Au Brésil, la pandémie du coronavirus connaît une progression rapide, alors que le président adopte depuis le début de son mandat une politique privilégiant l’économie à la santé, à l’instar d’autres gouvernements européens. Les conséquences pourraient être désastreuses pour les plus défavorisés, notamment dans les favelas où l’insalubrité et la densité de population font craindre une hécatombe. Mais, plus surprenant, la pandémie remet également en cause la protection de la forêt amazonienne. Les communautés indigènes, autre population fragile, s’inquiètent de l’augmentation de la déforestation et de l’invasion de mineurs pendant que les regards sont tournés ailleurs…
Avec plus de 40 000 cas confirmés et près de 2500 décès (à ne pas comparer aux chiffres européens où la pandémie a commencé plus tôt), le Brésil est déjà durement touché par le covid-19. La situation est particulièrement problématique dans un pays où le système sanitaire est largement sous-financé. Les plus grands obstacles à la lutte contre le virus sont certainement l’indifférence et l’obstination du président Jair Bolsonaro, qui n’a eu de cesse de minimiser la gravité de la pandémie. Malgré les directives de l’Organisation Mondiale de la Santé et du ministère brésilien de la santé, il a poursuivi l’application de l’un de ses slogans de campagne : « L’économie d’abord, les soins de santé après », adoptant des mesures suffisamment souples pour que la machine économique continue de tourner.
Les populations défavorisées, premières victimes du virus
Le comportement du président brésilien n’est pas sans rappeler celui de son homologue américain, Donald Trump. Dans les deux cas, ce n’est pas forcément l’électorat de base des chefs d’État qui seraient les premières victimes du virus. Majoritairement issue de la classe moyenne, cette population pourrait en effet davantage faire appel aux coûteux hôpitaux privés des deux pays. Cependant, un léger infléchissement dans la politique des deux présidents avait été observé ces derniers temps. Rattrapés par la réalité de la pandémie et de ses nombreuses victimes quotidiennes, ils avaient finalement tous les deux appelés la population à la responsabilité et au confinement. Mais cette position fut de courte durée. Depuis quelques jours, au plus fort de la crise, Jair Bolsonaro – tout comme Donald Trump – réaffirme sa volonté de privilégier l’économie, dénonçant les mesures trop strictes prises par certains gouverneurs, et encourageant même les Brésiliens à ignorer ces restrictions.
Depuis son entrée en fonction, le gouvernement d’extrême-droite du président a mis en œuvre une politique précarisant considérablement la population. Après le sous-financement et la privatisation du secteur des soins de santé, les hôpitaux sont moins accessibles aux Brésiliens, et beaucoup d’entre eux manquent de personnels, de tests médicaux, de masques et de respirateurs. Les personnes les plus défavorisées, fragilisées par des conditions de vie difficiles, sont les premières victimes de la pandémie. C’est dans les banlieues des grandes villes brésiliennes, les favelas, que le pire est à craindre. De nombreux décès y ont déjà été enregistrés, et la densité de population et l’insalubrité qui y règnent pourraient fortement alourdir ce bilan.
La forêt amazonienne menacée par le virus
Mais la politique du très controversé président brésilien a un impact tout aussi important sur un autre secteur-clé du Brésil, la protection de la forêt amazonienne et des communautés indigènes qui y vivent. Depuis le début de son mandat en 2018, l’homme a ouvertement encouragé l’exploitation de la forêt et minimisé les feux spectaculaires qui l’ont ravagée l’année passée, ce qui aura indigné la communauté scientifique, de nombreuses ONG et les peuples indigènes. Aujourd’hui, à cause de la pandémie, ces mêmes acteurs de la défense de l’environnement s’inquiètent de la fragilisation du dispositif de protection de la forêt amazonienne – déjà particulièrement faible – et de sa population à l’approche de la saison des feux.
