Mise en place de drive fermiers, renationalisation de l’approvisionnement en grande distribution, organisation d’AMAP entre voisins, création de plateformes régionales par les collectivités locales, divers projets de relocalisation de la consommation alimentaire,.. la crise sanitaire Covid-19 amène les Français à manger plus local. Tour d’horizon (non exhaustif) de belles initiatives qui sortent de terre.
Par la force des choses, le virus COVID-19 a amené un retour implicite au locavorisme. Loca … quoi ? Ce mouvement se résume ainsi : consommer la nourriture – mais aussi l’artisanat – produite dans un rayon restreint autour de son domicile. Plus concrètement, être locavore, c’est acheter des produits frais et de saison, auprès de producteurs locaux, et limiter le gaspillage alimentaire. Nos arrières grands-parents étaient locavores par nécessité. Or, avec l’apparition des supermarchés et la diversification des moyens de transports, la grande distribution est venue concurrencer les producteurs locaux. Les étals des supermarchés sont aujourd’hui « Made in monde » : avocats du Pérou, tomates d’Espagne, ananas du Costa Rica, citrons du Brésil, raisins du Chili, fruits de la passion du Vietnam, melons du Maroc, clémentines d’Israël, poires d’Afrique du Sud … et la liste est encore longue.
Or ce tour du monde culinaire, depuis la France, n’est possible que depuis la globalisation des échanges. Tous les jours, ce sont des milliers d’avions, de frets et de camions qui font voyager ces produits à travers le monde. Mais, quand la méga-machine s’arrête, comment fait-on ? Les français semblent l’avoir bien compris : on retourne à une consommation locale. Depuis la fermeture des marchés en plein air le 23 mars, ce qui n’est pas sans impacter le secteur agricole français tout en faisant les affaires de la grande distribution, de nombreuses initiatives fleurissent afin de soutenir les producteurs locaux. Retour sur quelques unes d’entre elles.
Un appel au protectionnisme agricole voire au « patriotisme alimentaire »
Le lundi 23 mars, le Premier Ministre, Edouard Philippe, annonçait la fermeture des marchés en plein air afin de limiter la propagation du Covid-19. Si cette décision a d’abord été ressentie comme un « choc » pour les agriculteurs français, ceux-ci ont su faire preuve d’une belle résilience et trouver de nouvelles manières de vendre leurs productions. Et les consommateurs français semblent avoir suivi le mouvement.
En effet, au lendemain de l’annonce de la fermeture des marchés ouverts, Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances, a demandé aux enseignes de la grande distribution de s’approvisionner auprès des agriculteurs français. Certes, il aura fallu attendre une pandémie mondiale pour que ce ministère comprenne l’importance de soutenir les producteurs français, et daigne mettre en avant la production française. Or, les résultats sont tout de même à noter : bien que cette demande ne soit pas légalement contraignante, la grande distribution a répondu assez positivement. Dans Les Echos, la Fédération du commerce et de la distribution souligne :
« Toutes les chaînes sont en train de passer à un approvisionnement français. Les produits étrangers qui sont présents en rayons seront écoulés mais il n’y aura pas d’approvisionnement hors de France. »
Quatre grandes chaînes de distribution se sont particulièrement engagées dans cette démarche : Carrefour, Lidl, Auchan et Intermarché. Ces supermarchés se sont notamment engagés à ne vendre que des fraises et asperges françaises ; des productions affaiblies par la baisse de la demande et de main-d’oeuvre étrangère. En ce sens, le directeur exécutif des achats de Lidl France Michel Biero, lançait sur Europe 1 l’appel suivant :
« Plutôt que d’acheter des conserves ou d’autres plats transformés, achetons des asperges, des fraises, c’est plein de vitamines et on en a tous besoin en ce moment […] J’étais encore hier en ligne avec Christiane Lambert de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, nldr], et nous nous sommes engagés à favoriser et privilégier à 100% la production française ».
L’engagement de la grande distribution a d’ailleurs été salué par le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, qui se félicite de ce « patriotisme alimentaire ». Cependant, s’il convient de saluer cette démarche, sans nier une forme de récupération commerciale inévitable, les agriculteurs continuent de subir une pression sur les prix des denrées alimentaires en partie imposée par cette grande distribution et les industriels de la transformation.
