certaines zones à condition d’y replanter d’autres espèces économiquement rentables, au détriment de la biodiversité. Le modèle REDD+ fonctionnerait ainsi à travers le prisme de l’argent (via le motif CO2) et non la protection environnementale de manière holistique.

Vulgarisons la méthode par un exemple absurde. Admettons que vous vouliez acheter un meuble Ikea en bois tropical dont la fabrication serait compensée par certificats CO2. Ce certificat vous garantit que, quelque part, un arbre n’a pas été coupé pour conserver une quantité donnée de CO2. Mais un autre arbre, ailleurs, a bien été coupé pour fabriquer votre meuble, et les transports par avion et camion ont bien rejeté leur CO2 dans l’atmosphère. La pollution a donc été symboliquement compensée par un arbre préservé, mais le bilan écologique réel et immédiat se limite froidement à un rejet net de CO2 dans l’atmosphère. Le modèle REDD apparait donc économiquement « miraculeux » (ce qui explique sa réussite) car il fait croire à un acte écologique en limitant la coupe de certains arbres tout en validant le mode de vie qui est à l’origine de la crise écologique. Privatiser des arbres pour préserver le consumérisme, une vraie solution ?

Le Kony 2012 de l’environnement ?

Face à un tel constat, on ne peut s’empêcher de repenser au buzz Kony 2012. Souvenez vous de cette vidéo touchante vue plus de 50 millions de fois en quelques jours concernant Joseph Kony, violent chef de guerre d’Ouganda. Un appel à la mobilisation internationale avait été lancé et des millions de dons furent récoltés pour sauver les enfants. Puis, on découvrit un montage financier douteux où plus de 70% des dons tombaient dans les poches des organisateurs et employés de l’action. La supercherie pris fin quand on révéla que l’organisation vendait des armes à l’Armée de Libération, acte incitant aux conflits inter-ethnies à l’origine de nouveaux bains de sang (source). La vidéo originale était pourtant d’apparence sincère et énumérait des faits réels.

Depuis cet évènement, il convient de marquer un temps de réflexion face à tout nouveau buzz qui mêle une vraie problématique indéniable (la crise écologique) à une campagne médiatique de haute qualité au profit d’une solution économique déterminée (ici, la vente de crédits carbones REDD+).

Nul doute que la protection des forêts nécessite des actions fortes et engagées. Le système REDD+ apporte de manière évidente des avantages économiques, environnementaux et sociaux, mais, selon l’institut international du développement durable, elle n’est pas une panacée et encore moins une solution miracle du fait même qu’elle s’inscrit dans la logique économique dominante. Par ailleurs, en pratique, sur le terrain, l’application d’une telle mesure ne semble pas rencontrer l’unanimité des populations locales qui voient leur patrimoine privatisé sur fond d’écologie. Enfin, en 2011, un rapport d’experts mondiaux (Global Forest Expert Panel on International Forest Regime) avait conclu que le modèle REDD+ ne pourrait pas lutter efficacement contre la déforestation.

Testée depuis plusieurs années, cette solution de privatisation apparait déjà comme un échec entaché de zones obscures et de scandales financiers. C’est aussi le triomphe de la financiarisation du vivant et l’absence de décisions collectives fortes pour protéger l’environnement sans recouvrir à sa marchandisation. En effet, l’institut international du développement durable estime également que la mise en œuvre d’une protection réelle du patrimoine naturel doit être appuyée par des stratégies de développement à l’échelon national et international, notamment par des décisions collectives fortes, et, nous rajouterons, un changement radical du modèle basé sur la Croissance.

Désolé ? Encore plus qu’on pourrait le croire.


Sources : globalcitizen.org / iisd.org / ecowatch.com / cetri.be / carbontradewatch.org / ienearth.org

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