Cela fait maintenant quelques semaines que le scandale Lactalis défraie la chronique. Après la bombe lâchée début décembre – à savoir, la contamination de boîtes de lait infantiles par des salmonelles – la pression des politiques et de l’opinion publique a forcé le géant Lactalis à rappeler tous les lots de produits fabriqués par l’usine de Craon, dans la Mayenne en France. Cependant, les grands distributeurs tels que Leclerc, Auchan, Carrefour, ont tardé à mettre en place les rappels de produits et ont ainsi laissé plusieurs centaines de boîtes de lait potentiellement contaminées être achetées par les consommateurs. Aujourd’hui, un millier de parents ont l’intention d’attaquer l’industriel en justice. Un énième scandale sanitaire qui remet une fois de plus en cause ce secteur de l’industrie agroalimentaire français.

Après que Leclerc ait révélé la vente de 984 produits Lactalis contaminés, un effet de cascade et une certaine panique s’est installée chez les consommateurs. Tandis que la Répression des Fraudes a mené une enquête partout en France pour veiller au rappel de tous les lots incriminés, notamment dans les magasins de grande distribution, les pharmacies et les hôpitaux, beaucoup de lots de produits ont échappé à la surveillance des équipes en charge. Ainsi, près de 52 boîtes de lait infantile contaminé ont été vendues par Auchan, 384 boîtes par Système U, 434 produits infantiles par Carrefour, 363 par Casino. Face à ce scandale de “danger publique”, Michel-Edouard Leclerc, patron du géant de même nom, s’était exprimé, en présentant ses excuses sur son blog “Je ne peux que constater et confirmer l’existence de défaillances dans les opérations de retrait” a-t-il notamment déclaré. Des défaillances qui risquent d’ébranler la confiance des consommateurs. D’autant que les victimes potentielles sont des enfants.

Lots Lactalis rappelés dans une grande distribution. Source : flickr.

À ce propos, le géant Lactalis a été contraint de sortir de son éternel silence pour répondre aux questions et critiques des quelques milliers de familles touchées par la contamination des produits aux salmonelles. Des critiques très vives auxquelles l’entreprise semble apparemment rester sourde. Emmanuel Besnier, PDG de Lactalis et 12ème fortune de France, ne s’exprime que très rarement. Cependant, son porte-parole avait assuré que son groupe avait travaillé depuis décembre “en parfaite collaboration avec l’ensemble des autorités”. Déni de réalité ? Volonté de minimiser la crise ? Sentiment de toute-puissance ?

Une chose est certaine, l’argent constitue bien souvent un épais couvercle sur la transparence des marques envers leurs consommateurs, en particulier dans l’agroalimentaire qui multiplie les scandales. En ce qui concerne la transparence, deux euro-députés, Eric Andrieu et Guillaume Balas, ont adressé ce vendredi un courrier prioritaire à la Commission Européenne, dans lequel ils s’inquiètent de la propagation du risque sanitaire sur l’ensemble du marché européen. La Commission est ainsi tenue de répondre dans les prochaines semaines sur la date à laquelle elle a été avertie du risque sanitaire venu de France, mais aussi quelles sont les actions qu’elle compte prendre pour rétablir la situation aussi bien au niveau sanitaire qu’économique. Ce scandale représente cependant un réel tournant pour le leader du lait et du fromage Lactalis aux quelques 17,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et aux marques iconiques telles que Président, Coeur de Lion, Lactel, Bridel, Chaussée aux Moines, Galbani, ou encore La Laitière. Dans les supermarchés, Lactalis est partout.

Les dessous de l’industrie laitière

En France, l’industrie laitière est centrale et omniprésente. Les français sont aujourd’hui les premiers consommateurs européens de beurre (près de 8 kg par habitant et par an) et les seconds consommateurs de fromages (près de 24 kg/hab/an). Et l’argent coule à flot : en 2012, les produits laitiers ont généré plus de 25.5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. De plus, les produits laitiers français (lait, fromage, crème…) s’exportent massivement. Pour répondre à la demande croissante, c’est la course à la productivité. Mais les risques n’augmentent-ils pas avec cette production de plus en plus industrialisée et intensive ? La solution : plus de transparence, et plus de responsabilité dans la production, la vente et la consommation des produits laitiers ? Assurément, mais pas que…

Consommer en grande quantité des produits issus de l’élevage industriel ne coule pas de source pour un être humain. L’industrie laitière possède en France et partout dans le monde une des plus importantes puissance marketing. “Les produits laitiers, sont nos amis pour la vie” : un discours que beaucoup ont désormais dans la tête. Aujourd’hui, de nombreuses études scientifiques ont pourtant démontré que les produits laitiers étaient loin de représenter le produit aux bienfaits miracles comme les industriels tentent de faire croire. Les problèmes de calcium osseux, du cancers du sein, de la prostate, sont les maux de notre temps. Pourtant, plusieurs observatoires ont noté une nette différence des statistiques de ces maladies dans tous les pays dans lesquels la consommation de produits laitiers au quotidien est bien inférieure à celle en Occident. Par ailleurs, de nombreux chercheurs pensent que la caséine présente dans le lait est la principale substance responsable des inflammations articulaires que l’on voit dans les arthrites rhumatoïdes.

