Le système économique néolibéral et capitaliste est aujourd’hui le principal acteur de l’éradication exponentielle de la vie sur Terre. Une situation qui nécessite la mise en place de mesures concrètes marquées d’une participation citoyenne et collective en vue d’une décroissance globale. Pour mieux comprendre ce que nous traversons, un brin d’histoire, de neurosciences, de psychologie et de mathématiques est nécessaire. Edito.
Le capitalisme n’est pas la source unique du problème. Si l’on jette un œil à l’histoire de l’humanité, on peut voir que de nombreuses civilisations se sont construites puis, se sont effondrées, marquant au passage l’environnement de leur main destructrice.
La différence avec la situation actuelle réside dans l’ampleur du massacre. Pour mieux comprendre comment l’humanité en est arrivée là, il peut être intéressant de remonter dans le temps.
Aux origines du désastre
Les premières sociétés étaient formées de clans nomades dont les modes de vie reposaient sur la cueillette, la chasse et la pêche, les poussant à migrer vers les régions les plus adaptés à leur survie selon les saisons. La période du Néolithique a été marquée par la sédentarisation des humains et les débuts de l’agriculture, donnant naissance aux premières inégalités sociales – reposant sur des systèmes d’oppression – et à l’exploitation graduelle et grandissante des ressources de la planète.
L’humain du néolithique s’est ainsi installé de manière durable dans un milieu naturel qu’il s’est mis en tête de dominer et de modifier en y apposant son empreinte. Aurait-il ainsi rompu une symbiose essentielle, autant à son propre bien-être qu’à celui de l’équilibre son environnement ? Selon une étude publiée en 2015, les inégalités entre les femmes et les hommes seraient également apparues durant cette transition vers l’agriculture et le pastoralisme. D’après l’auteur de ces travaux, le fait que des ressources telles que les terres ou le bétail soient devenues des éléments clés du succès reproducteur a conduit à de profondes disparités de richesses.
Cependant, en dépit de la cupidité humaine, la nature a longtemps su conserver un certain équilibre. Mais aux alentours du milieu du XIXe siècle, la révolution industrielle a permis à l’humanité de faire peser une menace bien plus conséquente sur les équilibres écosystémiques et les divers cycles naturels, avec une nette aggravation dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, lors du boom économique planétaire et de la popularisation du capitalisme.
Réchauffement climatique, perte de la biodiversité, déforestation, pollution… Des conséquences d’une industrialisation débridée – portée par la technoscience, soutenue par la mondialisation. Les découvertes scientifiques monumentales durant la révolution industrielle ont ainsi entrainé – car non maîtrisées et utilisées à mauvais escient – une accélération exponentielle de l’exploitation des ressources naturelles et de la destruction de l’environnement.
Il semblerait malheureusement que « l’intelligence » humaine n’ait que trop devancé sa conscience dont l’évolution n’a pas été suffisamment rapide pour empêcher le massacre. C’est ainsi que des moyens accrus ont été mis dans les mains de l’humanité avant que celle-ci ne soit devenue suffisamment sage pour ne pas les utiliser à des fins destructrices.
Pourquoi accélère-t-on le massacre ?
Mais pourquoi la destruction se poursuit en toute légalité ? Bien que certains individus soient évidemment plus responsables que d’autres, tant de personnes encore se complaisent dans leur confort actuel, le tout en déplorant les répercussions de ce même confort.
Pourquoi est-ce l’impact économique du réchauffement climatique et la mise à mal de loisirs bourgeois tels que le ski qui inquiètent aujourd’hui, plutôt que la disparition accélérée de la biodiversité et des écosystèmes pourtant essentiels à notre survie sur le long terme ? Comment peut-on à la fois s’attrister de la fonte des glaciers et sauter dans le premier avion pour aller découvrir l’Antarctique alors que le tourisme de masse constitue un des principaux contributeurs au réchauffement climatique ? Pourquoi tant de non-sens dans le comportement humain ?
La faute… au striatum ?
Et si la réponse à toutes ces questions résidait dans notre cerveau ? En fin de compte, la promesse fallacieuse d’abondance infinie du capitalisme ne viendrait-elle pas simplement titiller un aspect de la nature humaine qui en veut toujours plus ? Selon Sébastien Bohler, auteur du livre « Le Bug humain: Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher », la réponse se cacherait dans le striatum, une partie primitive du cerveau présente chez tous les mammifères.
