Depuis le XIXème siècle, les gouvernements des pays occidentaux sont influencés par des groupes communément appelés « lobbys ». Tantôt bien connus, tantôt discrets comme des ombres, ils usent de techniques élaborées pour servir leurs intérêts et les intérêts de ceux qu’ils représentent. Récemment, le referendum pour les animaux a déchaîné les passions des lobbys. Comment font-ils pour rallier des Parlementaires à leur cause et influencer notre vie quotidienne dans le plus grand des secrets ?

Lobby or not lobby ?

Depuis le Parlement Britannique, au XIXème siècle, jusqu’à nos jours, de nombreuses méthodes de lobbyisme se sont développées. L’objectif du lobbyiste est de convaincre le destinataire du bienfondé de l’intérêt qu’il défend.

Claire O’Petit, députée LREM de la 5ème circonscription de l’Eure, considère ainsi qu’ « Aujourd’hui, tout le monde fait du lobbying, car chacun défend des intérêts. Ainsi, les syndicats peuvent être un lobby au même titre que chacun des députés faisant partie d’un groupe politique. »

C’est pourquoi elle estime qu’être un lobby consiste en le fait d’avoir des convictions et de les défendre. Cette définition élargit  la notion initiale de lobby et dilue la responsabilité des lobbys dans les prises de décisions politiques, dans la mesure où la moindre personne exprimant un avis pourrait, de fait, être considéré comme un lobby.

Pourtant, tel n’est pas nécessairement le cas dans la réalité car si chacun peut avoir un intérêt à défendre nous n’avons pas tous les moyens d’exercer une réelle influence sur les parlementaires. N’est pas lobby qui le veut.

Lobbying et nouvelles technologies

Les dîners, les rencontres ou encore les cadeaux sont monnaie courante dans les jeux d’influence. Toutefois, la réglementation sur la transparence de la vie publique cherche à encadrer ces pratiques, notamment à travers la mise en place d’un répertoire visant à référencer les représentants d’intérêts ainsi que leurs actions auprès des parlementaires.

Cela permet par exemple de savoir que la Fédération Nationale des Chasseurs a investi, entre le 1er Juillet 2018 et le 20 Juin 2019, entre 200 000 et 300 000 euros, liées aux actions de représentation d’intérêts. Les dépenses pour la période du 21 Décembre 2019 au 30 Juin 2020 seront connues entre Juillet et Septembre 2020.

D’autres mesures font leur apparition en même temps que l’évolution des nouvelles technologies. C’est ainsi que certains lobbys envoient des mails intimidants, des sms groupés, etc. Ces nouvelles méthodes sont difficilement régulables et échappent à la réglementation existante dans la mesure où elles revêtent un caractère informel contrairement aux rencontres/rendez-vous devant être mentionnés dans l’agenda des Parlementaires et transmis à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique.

Capture d’écran d’un SMS envoyé à un député à propos du référendum pour les animaux. Source : twitter

Certains vont aujourd’hui jusqu’à poster des tweets visant, là encore, à intimider les membres des institutions en les acculant à la démission. Exemple :

Tweet d’intimidation à l’intention de Joël Giraud, Secrétaire d’Etat chargé de la Ruralité, auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Source : twitter

D’autres encore partagent des listes indiquant l’identité des parlementaires, leur affiliation ainsi que leurs coordonnées afin de permettre l’envoi de mails massif.

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Cette méthode a été utilisée dans le cadre du Référendum pour les animaux par les partisans de la Chasse à courre notamment. Elle a également pu être utilisée par des militants écologistes dans le cadre d’autres actions comme l’interdiction du glyphosate.

Si ces pratiques peuvent aujourd’hui nous sembler grossières en raison de leur grande médiatisation, cela n’empêche pas certains lobbyistes d’y recourir. De nombreux parlementaires ont en effet été habitués à ces pratiques et y restent attachés.

Toutefois, on constate que la nouvelle génération de parlementaires vit plutôt mal cette pression et refuse qu’on lui dicte sa conduite.

C’est ainsi qu’on a pu voir fleurir des tweets de députés se plaignant de recevoir de nombreux mails d’opposants au référendum pour les animaux les pressant de ne pas le signer.

Tweet de Eric Diard, Député de la 12ème circonscription des Bouches-du-Rhône. Source : twitter

Évoluer ou disparaître

Les lobbys pro-référendum ont été forcés d’évoluer ces dernières années faute de ne pas avoir voix au chapitre.