L’essor des « drive fermiers »
Pour soutenir les producteurs locaux, le mieux reste donc d’éviter les intermédiaires en se fournissant directement chez eux ou via des plateformes de mise en relation. Autrement dit : il faut privilégier les circuits courts. C’est en ce sens que de nombreuses exploitations agricoles ont mis en place un système de drive fermier. Cela consiste pour les agriculteurs à proposer leurs produits fermiers en ligne, avec la récupération des marchandises dans un point de retrait local. Cette nouvelle organisation demande aux agriculteurs d’accorder plus de temps à la logistique et à la distribution, alors même que cette période leur impose de passer plus de temps dans les fermes pour récolter les légumes de printemps et semer pour l’été avec moins de main d’œuvre. Cette période le montre : le plus gros frein du circuit court, c’est la logistique. Plusieurs services ont alors été proposés pour aider les producteurs à s’organiser en ligne, et depuis chez eux. Yuna Chiffoleau, spécialiste des circuits courts (cf Les circuits courts alimentaires, publié en 2019), explique :
« Ils montent des drive fermiers : le consommateur vient chercher sa commande en drive ou le producteur organise des livraisons dans des points regroupés. Certaines collectivités acceptent par exemple que ça se fasse sur une place publique, ou bien des restaurants ouvrent leurs portes pour faciliter la distribution »
Pour mettre en place un drive fermier, l’exploitation agricole utilise le plus souvent les réseaux sociaux, des plateformes spécialisées ou bien son propre site web. Concernant le point de retrait, il est situé soit dans l’exploitation elle-même, ou bien dans d’autres locaux prêtés gratuitement en raison de la situation. C’est d’ailleurs l’objet de l’initiative « Adopte un maraîcher » lancée dans la ville d’Angers, puis reprise dans d’autres villes. M.Pabritz, adjoint au Maire d’Angers et à l’origine du projet, nous a expliqué l’initiative en quelques mots :
« L’initiative ‘Adopte un maraîcher’ consiste à permettre à nos producteurs locaux, habituellement présents sur les marchés d’Angers, de vendre leur production à Angers pendant que les marchés sont fermés. Des commerçants volontaires [bars, restaurants, salons de coiffure, et autres] les accueillent quelques heures par semaine afin de leur permettre d’écouler leur production et retrouver leurs clients angevins »
Plus généralement, de nombreuses collectivités locales se sont engagées pour soutenir les producteurs de leur région. Le département du Lot a par exemple lancé une campagne de communication autour de la marque Oh my Lot ! pour inciter les consommateurs à acheter local. La campagne est appuyée par diverses plateformes qui recensent les producteurs lotois : Bienvenue à la ferme (ventes directes), Région Occitanie (livraisons) ou encore L’annuaire de Bio 46. Quant à la Bretagne, la région vient également de lancer sa plateforme de mise en relation entre consommateurs et producteurs bretons. L’outil a été offert par la région Nouvelle-Aquitaine, qui possède elle aussi sa propre plateforme régionale. Ces répertoires de producteurs locaux fleurissent aussi bien à l’échelle régionale que départementale ou communale.
Des plateformes facilitant l’accès aux produits locaux
Toujours dans le même esprit, à savoir soutenir les producteurs locaux, le logiciel Cagette.net propose de créer son propre drive fermier rapidement et gratuitement via un « kit d’urgence » ; afin de favoriser les circuits courts. Le principe ? Un groupe de consommateurs mutualise ses achats auprès d’un producteur local, puis passe une commande groupée en ligne que l’un d’entre eux va récupérer. Une forme d’AMAP entre voisins. Qui plus est, le logiciel est sans commission, militant et libre !
Citons également la plateforme Direct Market, qui a pour objectif de faciliter le lien entre producteurs et commerçants. Les producteurs inscrits peuvent alors accéder à un réseau de commerçants en circuit court, gratuitement, tout en ayant une garantie quant à la rémunération juste de leurs produits. Elle est particulièrement sollicitée en cette période par les producteurs français qui ne savent pas comment rentrer en contact avec la grande distribution pour vendre leurs produits (manque d’informations, codes à respecter, mauvaise expérience).
D’autres plateformes plus spécialisées ont aussi connu une augmentation de leurs visiteurs, telles que Rutabago ou Pourdebon. Rutabago propose par exemple de livrer des box à cuisiner pour une semaine, incluant à la fois les recettes et des produits 100% bio, de saison et achetés en circuit court. Quant à Pourdebon, le site propose une forme de place de marché virtuelle afin de « Raccourcir les circuits pour de bon ! » : le membre sélectionne sa région et son département, puis une carte interactive affiche les producteurs locaux. Il peut alors choisir les produits de son choix, puis le producteur expédie la livraison chez lui.
Et après ?
« Achetez français, mangez français et aidez-nous au travail des champs ! ». Le souhait exprimé par le président des Jeunes agriculteurs d’Occitanie, Roland Le Grand, semble s’être réalisé : plus que jamais les Français achètent, mangent français si pas local et ils ont répondu présents dans les champs [plateforme Des bras pour ton assiette, nldr]. Or cet élan de patriotisme alimentaire, s’il n’est qu’éphémère, sera délétère. Par ailleurs, on n’oublie pas de citer certains secteurs alimentaires qui souffrent grandement du confinement : les pêcheurs locaux notamment, au grand bonheur de chalutiers industriels géants qui ratissent le fond des océans, surfant sur la crise, et dont les produits abreuvent nos supermarchés.
Par la force des choses, avec l’arrivée du Covid-19, la consommation de plus en plus de Français s’est inscrite dans une démarche locavoriste. La grande distribution, les producteurs et les consommateurs semblent s’unir pour soutenir la production des agriculteurs français. Or, cette prise de conscience ne doit pas être que temporaire face aux appels des autorités à reprendre « tout comme avant ». Ce regain d’intérêt pour une consommation plus locale a pu déjà s’observer lors de chaque crise sanitaire (vache folle, grippe aviaire), or il doit être appliqué sur le long terme pour avoir un réel impact positif sur la situation des producteurs français.
Ces derniers sont aujourd’hui contraints d’accorder plus de leur temps de travail à la logistique (entre autres, préparer les commandes, se déplacer, livrer) qu’à semer ; ce qui risque d’impacter la production de l’été prochain. Les circuits courts ne constituent donc une solution, en terme de résilience alimentaire, qu’à condition qu’ils soient soutenus par les citoyens et les collectivités locales après la crise. En d’autres termes, il s’agit d’encourager et de privilégier la production de produits un maximum biologiques, locaux et dont la distribution est inscrite dans une logique de circuits-courts. Ce qui implique, au préalable, d’abandonner tout raisonnement basé sur la productivité de masse et les économies d’échelle en faveur d’une souveraineté alimentaire saine et durable ; autant sur le plan social que environnemental.
– Camille Bouko-levy