Celle-ci libère de la dopamine – hormone du plaisir – lorsque certaines actions sont réalisées en continu et de manière exponentielle. Ces actions incluent principalement : manger, se reproduire, améliorer son statut social (avoir davantage de pouvoir), obtenir un maximum d’informations et atteindre un objectif en faisant le moins d’efforts possible. Tout ceci était une question de survie dans le Paléolithique. Cependant, alors que les conditions de vie ont largement évolué depuis cette période de la Préhistoire, l’intelligence humaine serait restée au service du striatum.
D’après Sébastien Bohler, le combat « entre le cortex et le striatum explique que nous n’arrivions pas à nous projeter à long terme pour limiter le réchauffement climatique et que nous préférons consommer là tout de suite maintenant. » Il précise également que la lassitude gouverne le striatum, faisant en sorte que celui-ci n’élève la libération de dopamine que lorsque l’on augmente les « doses » des actions récompensées, ce qui équivaut par exemple à « avoir une voiture plus grosse, suréquipée… ».
En résumé, plus on a, plus on a envie d’avoir. Le même phénomène est à l’œuvre sur Instagram, par exemple, où les « likes » de plus en plus nombreux nous poussent à agir de manière à les perpétuer et les augmenter, sans quoi une profonde insatisfaction, voire détresse psychologique, peut s’installer.
Résoudre cette faille humaine
Pas de quoi désespérer toutefois et penser que l’être humain est forcément voué à s’autodétruire. Selon Sébastien Bohler, il existe des solutions pour contrer cette zone de notre cerveau à l’emprise colossale et particulièrement délétère au vu du contexte actuel. Par exemple, il semblerait que l’éducation permette de mieux lutter contre cette nécessité de plaisir immédiat.
Remettre en cause notre société profondément consumériste et éveiller notre conscience font également partie de l’équation : il s’agit de trouver du plaisir dans la simplicité, d’apprécier l’instant présent en s’arrêtant quelques minutes et en portant son attention sur le « ici et maintenant ».
L’altruisme permet également d’être récompensé par le striatum, c’est une valeur qu’il est essentiel d’enseigner aux enfants. Pour le bien de notre cerveau, l’éducation devrait aujourd’hui être centrée sur des valeurs telles que l’empathie et la bienveillance. Créer, plutôt que de céder à ses envies d’achats compulsifs préfabriqués, est également un bon moyen de vivre en harmonie avec son environnement. Précisons toutefois que le changement individuel, bien que nécessaire, n’est qu’une petite partie de l’équation. Des transformations sociétales profondes, marquées de décisions collectives, s’imposent, aujourd’hui plus que jamais.
Qui sont ces psychopathes qui nous gouvernent ?
Il est probablement impensable que ceux jouant un rôle prépondérant dans le massacre de la vie sur terre puissent être raisonnés à coups d’altruisme. Le problème est également, et surtout, structurel. Ceux qui sont depuis longtemps aux pouvoirs économiques et qui détiennent bien plus d’influence que l’immense majorité de l’humanité ne risquent pas de changer du jour au lendemain, se disant que leurs actes sont guidés par une petite partie de leur cerveau qui les pousse à détruire la planète…
Une étude publiée en 2012 dans la revue scientifique américaine Proceedings of the National Academy of Sciences a montré que plus un individu dispose d’un statut social élevé, plus son comportement risque d’être contraire à l’éthique (enfreintes à la loi, mensonges, tricheries, exploitation d’autrui…). Selon ces scientifiques, ces données s’expliquent partiellement par le fait « d’attitudes plus favorables à la cupidité » des individus de la classe dominante.
Selon Jean-Pierre Friedman, psychanalyste, docteur en psychologie et auteur du livre « Du pouvoir et des hommes », les hommes de pouvoir ont, de nombreux cas observés, deux traits en commun : le narcissisme et la mégalomanie. Leur vision déracinée du monde et leur volonté sans répit d’acquérir toujours plus de pouvoir finit inévitablement par les écarter de leurs convictions de base, la victoire demeurant leur principale priorité.
