« Demain est à nous ! » : quand les enfants s’emparent des luttes sociales et écologiques (Film)

    “Peut être que vous ne le savez pas encore, mais nous les enfants, nous allons sauver le monde”. C’est avec cette voix d’enfant pleine de courage que démarre le documentaire de Gilles de Maistre, Demain est à nous. Un long métrage de 84 minutes qui raconte de façon poignante les initiatives courageuses et parfois risquées d’enfants des quatre coins du globe dont le trait commun est de vouloir améliorer la vie des autres. Un vent d’espoir et d’optimisme rejaillit grâce aux portraits de José, Aïssatou, Arthur et Heena ainsi que d’autres petits qui incarnent la preuve tangible que les enfants sont des forces actives tout aussi capables que les adultes de trouver des solutions aux problèmes écologiques, et socio-économiques. On vous propose sans attendre un avant-goût du film dont l’avant-première était projetée ce 15 septembre à Paris.

    Gilles de Maistre pendant le tournage en Bolivie

    Assister à une avant-première n’a rien de phénoménal lorsque l’on est journaliste. Mais quand les enfants acteurs du documentaire devant lequel vous venez de verser bien plus que quelques larmes sont présents dans la salle pour partager avec vous la fierté et la confiance qu’ils ressentent après la projection du film dont ils sont les héros, l’avant-première a alors un tout autre goût. Son goût, c’est celui de l’espoir retrouvé en un avenir serein. Ces mots sont gênants aujourd’hui au regard de l’état du monde et ses inégalités criantes, vu ce sourd tic tac que l’on entend avec anxiété nous dire qu’il est bientôt trop tard pour inverser la courbe du réchauffement climatique.

    Mais nous sommes pourtant bien là, encore présents et vivants sur cette planète bleue, et nos enfants le sont plus que jamais, puisque demain est à eux Demain est à eux oui, mais nous adultes avons du mal à l’intégrer. C’est un peu comme avec la mort. On la sait inéluctable mais nous faisons comme si elle n’existait pas. Alors nous, les adultes, bien que nous savons que nous leur léguons ce monde, avons la fâcheuse tendance à écarter les enfants de certaines discussions, de la prise de décisions, et nous ne leur demandons guère s’ils se sentent concernés par les sujets qui nous indignent et s’ils souhaitent aussi s’engager. Et pourtant des enfants engagés, il y en a beaucoup, à l’instar de José, Arthur ou Heena que le réalisateur de Mia et le Lion blanc a suivis pendant un an et demi: “ils sont la preuve que ce monde est loin d’être horrible” nous dit-il avant que les lumières s’éteignent et que nous plongions dans le quotidien de ces enfants engagés. 

    José, Arthur, Aïssatou et Gilles de Maistre, avant-première du film Demain est à nous au Grand Rex Paris

    C’est d’ailleurs José, 13 ans, qui est le narrateur du film. Ce garçon péruvien est un petit génie qui a créé à l’âge de 7 ans une banque écologique pour les enfants. Le concept est celui-ci: grâce aux déchets recyclables qu’ils récoltent, et qui sont ensuite revendus à des entreprises, les enfants gagnent de l’argent et alimentent leur compte bancaire alternatif afin de payer leurs frais de scolarité. Aujourd’hui 3000 d’entre eux sont investis dans la démarche de José dont l’agenda ressemble à celui d’un ministre. Il enchaîne les rendez-vous avec les banques, les ministères et sillonne les villages pour encourager les parents à écouter leurs enfants et à les aider à se lancer. Aux élèves, il montre qu’il est possible d’entreprendre un projet résilient pendant l’enfance.