C’est ainsi que Christophe Marie, porte-parole pour la Fondation Brigitte Bardot en faveur des animaux, nous explique que « les organisations agissant pour la cause animale se sont professionnalisées ». Leur argumentaire est devenu plus construit et s’appuie sur des données solides, aboutissant à une consultation plus automatique de ces organisations par les parlementaires.

Christophe Marie espère que cette professionnalisation des lobbys pro-référendum fera à l’avenir la différence face à des lobbys tels que celui de la chasse qui se fonde sur un argumentaire ouvertement faussé.

Pour Christine Grandjean, fondatrice de l’association C’est Assez ! en faveur des dauphins, les organisations ont un rôle majeur à jouer, celui d’éduquer l’opinion publique et d’informer les parlementaires.

Pour Claire O’Petit (députée LREM) il est en effet essentiel de rappeler que les parlementaires « ne sont pas à la pointe sur tous les sujets. […] Heureusement qu’on prend notre décision après avoir reçu toutes les parties prenantes ». Ça n’est malheureusement pas toujours le cas en pratique. Christine Grandjean rappelle qu’il est souvent plus difficile d’être entendu par les parlementaires lorsqu’on est une petite association comme C’est Assez !.

Lobby citoyen ou levier citoyen ?

La question de la place des citoyens et a fortiori de l’opinion publique reste entière.

Si le lobby de la chasse semble craindre le poids que pourrait avoir l’opinion publique, pour Christine Grandjean (C’est Assez !) beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte.

Elle relève tout d’abord que, « même si les sondages laissent transparaître qu’une grande majorité de la population est favorable à un référendum [73% des français soutiennent son organisation] cela n’est pas suffisant ». La cause animale regroupe de nombreuses thématiques et elle craint que l’opinion publique ne soit pas d’accord sur tout, ce qui risque d’aboutir à une impasse.

À cela s’ajoute que le lobby citoyen est beaucoup moins fort qu’un lobby économique tel que celui de l’agriculture ou de la chasse car ceux-ci sont beaucoup mieux organisés.

Elle relève cette même faiblesse au sein du milieu associatif. Beaucoup d’associations « se tirent dans les pattes » ce qui réduit leur capacité à se coordonner et à faire front commun.

Christophe Marie relève quant à lui une autre faiblesse pouvant parasiter l’action du lobby citoyen. Il est important à son sens d’observer un certain équilibre dans les actions menées auprès des parlementaires.

Il rappelle ainsi que « trop de pression […] peut avoir un résultat contre-productif. Le but est d’informer les parlementaires tout en les laissant libres de leur choix. ».

Aussi, ce dernier rappelle qu’il est souvent inefficace de procéder à un envoi massif de mails identiques et/ou ayant une portée trop large.

S’il met en exergue cet écueil c’est parce que la Fondation, elle-même, procédait ainsi auparavant. « Avant on envoyait notre info-journal mais il était trop généraliste donc maintenant on favorise un ciblage sur un sujet précis et nous avons créé une « lettre » mensuelle ciblée sur un sujet spécifique. » – se remémore Christophe Marie (Fondation Brigitte Bardot).

Pour Claire O’Petit, si les citoyens ont leur rôle à jouer, leur action ne peut s’effectuer que grâce à la mission d’éducation et d’information que remplissent les associations.

Les visites inopinées des élevages, des abattoirs, la captation par l’image de chasse à courre ou de déterrage de renard réalisées par des associations telles que L214 ou AVA sont pour elle essentielles.

L’opinion publique se constitue comme un soutien sur lequel vont pouvoir s’appuyer tant les parlementaires que les associations.

Les lobbys cachés

Si certains lobbys ont pignon sur rue, d’autres sont beaucoup plus discrets. Leur organisation échappe souvent à l’attention des citoyens mais également à celle des politiques en raison de sa complexité. Il arrive parfois que des entreprises se regroupent afin de créer une association qui aura pour objectif de défendre leur intérêt commun. Ce qui caractérise ces associations, c’est qu’il est très difficile de connaître la composition de leur conseil d’administration car celle-ci peut être secrète.

L’action de ces associations se traduit principalement par des discussions « IRL », ce qui rend imperceptible le lobbyisme qu’elles exercent hors du cadre de la réglementation visant à la transparence des institutions.