D’autre part, il est important de ne pas oublier un facteur essentiel du chaos économique, social et écologique dans lequel nous baignons. Environ 1 % (voire plus) de la population mondiale est sujette à un trouble psychiatrique, qui s’accompagne malheureusement de facilités accrues à atteindre les sommets des hiérarchies, notamment celles de grandes entreprises : la psychopathie. Mais qu’est-ce que la psychopathie ? Elle est considérée comme un grave trouble de la personnalité qui rend les personnes qui y sont sujettes enclines à transgresser les lois, avec également une incapacité à se conformer aux normes sociales.
Ces individus antisociaux qui sont incapables d’entretenir des relations interpersonnelles saines sont également dotés d’un manque profond de moralité et sont particulièrement portés sur les actes d’escroquerie et de mensonges, que ce soit dans un but de profit ou de plaisir. Les caractéristiques de la psychopathie incluent également l’impulsivité, l’agressivité, l’irresponsabilité, le mépris au regard de la sécurité et l’absence totale de remords et d’empathie. Les psychopathes sont souvent considérés comme des individus séducteurs et manipulateurs, motivés par la vulnérabilité de leurs victimes.
L’absence de peur de prendre des risques, conjuguée à ces précédentes caractéristiques, leur permet de gravir rapidement les échelons dans les structures du capital. Selon une théorie présentée par le professeur de management Clive Boddy en 2011, les psychopathes à la tête d’entreprises financières auraient joué un rôle majeur dans la crise économique de 2008.
Dans son livre « Corporate Psychopaths: Organizational Destroyers », il soutient notamment que ces mêmes individus sont ceux qui conseillent les différents agents du gouvernement quant à la résolution de la crise. Quelque peu ironique.
Comme l’a dit l’éminent médecin psychiatre Carl Gustav Jung de manière assez caricaturale : « Lorsque tout va bien, les fous sont dans les asiles, en temps de crise, ils nous gouvernent »
Une crise de démocratie
D’après une analyse réalisée par des mathématiciens du NECSI (New England Complex Systems Institute), les sociétés humaines sont aujourd’hui devenues bien trop complexes pour pouvoir être gérées par des gouvernements. Selon Yaneer Bar-Yam, fondateur de la NECSI : « Il existe dans le monde un processus naturel de complexité croissante qui se heurtera à un moment donné à la complexité de l’individu. Une fois que nous aurons atteint ce point, les organisations hiérarchiques s’effondreront. »
L’étude met en avant le caractère grotesque de l’idée qu’une concentration de pouvoirs dans les mains d’un ou de quelques individus au sommet d’une hiérarchie puisse permettre des prises de décisions optimales face à des problèmes complexes qui, quelle que soit leur localisation, peuvent impacter des populations entières de part et d’autre du monde.
Il est de plus en plus flagrant que les systèmes politiques actuels constituent des échecs incontestables. Pour Yaneer Bar-Yam, « cela s’avère, que l’on parle de dictatures ou du communisme qui disposaient de processus de contrôle très centralisés, ou encore des démocraties représentatives aujourd’hui. Les démocraties représentatives concentrent toujours le pouvoir dans un ou plusieurs individus. Et cette concentration du pouvoir et des prises de décision rend ces systèmes inefficaces. »
Désobéissance civile de masse : un autre monde est possible
Il faut garder à l’esprit que ce ne sont pas des actes isolés et individuels, même additionnés, qui pourront permettre de résoudre la crise écologique et sociale globalisée. Fruit du néolibéralisme, la simple réflexion sur nos propres choix de consommation est loin d’être suffisante si l’on souhaite transformer nos sociétés. Le système souhaite évidemment que l’on encourage la responsabilisation individuelle (culpabilité collective) et non la remise en cause du système lui-même. Or, pour sortir de la crise, il ne s’agit pas seulement de faire des choix de mode de vie plus responsables mais de répandre une prise de conscience citoyenne et, avant tout, d’agir.
