Début du mois devait théoriquement s’ouvrir le procès Cahuzac, un cas classique de dissimulation ou/et accumulation de mensonges loin d’être propre à l’ex-ministre délégué chargé du budget. Bien d’autres figures politiques ont été éclaboussés par la vérité et l’ont pourtant ouvertement niée. Devant la caméra, nombreux ont affirmé, défendu et réitéré leur innocence. Armés de discours bien rodés, leurs déclarations paraissaient authentiques, cependant, face à l’œil avisé d’experts du langage corporel cette authenticité s’érode. Analyse de ces gestes subtils qui ont trahi les puissants.
À travers l’histoire récente, les figures politiques ayant ouvertement menti face caméra ne manque pas. Les archives peuvent en témoigner, certains puissants, dont le nom a fait le tour du monde, se sont retrouvés dans des situations quelque peu déstabilisantes où le mensonge était la seule échapatoire. Des situations qui seront généralement éclaircies par les faits ou la justice peu après. Pour illustrer ces gestes qui les trahissent, nous pouvons citer 4 scandales médiatisés pour 5 figures politiques bien connues : Jérôme Cahuzac, Silvio Berlusconi, Richard Nixon et Bill Clinton.
Jérôme Cahuzac : en 2012, Mediapart dévoilait au grand jour que l’ancien ministre aurait des fonds non-déclarés en Suisse et à Singapour. Une information improbable au regard de l’historique politique et du post de l’individu, alors ministre délégué chargé du budget (France). L’homme démentira les journalistes avec force devant l’Assemblée Nationale. Pourtant, l’année suivante, il avouera la véracité des propos de Mediapart devant les juges d’instruction.
Silvio Berlusconi : en 2010, le scandale Rubygate éclate. Dans un discours relayé par la chaîne de télévision nationale TG5, le Cavaliere, accusé d’incitation à la prostitution de mineure, assure ignorer à cette époque le jeune âge de Ruby et dément la nature sexuelle de ses soirées. En juin 2013, Silvio Berlusconi sera condamné pour incitation à la prostitution de mineure et abus de pouvoir, à sept ans de prison ainsi qu’à une peine d’inéligibilité à vie. Il sera plus tard acquitté par la Cour d’appel de Milan qui a estimé que le Chef d’État ne savait pas que Ruby était mineure. Pourtant, sur base du dossier, le procureur de la Cour de cassation avait évoqué «la passion dévastatrice» de l’octogénaire pour les adolescentes…
Photo : EFE/Alessandro Di Meo
Richard Nixon : c’est un des cas les plus médiatisés au monde. En 1972, le scandale de Watergate met à mal l’administration Nixon, alors suspectée d’espionnage et de sabotage contre des candidats démocrates. Lors d’une conférence de presse, le président républicain affirmera ne pas être un « crook » et qu’il a toujours tout fait dans les règles de l’art pour arriver là où il en était. Les nombreuses investigations des journalistes et l’enquête du Sénat américain sur cette affaire finiront par dévoiler les pratiques illégales de grande ampleur au sein même de l’administration présidentielle de Nixon. L’homme a délibérément menti devant des millions de téléspectateurs.
Bill Clinton : en 1998, la relation que le président charismatique entretenait avec Monica Lewinsky est dévoilée au grand jour. Il affirmera pendant des semaines à la télévision ne pas avoir eu de relation inappropriée avec « cette femme » en dépit des témoignages. Cependant, le contraire sera rapidement prouvé et l’homme finira par admettre son mensonge. Si on se moque finalement de la vie privée de Clinton, il est intéressant d’observer comment l’homme va être amené à mentir ouvertement pour protéger ses intérêts politiques et tenter d’éviter de briser sa carrière.
Ces nombreux cas démontrent qu’il faut toujours rester prudent avec des déclarations fracassantes des personnalités politico-médiatiques. Mais quand la justice prend parfois des décennies à faire son œuvre, comment détecter ces petits mensonges ? Divers experts en comportement non-verbal estiment que nos gestes et nos mimiques peuvent trahir nos paroles. Si c’est loin d’être une science exacte et que personne ne peut s’improviser expert en la matière, la technique offre des indications clés pour ceux qui savent être attentifs.
Ces gestes qui les ont trahis
Ces personnalités ont tous montré à un moment ou à un autre des signes qui venaient porter le doute sur leurs propos. Ces indices sont répertoriés par des experts en la matière dont Eric Goulard, analyste belge des comportements et des gestes, expert en communication verbale et non verbale. Il est notamment l’auteur de « Les mensonges en action » (2011) et « Comment détecter les mensonges » publié en 2013 par Leduc.s Éditions. Voici une liste non-exhaustive de ces signes qui trahissent les puissants.