Sans même noter l’augmentation continue de personnes intolérantes au lactose, on signalera que même l’OMS a établi, dès 2002, un “paradoxe du calcium” : en effet, les pays qui consomment le plus de produits laitiers au monde (les pays scandinaves) sont les pays dans lesquelles les personnes ont les os les plus lourds, sont les plus grands, et ont le plus de fractures du col du fémur. À l’inverse, les populations d’Afrique et certaines d’Asie, qui consomment le moins de produits laitiers, affichent une bonne santé osseuse et peu de cas d’ostéoporose, avec des taux de fracture les plus bas qui soit. Pour certains, il ne fait aucun doute, « la culture du lait » est avant tout le fruit de décennie de matraquage publicitaire étouffé dans une grande confusion entre le terroir français et ses pâles copies industrielles. Qu’on ne s’y détrompe pas : ces dernières, par l’industrialisation forcée des producteurs, ont tendance à éradiquer ce qui constituait encore hier, une fierté française.

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Le lait : un bon verre d’hormone, de colle et de pus !

En effet, le développement récent et démesuré de la production de lait n’a rien d’un conte de fées. Pour cause, les pratiques industrielles déployées pour augmenter les rendements laissent perplexe. Nous pouvons notamment évoquer que, depuis 1994, la multinationale Monsanto a mis sur pieds une hormone de croissance appelée Posilac créée par manipulations génétiques à partir de l’hormone naturelle somatotropine, présente lors de la production de lait. Le Posilac est destiné à augmenter la production de lait de façon importante. Désormais, les vaches pouvaient produire de 40 à 50 litres de lait par jour (auparavant, elles en donnaient au plus 14 litres). Rapidement, de nouvelles difficultés sont apparues : il a fallu  trouver des vaches avec des pattes plus longues, les Holstein, afin qu’elles ne se marchent pas sur les pis artificiellement démesurés. Enfin, pour que les bêtes puissent suivre ce rythme implacable de production, il a été nécessaire enrichir leur nourriture grâce aux farines.

Source : Biassu

Une vache normale vit 25 à 30 ans, mais dans l’industrie, ces dernières sont usées à la corde en…7 à 8 ans. Par ailleurs ces vaches sont sujettes à de  nombreuses infections, comme les mammites, si bien les antibiotiques sont devenus indispensables. Les taux d’antibiotiques dans le lait sont 100 fois plus élevés qu’il y a 25 ans et les autorités sanitaires se sont contentées d’élever les normes limites autorisées. Aux USA, sur les 23 000 tonnes d’antibiotiques fabriqués chaque année, près de la moitié est utilisée pour le bétail. Il est étonnant de constater qu’aux USA, 80% des vaches ont une chance de souffrir de leucémie durant leur courte vie. C’est dire notre profond mépris pour la vie animale.

Enfin, un documentaire canadien, The Corporation, témoigne du lobbying agressif de Monsanto sur la chaine américaine Fox News. Dans les faits, la multinationale a fait pression sur la chaîne pour empêcher la diffusion d’une enquête dévoilant les dangers du Posilac en 1997. Résultat ? Non seulement l’enquête n’a en effet jamais été diffusée, mais de plus ses auteurs ont perdu leur emploi.

Derrière les portes, la souffrance animale cachée et banalisée

Pour fournir du lait, la vache doit être soumise à une grossesse chaque année (qui dure environ 9 mois, comme pour les humains). Elle est donc engrossée de force dès l’âge de 15 mois et sera à nouveau fécondée 3 mois après chaque vêlage, par insémination artificielle dans la majorité des cas.

Une fois son veau arraché à peine quelques heures après sa naissance, la vache est soumise à la traite, généralement par une machine. Et encore, pour des raisons économiques, les vaches sont traitées même pendant la grossesse, une pratique exténuante pour le corps dont les besoins vitaux sont méprisés. Mais ce système de productivisme intensif permet de soutirer à la vache près de 10 000 litres de lait par an, notamment à l’aide de Posilac et d’autres hormones favorisant des rendements toujours plus importants. Les vaches laitières subissent ainsi de nombreuses souffrances physiques et émotionnelles totalement niées par les industriels. Épuisée par un tel traitement, une vache ne sera plus « rentable » dès l’âge de 5 ou 6 ans (dans d’autres conditions son espérance de vie est d’au moins 25 ans), et sera donc rapidement transportée à l’abattoir, où elle sera tuée, parfois encore pleine, pour sa viande. En France, 70% de la viande bovine provient des vaches laitières qui ne sont plus assez rentables pour l’industrie.

Alors que le scandale Lactalis bat son plein, c’est l’ensemble des pratiques de la filière qu’il serait bon de questionner. La production industrielle de lait et la logique économique qui se cache derrière sont le fondement des nombreux excès décrits et de la multiplication des mensonges publicitaires. Dans l’imaginaire de nombreux français persiste la confusion entre les petites fermes locales sorties de l’imaginaire pastoral, en voie d’extinction, et l’industrialisation écrasante et majoritaire du secteur. Dans ce contexte, l’affaire des laits infantiles contaminés et la manière dont Lactalis a tout fait pour minimiser le scandale rappelle qu’ici l’opacité est la norme, la transparence l’exception.

Moro


Sources : Le Monde / Bristish Journal of Cancer / Santé Médecine

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