La 7ème Conférence des Parties (COP) organisée par l’Organisme Mondial de la Santé (OMS) a eu lieu du 7 au 12 novembre à Delhi. Au même moment se réunissaient, à Marrakech, la 22ème COP des Nations Unies luttant contre le changement climatique. Si le rapprochement semble anecdotique, les problématiques rencontrées par ces deux rassemblements sont similaires. Les solutions apportées peuvent cependant diverger : en matière de lutte contre l’influence négative des lobbies, L’OMS possède une longueur d’avance sur son homologue climatique.

Démarrer une voiture ou allumer une cigarette sont des gestes anodins, que nombre d’entre nous effectuons plusieurs fois par jours sans y attacher trop d’importance. Ils ont pourtant des conséquences dramatiques qu’il est difficile d’éviter : chaque année, le tabac tue presque 6 million de personnes. Le rejet de CO2 dans l’atmosphère, en plus de causer indirectement de nombreux décès prématurés chaque année à travers la combustion des carburants fossiles, représente à long terme un risque pour la survie même de l’espèce humaine. Ces deux problématiques trouvent leur commun dans le combat que mènent les multinationales contres les citoyens.

Car s’il est d’intérêt public de dégager des solutions concrètes pour limiter la consommation de tabac et de pétrole, certains intérêts privés bénéficient, quant à eux, du statu quo. La production du tabac, comme celle des carburants, repose en effet entre les mains de grands groupes industriels qui en tirent la majorité de leurs profits. Exxon Mobile ou Philip Morris, pour ne citer qu’eux, ne se privent donc pas de vanter les bienfaits de leurs produits, ou du moins de mettre en doute les impacts négatifs dénoncés par de nombreux scientifiques.  

La régulation de ces industries est assurée, quant à elle, par deux conventions internationales majeures. D’un côté, la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac, qui inscrit dans le droit international des politiques de protection de la santé publique, de l’autre, la Convention-Cadre des Nation-Unis pour le Changement Climatique (CCNUCC), qui a pour vocation, entre autre, de limiter le réchauffement climatique à moins de 1.5° Celsius en encourageant une transition vers les énergies renouvelables.

Ces deux traités représentent un maigre espoir pour la protection de l’environnement et de la santé dans le monde. Ils menacent cependant directement l’activité économique des industries du tabac et des énergies fossiles, et donc la santé financière de certains états qui dépendent indirectement de cette activité. On comprendra, dès lors, la difficulté que rencontrent ces conventions à mettre en œuvre des politiques ambitieuses et surtout aux implications concrètes.

Credit : Nikita Jha

Lobby or not Lobby ?

Fin 2016 se tenait, à Delhi et Marrakech respectivement, la 7ème convention de l’OMS contre le tabagisme et la 22ème convention des Nations Unies contre le changement climatique. Les industries du tabac et des énergies fossiles vont tenter, une fois de plus, d’influencer les prises de décisions politiques en leur faveur. Parmi les partenaires financiers de la COP 22 de Marrakech, on retrouve ainsi AKVA, premier groupe pétrolier marocain, ou encore Engie (Ex. GDF-Suez), également présent dans la liste des cinquante plus grands émetteurs de dioxyde de carbone au monde.

Selon Katherine Smith, Docteur en Science Politique à l’université d’Edimbourg, l’influence des lobbies industriels sur les décisions politiques peut s’effectuer de manière plus ou moins officielle. Au traditionnel lobbying de fonctionnaires situés à des postes clés s’ajoute ainsi d’autres moyens plus discrets. Financer des recherches scientifiques destinées à semer le doute, manipuler l’opinion publique via des campagnes de publicité mensongères, soudoyer des experts ou des officiels, telles sont les méthodes employées par l’industrie du tabac.

Pour lutter contre l’influence négative d’entreprises ayant des conflits d’intérêts dans la prise de décision de l’OMS, la convention a mis en place une législation stricte. Pour Jesse Bragg, membre de l’organisation Corporate Accountability International, “[ce traité] n’a pas uniquement pour objectif de réduire la consommation de tabac, mais également de responsabiliser les industries” (vidéo). L’article 5.3 de la convention pour la lutte anti-tabac (PDF) recommande ainsi que “des règles soient adoptées pour la communication d’informations ou l’enregistrement des entités de l’industrie du tabac [et] des organisations qui leur sont affiliées […], y compris les groupes de pression.

En total contraste, l’organisation des Nations-Unies laisse la porte grande ouverte à l’influence négative des lobbies énergétiques en dépit de l’ampleur de la problématique dépassant le cadre de la simple liberté individuelle. Dans le projet de décision CP.21 de la convention-cadre (PDF), on peut lire que l’organisation “se félicite des efforts déployés par toutes les entités […] y compris […] du secteur privé [et] des institutions financières”. D’après Tamar Lawrence-Samuel, également membre de Corporate Accountability International, le Traité de Paris “encourage effectivement le secteur énergétique à définir les solutions au problème qu’il a lui même créé” (vidéo). Quid en pratique ?

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Comment contrer les géants des énergies fossiles ?

Comment prévenir l’influence d’acteurs ayant des conflits d’intérêts flagrants dans les prises de décisions liées à la protection du climat ? Tout d’abord, la convention-cadre des Nation-Unies peut suivre l’exemple donné par l’Organisme Mondial de la Santé, et inscrire la lutte contre les lobbies directement dans ses traités. De même que l’OMS dénonce “un conflit fondamental et irréconciliable entre les intérêts des industries du tabac et celles des politiques de santé publique” (PDF), les Nations Unies doivent prendre en compte les intérêts contradictoires entre industries pétrolières et réduction du rejet de CO2 dans l’atmosphère.

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Il en va de même pour les mesures concrètes. Comme l’OMS avant elle, l’organisation des Nations-Unies pourrait instaurer un système de vérification des délégués. Tout délégué souhaitant se rendre à une conférence anti-tabac doit au préalable recevoir l’approbation des instances publiques. De plus, chaque participant signe une déclaration de non-conflit d’intérêts. En dernier recours, la société civile et les organisations non-gouvernementales (ONG, associations, lobbies citoyens,..) alertent également le secrétariat en cas d’abus.

Il ne manque donc que la volonté politique de nos dirigeants, qui ne viendra que si la société civile exerce une pression assez forte. D’après Ralph Degolaccion, membre de l’organisation Health Justice, 4 leçons sont à retenir de l’expérience de la lutte anti-tabac appliquée à la question du changement climatique. Le mouvement environnemental doit :

1. Collecter et régulièrement mettre à jour une base de données sur les activités des lobbyistes.

2. Engager un discours raisonné au sujet du lobbying avec les membres du gouvernement.

David Tong / Flickr

3. Contrôler les actions de publicité et de relation presse des entreprises polluantes, pour les dénoncer si nécessaire.

4.  Éduquer toutes les parties prenantes au sujet de l’influence néfaste des industries de l’énergie fossile, via des campagnes de presse par exemple.

C’est le niveau d’engagement des citoyens de la société civile qui fera, en fin de compte, toute la différence. Dans le cas contraire, les « COP » et grandes réunions internationales risquent de se répéter sous l’influence de ces lobbies sans réellement apporter de solutions concrètes à ces questions pourtant vitales.

Mr Mondialisation

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