À l’heure du déconfinement, le monde d’après la pandémie commence à se préciser. Et force est de constater qu’il ressemble beaucoup à celui d’avant… Les plans de relance économiques se multiplient dans les pays occidentaux, souvent au mépris de toute considération écologique. Cette semaine, c’est le secteur de l’aéronautique qui a été largement soutenu par le gouvernement français. Au total, plus de 15 milliards d’euros seront injectés dans l’une des industries les plus polluantes de la planète, par le biais d’investissements, d’aides et de prêts aux compagnies aériennes. Face à ce constat, des ONG se mobilisent pour promouvoir un tourisme sans avion.

Entre 2014 et 2017, le nombre de vols annuel a progressé de 8% entre 2014 et 2017, et devrait encore progresser de 42% d’ici à 2040, d’après le Rapport Environnement de l’Aviation Européenne 2019. Cette étude constate par ailleurs une augmentation des émissions ainsi que des nuisances sonores. Depuis 2013, 28% de dioxyde de carbone supplémentaires ont été émis par le transport aérien en Europe. En outre, à l’échelle individuelle, un aller-retour Paris/New York équivaut à la consommation annuelle du chauffage d’un petit appartement, soit environ 2,2 tonnes de CO2. Le succès croissant des compagnies low-cost, pour des trajets courts, est à cet égard particulièrement inquiétant puisqu’en 2018, 1,3 milliard de passagers ont embarqué à bord de ce type de vol.

Des chiffres qui donnent le tournis, même s’ils ont connu une baisse aussi drastique que bienvenue à l’occasion de la pandémie liée au covid-19. Mais ce qui constitue une aubaine pour la qualité de l’air apparaît comme une catastrophe pour les pouvoirs publics. « La crise a mis un coup d’arrêt à une croissance de près de 30 ans dans cette industrie, l’une des plus performantes au monde », a ainsi déploré le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire, qui a décrété « l’état d’urgence » de la filière aéronautique.

Un plan de soutien de 15 milliards d’euros

Mardi 9 juin, le gouvernement a donc décidé de prendre des mesures financières pour soutenir massivement la filière aéronautique. Pas moins de cinq ministres (qui représentaient les ministères de l’Économie, des Armées, de la Transition écologique et des Transports) étaient ainsi réunis pour annoncer un plan de soutien au secteur à hauteur de 15 milliards d’euros. Les compagnies aériennes sont bien entendu les premières bénéficiaires de ces mesures. À elle seule, Air France aurait ainsi bénéficié de sept milliards d’euros d’aide de l’État sous diverses formes. Une fois de plus, on constate qu’au lieu d’être sanctionnées, les entreprises les plus polluantes sont largement soutenues par les pouvoirs publics.

Le gouvernement français a dévoilé un plan de soutien de 15 milliards de dollars pour la filière aéronautique.

Un autre volet du plan concerne la recherche et développement, auxquels seront alloués un milliard et demi d’euros de financement public dans les trois prochaines années. Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique, se félicite de cet investissement, qui permettrait « [d’]avoir le plus tôt possible des modèles d’avions ultra sobres en énergie. » Bruno Le Maire a même espéré « parvenir à un avion neutre en carbone en 2035 ». Après le mythe de la voiture écologique, il semble que l’avion zéro carbone soit en passe d’être inventé…

Un soutien contradictoire à la transition écologique

Cette politique de soutien à une industrie particulièrement néfaste pour l’environnement démontre l’incapacité des pouvoirs publics d’admettre la contradiction évidente entre croissance de l’aéronautique et transition écologique. L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et plusieurs ONG dénoncent cette politique, rappelant que le rôle de la filière aéronautique dans le tourisme est incompatible avec la préservation de l’environnement.

Le trafic aérien reprend doucement son cours, avec une reprise des vols depuis le 11 mai en France et à partir du 15 juin dans l’Espace Schengen. Pendant ce temps, l’association Notre choix et le Réseau Action Climat lancent, avec la participation de l’ADEME et du média QQF, une campagne pour promouvoir des voyages touristiques sans avion. À l’heure où la tendance est de partir plus souvent, moins longtemps, et toujours plus loin, les ONG proposent des bonnes pratiques, des alternatives concrètes et des idées de destination accessibles en train, en stop, à vélo et même à pied. Le tout est réuni sur cette infographie disponible sur le site de QQF.

L’avion, 40% des émissions liées au transport touristique

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Le tourisme a connu un développement fulgurant ces dernières décennies, et avec lui le secteur aéronautique. « L’avion pèse pour 40% des émissions liées au transport dans le secteur du tourisme … En juillet 2019, ce sont 230 000 avions qui se sont envolés chaque jour dans le monde… A l’approche des vacances estivales, il est plus que jamais nécessaire de questionner notre rapport aux vacances et au voyage. A-t-on forcément besoin de partir loin pour passer de bonnes vacances ? » s’interroge Valentin Desfontaines, responsable mobilités durables au Réseau Action Climat.

Depuis 2013, 28% de dioxyde de carbone supplémentaires ont été émis par le transport aérien en Europe – Illustration QQF

Les diverses ONG ont bien entendu une réponse à cette question, et la campagne a vocation à la diffuser. Elle met ainsi l’accent sur 10 destinations françaises pour promouvoir le voyage local. Pour encourager les citoyens à expérimenter le voyage sans avion, elle propose aussi aux voyageurs de partager leurs expériences. « À la veille des vacances d’été, nous voulons encourager les alternatives auprès des gens qui souhaitent voyager autrement, mais ne savent pas comment s’y prendre, ni par où commencer ! » indique Alice Descamps, Chargée de campagne Alternatives chez Notre Choix.

Voyager autrement est aujourd’hui un levier crucial pour résister et diminuer l’impact énorme de la filière aéronautique sur l’environnement. Et pourtant, au lieu d’investir dans d’autres formes de mobilité et d’encadrer l’activité des compagnies aériennes, les pouvoirs publics subventionnent largement ce secteur. En Europe, on parlerait d’au moins 30 milliards d’euros d’aides, dont la moitié a déjà été accordée sans exiger de réelle contrepartie. Un choix qui relève de l’écocide volontaire tant notre planète est déjà à bout de souffle. Dès que les conditions sanitaires le permettront, il est donc probable que le trafic aérien retrouve rapidement son niveau d’avant la crise et même plus encore… Les grands engagements « écolos » (sur leur forme) tenus lors des rencontres internationales pour le climat semblent très loin aujourd’hui.

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