Rothy, une société américaine, vient de mettre sur le marché des ballerines « éco » fabriquées par impression 3D. Conçus avec des matériaux recyclés, ces vêtements de nouvelle génération participent à une révolution bienvenue sur le marché du textile et de la mode. Pour cause, le textile classique est l’un des secteurs les plus polluants et gourmands en eau dans le monde. La commercialisation d’objets confectionnés à partir d’une imprimante 3D interroge pourtant…

rothys-shoesL’impression tridimensionnelle permet de produire un objet réel, modelé dans un premier temps sur un écran. Progressivement, l’imprimante 3D a connu un véritable succès en raison des nombreuses possibilités qu’elle offre et d’un coût chaque année moins élevé. Son usage médical est particulièrement spectaculaire, notamment à travers l’impression d’organes ou de prothèses. Mais la technique a également été adoptée par de nombreux industriels, créateurs indépendants et associations citoyennes. Son entrée dans le monde de la mode n’a donc rien d’étonnant.

Basés à San Fransisco, Roth Martin et Stephen Hawthornthwaite, les fondateurs de la marque Rothy, se sont fixés des objectifs ambitieux : mettre sur le marché des chaussures confectionnées à partir d’une imprimante 3D qui répondraient à des standards environnementaux élevés. En outre, les inventeurs, affirment être les premiers à utiliser la technologie de l’impression 3D pour construire des vêtements sans aucune couture. Mais peut-on vraiment imprimer en 3D de manière écologique ? Quelle est cette mince frontière entre le réel progrès et l’éco-blanchiment ?

Des chaussures design produites à partir de bouteilles recyclées

Pour atteindre le but recherché, les ballerines sont constituées uniquement de bouteilles plastiques usagées. Celles-ci sont reconditionnées pour devenir la matière première de l’imprimante. Dans le monde, ces bouteilles ne manquent pas. Nombre d’associations et de sociétés les récupèrent dans l’environnement afin de les revaloriser en une nouvelle matière première. Quand au temps d’impression, il est impressionnant : pas plus de 6 minutes sont nécessaires pour créer une paire de chaussures, pour un résultat à la fois esthétique, moderne et épuré. Les concepteurs indiquent que les quantités de déchets produites pendant le processus de fabrication sont quasiment nulles et rappellent qu’en fin de vie les ballerines peuvent être recyclées à leur tour au profit d’une économie circulaire plus durable.

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Il est cependant possible de regretter certains aspects : après la confection du filament à partir de bouteilles en plastique, celui-ci est envoyé en Asie où se trouvent les imprimantes 3D qui servent de support à la confection des ballerines. Ainsi, le processus, d’abord local, semble s’industrialiser et se mondialiser. En dépit de cette délocalisation, le coût de ces ballerines reste élevé. Selon le modèle, leur prix varie entre 113 et 131 euros. Ces éléments interrogent sur le rôle de l’impression 3D à une échelle industrielle quand celle-ci est avalée par ces mêmes logiques productivistes à l’origine des crises environnementales actuelles.

Des usages de l’impression 3D

La commercialisation d’objets 3D n’est pas négative en soi, bien au contraire. Elle révèle néanmoins la capacité du système marchand à se réapproprier à une échelle industrielle toute invention capable de générer une valeur ajoutée. Un phénomène qu’André Gorz augurait déjà dans un texte datant de 1974 : « la lutte écologique n’est pas une fin en soi, c’est une étape. Elle peut créer des difficultés au capitalisme et l’obliger à changer ; mais quand, après avoir longtemps résisté par la force et la ruse, il cédera finalement parce que l’impasse écologique sera devenue inéluctable, il intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres. »

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L’usage lucratif de la machine 3D ne doit donc pas voiler le potentiel émancipateur de cette invention. En effet, l’intérêt premier de cet outil, ce qui lui a valu d’être supporté par tant de mouvements alternatifs : celui de pouvoir accroître l’autonomie de chacun. En effet, la machine 3D peut concrètement enrichir l’individu et la communauté locale tout en supprimant de nombreuses formes de dépendances. De manière générale, le travailleur (et les créateurs de richesses) ont été dépossédés de leurs outils durant la révolution industrielle. L’imprimante 3D, toujours plus abordable et facilement utilisable reconnecte le créateur à un outil libre et multifonctionnel.

Aussi, la machine 3D est un outil convivial dans le sens d’Ivan Illich. Selon l’auteur : « l’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. Ainsi les outils conviviaux différent de ceux de la société industrielle dans la mesure où ils restent sous le contrôle des individus et ne sont pas facteurs d’inégalités car ils peuvent être utilisés sans un savoir acquis grâce à l’école mais seulement grâce au partage et à l’imitation. » De Tokyo à Paris en passant par New York ou New Delhi, il désormais possible de trouver nombre de clubs, cafés, laboratoires, lieux collectifs, réseaux locaux, qui proposent déjà l’usage de ce type de machine.

La machine 3D répond donc à ces critères d’émancipation, car son usage n’est pas soumis à des prérequis particuliers. Elle ne suppose pas l’existence de hiérarchies ou de structures rigides. Enfin, elle devient le synonyme d’une plus grande liberté, puisqu’elle accroît l’autonomie individuelle. D’ailleurs, elle reste substituable : d’autres machines permettent d’obtenir des résultats équivalents. Seulement, elle donne accès à des processus maîtrisés auparavant par une minorité détentrice de capitaux, ce qui en fait tout l’intérêt.

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Sources : gizmag / rothys.com / wedemain.fr

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