Il semble ainsi plus que temps de se rebeller contre un système productiviste, père d’une société consumériste, qui nous a d’ores et déjà amenés au bord du précipice. Et ce même si cela implique de reconsidérer notre confort personnel quand il est issu d’une externalité négative (oppressions, exploitations,..). Un système, qui, non content de s’enfoncer dans l’aberration que constitue la privatisation et l’exploitation croissante des ressources naturelles limitées de notre monde, met gravement en péril notre survie et celle de toutes les autres espèces de cette planète.
Ce n’est plus qu’une question de temps aujourd’hui : ce système s’effondrera d’une manière ou d’une autre. C’est inévitable, une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Reste à savoir si nous nous effondrerons avec ce même système ou si nous aurons su y résister et rebondir pour reconstruire un monde plus juste à temps, recréant une symbiose naturelle que l’être humain a eu tort de briser il y a si longtemps. Alors que le nombre d’éco-anxieux ne cesse de croître au vu de l’urgence la situation, sortir de l’immobilisme pourrait s’apparenter au meilleur des traitements à court terme.
Il n’y a que de la force collective que peut naître un véritable changement. De part et d’autre du monde, les manifestations se font de plus en plus nombreuses et, bien que catégorisées, sont le symptôme d’un mal-être généralisé qui n’épargne quasiment personne et témoigne de la défaillance profonde et en tout point de nos sociétés. Malheureusement, demander un monde plus juste, sur quelque niveau que ce soit, engendre aujourd’hui une répression sans limites.
Face à cela, se rebeller ne relève-t-il pas du devoir de chacun d’entre nous ? Rappelons ici l’article 35 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Pour agir, Sébastien Bohler propose de nouvelles pistes dans son dernier ouvrage axé cette fois sur la dé-jouabilité constructive des mécanismes profonds de notre condition : Striatum – Comment notre cerveau peut sauver la planète.
Aujourd’hui, surtout, de nombreux mouvements, associations et ONG se battent pour changer, voire briser ce système mortifère tout en protégeant ce qui doit être protégé. Des événements prennent place – parfois même dans les lieux les plus reculés – afin de résister contre les projets écocides ou liberticides, de même que pour combattre les inégalités de toutes sortes. L’important reste l’unité et la massification. Chacun est libre de se joindre aux événements proches de chez lui et éventuellement se rapprocher de communautés locales militantes.
Repartir sur de nouvelles bases
Il faut garder à l’esprit que se focaliser aujourd’hui sur la lutte contre réchauffement climatique demeure quelque peu dérisoire car ce dérèglement n’est qu’un symptôme parmi tant d’autres d’un modèle de société défaillant. Il est aujourd’hui plus que temps de faire émerger un nouveau modèle, bâti sur de nouvelles normes, valorisant l’empathie, l’entraide, le partage et la protection de l’environnement plutôt que la concurrence, le profit, la productivité et l’accumulation des richesses. Comment construire ce modèle ?
En montrant l’exemple, grâce notamment à des communautés qui tendent vers la résilience. Les écovillages par exemple, sont des communautés auto-suffisantes où l’écologie dispose d’une place prépondérante. Mais sachant que ce n’est pas une possibilité pour tout un chacun de construire ou de partir vivre du jour au lendemain dans un tel endroit, pourquoi ne pas commencer par se rapprocher par exemple d’un jardin communautaire ? Accessible à tous, même en ville, il peut constituer un lieu d’échange et un point de départ conséquent.
L’information constructive, réaliste et évolutive est également un facteur clé de la transition, en favorisant une prise de conscience de masse quant aux enjeux actuels. Il s’agit d’informer en montrant à la fois l’arrivée imminente d’une dystopie globale si rien ne change et la possibilité de sociétés reconstruites sur de nouvelles bases en vue d’un avenir plus serein. Il est également possible d’avoir de l’impact en s’engageant en politique, que ce soit du côté citoyen ou politicien. Les décisions collectives et raisonnées seront un facteur clé du monde de demain.
Non, nous ne sommes pas condamnés, la situation n’est pas encore irrémédiable. Un autre monde est possible ; il s’agit pour l’atteindre de décoloniser notre imaginaire de consommateurs-rois, penser le monde d’après basé sur la sobriété heureuse. Cela semble-t-il être un prix élevé à payer pour la survie, entre autres, de notre espèce ?
– Elena M.
Photo de couverture de @Chris Lee/Flickr