C’est ainsi par exemple que Coca-Cola, Nestlé ou encore Danone ont créé de toutes pièces des lobbies leur permettant d’un côté de combattre la réglementation et l’interdiction du plastique et de l’autre, de se donner une bonne image. Cela s’est traduit dans leur cas par la création de l’association Vacances Propres qui est financée entre autres par Coca-Cola, Danone, Nestlé, Procter and Gamble, etc. Cette association agit selon une stratégie bien connue de ces grandes compagnies : la stratégie de la culpabilisation du consommateur (apparue dès les années 60).

Elle vise ainsi en apparence à lutter contre la pollution plastique en pointant le curseur de la responsabilité sur les consommateurs pendant que les entreprises qui la compose vont quant à elles agir en faveur du plastique (ce dernier étant la composante essentielle de leurs produits).

L’existence de tels lobbys a été récemment mise en lumière au niveau européen. Cependant, on peut regretter que cette pratique demeure peu connue au niveau national alors même que de telles structures sont à l’œuvre. Ces dernières agissent dans de nombreux domaines tels que la cosmétique, l’industrie, l’armement, la chasse, etc.

L’action de ce type de lobby est très difficilement perceptible car elle est cachée sous une couche de vernis en faveur de l’environnement ou de la cause animale. Après tout, la Fédération Nationale des Chasseurs présente ses membres comme les premiers écologistes de France tout en continuant à défendre des pratiques de chasse condamnées par l’Union Européenne (chasse aux gluaux, chasse à courre, vénerie sous terre, etc.).

Le cas de la chasse aux gluaux aussi appelée « chasse à la glu » est là encore révélateur du poids du lobby de la chasse sur nos politiques.

Cette technique de chasse décriée pour son caractère barbare et non sélectif a d’ores et déjà fait l’objet d’une interdiction par l’Union Européenne. Cette pratique interdite par la Directive 2009/147/CE (dite directive « Oiseaux ») demeure jusqu’à présent toujours pratiquée en France et ce, malgré une mise en demeure de la France en juillet 2019 par la Commission européenne.

C’est suite au dépôt d’un avis motivé de cette entité que la nouvelle ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, s’est emparée de la question. Si cette dernière semble vouloir mettre définitivement un terme à cette pratique, on peut douter du résultat final. En effet, à la suite de cette annonce, on a aussitôt assisté à une levée de bouclier du lobby de la chasse (certains chasseurs étant particulièrement friands de cette technique de chasse).

Capture d’écran d’un tweet illustrant le pouvoir du lobby de la chasse. Source : twitter

Christine Grandjean (C’est Assez !) craint en effet que les mesures prises par l’Union Européenne ne suffisent pas et que la France préfère payer une amende que d’interdire dès cette année la chasse aux gluaux.

Cette technique de chasse n’est pas la seule « tradition » controversée que les chasseurs défendent. En effet, la chasse à courre ou encore la vénerie sous terre, disciplines pratiquées par une minorité de chasseurs, sont en majorité rejetées par les Français (82% d’entre eux étaient contre la chasse à courre en 2018 et 83% étaient contre la vénerie sous terre à la même époque). Malgré cela, force est de constater que le lobby de la chasse demeure puissant malgré l’emploi de méthodes pouvant sembler grossières.

Nous regrettons de ne pas avoir pu obtenir leur avis sur ces questions malgré plusieurs tentatives de prise de contact.

Et dans le cadre du Référendum Pour les Animaux, quelles techniques ont été relevées ?

Pour le lobby de la chasse, de la chasse à courre, de la vénerie :
• Emploi de moyens dématérialisés (mails, sms, appels, tweets)
• Entrevues avec des parlementaires
• Entrevue avec la nouvelle ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili
• Négociation directe avec le Premier ministre, Jean Castex
Pour les associations en faveur du référendum pour les animaux :
• Réalisation de vidéos informatives sur les pratiques visées par le référendum pour les animaux
• Emploi de moyens dématérialisés (mails, appels, lettre informative)
• Entrevue avec la nouvelle Ministre de la Transition écologie, Barbara Pompili
• Entrevues avec des Parlementaires

Bien sûr cela ne prend pas en compte les « lobbys cachés » dont les actions sont quasiment intraçables.

Audrey Fredon


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