Alors que la forêt se remet doucement d’une année 2019 marquée par le plus haut taux de déforestation et d’incendie depuis une décennie, les missions de surveillance ont été réduites, et les agents de la protection des forêts sont moins présents sur le terrain. Un contre-sens total au regard de l’urgence de la situation. Après des années de réduction de personnel, un tiers de ces agents est aujourd’hui proche de l’âge de la retraite, et donc plus vulnérable à la maladie. « Il n’est pas question de mettre ces personnes à risque en danger en les exposant au virus », a déclaré Olivaldi Azevedo, directeur de la protection de l’environnement, à l’agence Reuters. Aucune alternative en vue.
Les communautés indigènes en danger
Les principaux défenseurs de la forêt amazonienne demeurent les ethnies autochtones qui y vivent. Mais en tant que populations particulièrement vulnérables aux épidémies précédentes, elles aussi ont dû s’isoler pour éviter la contamination après un premier cas de Covid-19 recensé début avril. Un juge fédéral brésilien a d’ailleurs fait bannir un groupe de missionnaires chrétiens présents dans la forêt, qui avait récemment acquis un hélicoptère pour faciliter l’évangélisation des populations brésiliennes isolées tout en voulant éviter les contacts avec les peuples indigènes. Ceux-ci ont salué une décision historique qui pourrait éviter une nouvelle catastrophe sanitaire incontrôlable, 500 ans après le génocide perpétré par les premiers colons, en grande partie par la transmission de maladies nouvelles. Dénonçant la gestion de la crise par le gouvernement, les leaders amazoniens ont également lancé un appel à la solidarité, pour l’approvisionnement en nourriture et une assistance médicale d’urgence.
Mais outre la maladie, les communautés autochtones sont toujours confrontées aux menaces de mort et aux violences qui se poursuivent à leur encontre, alimentées par les tensions sur les terres et les ressources naturelles. Récemment, un gardien de la forêt guajajara a été assassiné. Les circonstances de ce qui constitue le cinquième meurtre dans cette communauté en cinq mois font l’objet d’une enquête. En ce moment, la présence plus faible des autorités et des organismes de contrôle ouvre la voie à davantage de violences, d’invasions illégales des terres indigènes et de déforestation.
Les incursions de mineurs illégaux en hausse
Au Brésil, la soif de l’or et des pierres précieuses n’a pas cessé au siècle dernier. Avec l’instabilité des marchés monétaires, on observe même une nouvelle vague de mineurs. Dans certaines régions, une augmentation des incursions par les mineurs a été observée, attribuée notamment à la hausse du prix de l’or depuis le début de la crise mondiale. Les groupes écologistes craignent que la tendance ne s’accélère au sortir de la pandémie, alors que le ralentissement économique qui suivra pourrait pousser plus de gens à chercher des sources de revenus non-conventionnelles.
Le WWF et son partenaire local Kanindé alertent ainsi sur le risque d’une invasion majeure dans les prochains jours dans le territoire indigène Uru-Eu-Wau-Wau. D’après les sources du Guardian, les mineurs illégaux ont pour but de rassembler un grand groupe et de déclencher une émeute comme prétexte pour entrer dans la zone et diviser les terres pour en prendre possession. Pour contribuer à contrer cette menace, le WWF Brésil a indiqué qu’il ferait don de 14 drones aux communautés indigènes pour qu’elles puissent mener leur propre surveillance en temps réel. La démarche peut sembler dystopique mais porte ses fruits. L’année passée, le premier vol de ce type avait permis de découvrir le défrichage illégal et clandestin d’1,4 hectare de forêt.
Si la pandémie du covid-19 semblait avoir quelques effets bénéfiques sur la faune mondiale qui peut réinvestir certaines zones désertées depuis longtemps, loin des yeux, les conséquences sur le plus grand bassin de biodiversité au monde pourraient être catastrophiques. La réponse du gouvernement brésilien à cette menace, tant pour la survie des peuples autochtones que pour la protection de la forêt amazonienne, fait craindre le pire pour l’évolution de la situation, alors qu’une nouvelle saison des feux approche.
Raphael D.