    José Adolfo, Demain est à nous

    Lui comme, les autres a été confronté à la même difficulté, celle de ne pas être pris au sérieux. José en pleurait au départ. Mais avec l’aide de certains et notamment le support de son père ( converti en véritable secrétaire pour son fils ), il a pu concrétiser son initiative jusqu’à être récompensé par le Prix international Unicef en 2014 et le Children Climate Prize remis à Stockholm en 2018. Le positionnement des familles de ces enfants est d’ailleurs mis en avant tout au long du documentaire. Dans le cas de José, le père a été confronté à une pluie d’attaques, y compris par la mère du petit, l’accusant notamment de profiter de son fils ou de l’instrumentaliser. Encore une fois, cela illustre le manque de crédit accordé aux enfants et la croyance que ces derniers agissent forcément sous influence.

    On pense bien-sûr à la jeune Greta Thunberg, la militante suédoise pour le climat âgée de 16 ans qui a fait couler beaucoup d’encre en raison de ses prises de parole engagées devant les assemblées politiques de nombreux pays. En plus de la vague de rejet et les insultes méprisantes dont elle a été victime, Greta est notamment soupçonnée d’avoir été fabriquée de toutes pièces par un obscur lobby capitaliste. S’il est vrai que son discours est probablement récupéré par des puissants pour alimenter leur greenwashing et la pseudo-croissance verte, son message n’en reste pas moins sincère et criant de vérité. Dans le film de Gilles de Maistre, on constate à quel point le support apporté à ces enfants par leurs parents et par les institutions contribue au succès de leur initiative et à bâtir leur confiance en eux. Pourquoi ce soutien serait-il nécessairement péjoratif ? Pourquoi devrions-nous abandonner nos enfants à leurs idées ?

    Heena, indienne âgée de seulement 11 ans, vit dans la misère la plus totale avec sa famille à New Delhi. Elle n’a pas reçu un prix international et est sans doute moins connue que José, mais son engagement et son courage sont tout aussi épatants. Enfant reporter, elle parcourt les rues de la capitale indienne pour enquêter sur les nombreux enfants exploités. Elle leur demande non sans risques de raconter leur histoire pour le journal Balaknama, un bulletin mensuel créé par les jeunes à destination des enfants des rues. Ses questions dérangent les adultes. Les parents des petits qu’elle questionne la chassent des marchés où elle mène l’enquête. Déjà à son âge, elle découvre qu’il ne fait pas bon de parler des réalités qui dérangent. “Si on ne les interroge pas, on ne peut pas connaître leurs difficultés. C’est utile pour eux qu’on raconte leur histoire dans un journal” dit-elle avec un regard si mature, intelligent et déterminé.

    Ses parents analphabètes se sont installés à Delhi pour donner plus de chances à leurs enfants d’avoir un avenir. Ils sont fiers de leur fille et sont persuadés qu’elle deviendra une personnalité importante qui changera les choses. Les images du film nous confrontent à la dure réalité de la vie en Inde où les enfants esclaves sont encore très nombreux et sans droits. Heena se rend dans un de ces refuges où vivent des enfants libérés d’un atelier dans lequel ils étaient exploités nuits et jours, après avoir été vendus par leurs parents. Elle leur parle de l’école, de l’importance d’avoir un métier, des rêves. Aujourd’hui, 124 millions d’enfants n’ont pas accès à l’éducation dans le monde.

    Heena, Demain est à nous

    L’empathie dont font preuve les enfants de ce film constitue le socle de leur engagement. Mais c’est une empathie différente de celle des adultes car elle est teintée d’innocence. Ils agissent de façon désintéressée et se rendent auprès des démunis ou des personnes en souffrance sans jugement, sans préjugés et sans peur. À Cambrai, au nord de la France, le petit Arthur alors âgé de cinq ans, a été très marqué par les gens qui changeaient de trottoir à la vue d’un sans domicile fixe. Il en était profondément triste. Encouragé par ses parents, il décide alors de peindre des toiles et de les vendre à l’occasion de petites expositions hébergées bénévolement par différentes institutions et d’utiliser l’argent pour du matériel à destination des personnes sans abri. Le réalisateur confie avoir pleuré en filmant les scènes où le petit discute avec cet homme assis sur le trottoir à qui il remet panier repas, couvertures et un doudou, “parce que c’est important d’avoir quelque chose à câliner.” Arthur fait même pleurer d’espoir les SDF qui n’en croient pas leurs yeux devant tant d’amour venant d’un enfant. “Tu ne peux pas porter la douleur de tout le monde” lui dit son père, “mais si papa on peut la porter, c’est facile de la porter”, lui répond son fils…On ne peut s’empêcher de se demander à quel moment exactement nous oublions ces valeurs en grandissant dans un monde centré sur la réussite individuelle.