Bouche d’huître : cette mimique qui consiste en un pincement de lèvres assez prononcé et très bref, peut signifier que l’interlocuteur ne dit pas tout et tente de cacher quelque-chose, sans pour autant mentir. Cette bouche d’huître, selon Stephen Bunard, spécialiste du comportement interrogé par atlantico.fr, on la retrouve à plusieurs reprises chez François Hollande lorsqu’il est interrogé sur la bonne santé de son couple avec Valérie Trierweiler. Elle apparaît également à de nombreuses reprises lorsque Yves Leterme tentait de rassurer les Belges sur le rachat de la banque Dexia.
Langage de distanciation : ce langage est utilisé lorsque l’on désire se dissocier d’une situation ou d’une personne, et est repérable par le recours de mots tels que « ce », « cet », « cette », « eux », « leur » … Un langage également utilisé lorsque l’on se sent fautif et que l’on essaye de se déresponsabiliser. C’est une forme d’expression d’une dissociation cognitive, c’est à dire un malaise entre le comportement affiché et ce qui devrait être juste. Bill Clinton l’utilise lorsqu’il dément avoir eu des relations sexuelles avec Monica Lewinsky, référant à celle-ci comme « cette femme » (« that woman »).
Mouvements corporels brusques : que ce soit un mouvement de tête, un mouvement d’épaule ou un mouvement de retrait brusque lorsqu’une question directe est posée, il y a de forte chance que l’interlocuteur ne dit pas l’entière vérité. Lors de son discours concernant le scandale Watergate, Nixon fait un mouvement de retrait très marqué immédiatement après avoir dit « avoir mérité tout ce qu’il a acquis ». Quant à Silvio Berlusconi, il est trahi par un mouvement d’épaule très brusque à 5m21s (voir ci-dessous). Des gestes également souvent visibles chez Nicolas Sarkozy.
https://youtube.com/watch?v=CD3SNptW6JU
Élocution altérée : il peut être intéressant de prêter attention à la manière dont s’exprime une personne. Une altération de son élocution peut laisser quelques indicateurs. C’est à nouveau le cas de Silvio Berlusconi lorsqu’il adopte une voix plus rauque à 5m21s (ci-dessus).
Croisement des bras : un geste de protection, en réaction à une situation désagréable qui crée un malaise. Il n’indique pas à coup sûr un mensonge, uniquement une gêne ou vulnérabilité soudaine ressentie par l’interlocuteur et un besoin de se rassurer. Un signe que l’on retrouve chez Nixon en même temps qu’il exécute son mouvement de retrait.
Répartition du poids différente : elle ne peut être incluse dans le lot des mouvements corporels brusques, car elle envoie un message différent que ces derniers. Elle indique principalement une situation d’inconfort et d’intense nervosité, comme c’est le cas pour Yves Leterme lors de l’affaire Dexia.
Rigidité ou immobilité excessive : lorsqu’un individu est amené à parler, il utilise une gestuelle fluide. Il est bien rare qu’elle reste rigide ou immobile, à moins qu’elle soit nerveuse. Une immobilité totale peut ainsi indiquer que quelque chose ne tourne pas rond. Il s’agit également d’un état d’alerte, en cas de confrontation, dont Jérôme Cahuzac a fait preuve lors de sa prise de parole à l’Assemblée Nationale.
Mouvement de l’index : toujours selon Stephen Bunard, ce dont un individu fait de son index est très révélateur. Pour lui, c’est ce doigt, ne cessant de frétiller, qui a trahi Jérôme Cahuzac à l’Assemblée Nationale, déclarant haut et fort qu’il y avait un gros non-dit.
Illustration : Nawak
Des signaux à prendre avec des pincettes
Ces gestes apparaissent tous aujourd’hui comme des indicateurs évidents de mensonges ou de dissimulations, car la vérité a, entre temps, été établie par la justice, démontrant ainsi que ces hommes ne disaient pas l’entière vérité. Cependant, avant qu’une vérité ne soit révélée par des faits concordants et fiables, ces gestes ne pouvaient qu’être interprétés comme des signes de malaise, de gêne ou de nervosité. En effet, ils sont tous faces à des individus qui les accusent et les condamnent d’ores et déjà. Ils sont également filmés et savent que leurs moindres faits et gestes seront observés, interprétés et jugés. Ainsi, l’étude des signaux non-verbaux ne peut en aucun cas outrepasser la présomption d’innocence. Cette approche peut cependant servir de technique d’autodéfense intellectuelle contre les éventuelles manipulations que nous rencontrons dans la vie quotidienne.
Sources : atlantico.fr / uk.businessinsider.com / unibet.be / unibet.eu / avec l’aide de l’expert en non-verbal et crédibilité Eric Goulard