    Arthur, Demain est à nous

    Âgée de 10 ans comme Arthur, Khloe, dites “the kid hero”, vient en aide aux personnes vivant dans la rue à Los Angeles. Elle a créé une association qui prépare des sacs contenant des produits d’hygiène et de première nécessité qui leur sont distribués. “Toute personne à tout âge peut faire quelque chose. On est tous égaux sur Terre, on doit tous être traités de la même façon”, dit-elle alors que nous assistons à cette éblouissante scène où elle et son groupe organisent des séances de soin de la peau, de coiffure ou de rasage sur les trottoirs de L.A pour redonner du baume au coeur et de la dignité à ces hommes et ces femmes marginalisés, “ça y est vous êtes rafraîchis !”

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    Khloe, Demain est à nous

    On sortira aussi marqué par le courage d’Aïssatou, âgée de 12 ans et engagée dans le “club des jeunes filles leaders” contre les mariages forcés en Guinée. Après avoir été choquée par l’union forcée subie par une de ses proches amies qui a dû quitter l’école, Aïssatou décide de se battre dans un pays où, malgré la loi, 64% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans. Elle va à la rencontre des jeunes Guinéennes sur les marchés de Conakry et dans les écoles pour les encourager à refuser les unions précoces et à poursuivre leurs études. Avec l’aide de la police, elle va même courageusement bloquer les cortèges conduisant la future mariée pour la libérer d’un destin qu’elle n’a jamais choisi. Chaque année, 12 millions de filles dans le monde sont mariées avant l’âge de 18 ans, et une fille sur cinq devient mère avant d’avoir atteint cet âge. 

    Aïssatou, Demain est à nous

    D’autres portraits d’enfants « engagés » sont racontés dans ce film, mais nous vous laissons la surprise de les découvrir. Un crowdfunding a été lancé pour continuer à soutenir leur combat ( lien vers le crowdfunding ). L’autre défi est certainement de réussir à faire des émules après la vue du film. Le jour de l’avant-première, 2000 enfants étaient présents dans la salle à ParisLe réalisateur s’adresse à eux à la fin pour leur dire que tout ce qu’ils ont vu dans le film est vrai. “Ce sont juste des enfants comme vous qui ont décidé un jour de faire quelque chose”. Même un petit geste suffit. Gilles de Maistre raconte qu’aux Sables d’Olonne, 1000 enfants sont venus voir Demain est à nous. Et quelques jours plus tard, l’organisateur de cette projection aperçoit d’une terrasse un groupe d’enfants distribuant des sandwiches aux sans-abri. Il les prend en photos et s’en approche, lorsqu’il réalise que ces enfants étaient tous allés voir le film quelques jours plus tôt. “Voilà il n’y a que vous qui pouvez le faire, créer des choses à votre niveau, et ça sauvera le monde” leur dit Gilles de Maistre pour terminer. Au Grand Rex, les enfants sont invités sur la scène pour rencontrer les héros ordinaires du documentaire et pour faire la plus grande photo de mains rassemblées en signe de solidarité et d’engagement.

    Avant-première Demain est à nous

    Comment ne pas choisir de finir cet article par cet extrait percutant et visionnaire du Prophète, livre du grand poète libanais Khalil Gibran paru en 1923: 

    Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,

    Parlez-nous des Enfants.

    Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.

    Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,

    Ils viennent à travers vous mais non de vous.

    Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

     

    Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,

    Car ils ont leurs propres pensées.

    Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,

    Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, 

    pas même dans vos rêves.

    Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, 

    mais ne tentez pas de les faire comme vous.

    Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

                                                                                                                                     Pan

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