Un tribune dénonçant la discrimination subie par les enfants végétar(l)iens dans les cantines scolaires pourrait ouvrir le débat sur la question de l’omniprésence de la viande à l’école, un héritage loin d’être anodin…

Malgré leurs apparences a priori neutres et encadrées, les cantines subissent depuis longtemps la forte influence des lobbies, notamment de la viande, alors que les recommandations nutritionnelles préconisent de diviser par deux au moins la quantité de produits carnés et laitiers qui y sont servis. Tant pour des raisons de santé, ici celle des enfants, qu’environnementales, l’élevage industriel étant responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial et aggravant notre précarité alimentaire globale.

Malheureusement, les croyances nées de décennies de stratégies de communication des industriels, y compris auprès du secteur de la santé, auront eu raison de tout mesure sur la question. Dans l’esprit collectif, malgré les faits, la surconsommation de viande est tantôt associée à la bonne santé, à la liberté individuelle ou à un privilège de classe. A l’inverse, aux yeux de l’opinion publique, s’en priver reviendrait à de la dénutrition, à un choix négatif ou une précarité alimentaire. 

En ce sens, Astrid Prévost, chargée de mission en restauration collective et membre de la REV (Révolution Écologique pour le Vivant) et Aymeric Caron, député de Paris, président-fondateur de la REV, ont récemment rédigé une tribune pour dénoncer les effets de ces préjugés sur certains enfants. La voici : 

TRIBUNE

Malgré la loi EGalim, végétariens et véganes subissent toujours de la discrimination dans les cantines scolaires.

Alors que bien d’autres pays, comme le Royaume-Uni, le Portugal ou le Luxembourg proposent des options véganes quotidiennes aux enfants inscrits à la cantine, la France est toujours à la traîne : parents et enfants végétariens ou véganes subissent même de violentes discriminations dans la restauration collective publique.

La loi EGalim a instauré l’obligation de proposer un repas végétarien hebdomadaire dans toutes les écoles depuis novembre 2019. De son côté, l’Anses déclarait en 2021 que proposer une option végétarienne quotidienne n’impactait pas de manière négative la satisfaction des besoins nutritionnels des enfants. Par ailleurs, la plus grande association de nutritionnistes du monde, à savoir l’Académie de Nutrition et de Diététique, affirmait dès 2016 qu’une alimentation végétale équilibrée était adaptée à tous les âges de la vie. Pourtant, les pouvoirs publics persistent à obstruer le droit des végétariens et des véganes à manger dans les cantines.

En avril dernier à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une proposition de loi sur l’alimentation, un amendement porté par la Révolution Écologique pour le Vivant (REV) visait à proposer une option végétalienne dans toutes les cantines. Cette proposition a été rejetée y compris par des parlementaires se réclamant de l’écologie.

Des pratiques illégales, et des parents démunis

De nombreuses écoles forcent les enfants à manger de la viande. C’est pourtant interdit, comme l’indique une décision du tribunal de Melun faisant jurisprudence. Mais les écoles, qui ne subissent aucune sanction, perpétuent cette pratique traumatisante pour les enfants comme pour les familles.

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Afin de se montrer conciliants, de nombreux parents proposent pourtant de fournir un panier-repas à leurs enfants, afin qu’ils puissent manger de façon équilibrée, avec leurs camarades, et sans poser de contrainte supplémentaire à l’école. Bien que cela soit légalement possible, la majorité des écoles refuse ce compromis, ou ne l’accepte qu’au prix d’une preuve d’allergie de l’enfant aux produits d’origine animale. Le végétarisme et le véganisme ne sont pourtant pas des pathologies, et cette pratique consternante des établissements scolaires laisse de nombreuses familles dans la détresse.

Ainsi, la maman de Luke, 6 ans, explique qu’à cause de la mauvaise volonté de l’école où est scolarisé son enfant, elle risque de perdre son emploi. L’école refusant qu’elle apporte le panier-repas de son fils, elle sera donc obligée d’aller le chercher sur les horaires de la cantine, ce qui est incompatible avec ses horaires de travail. Elle travaille pourtant pour la mairie de sa collectivité, une petite commune rurale, et l’on pourrait donc penser que son employeur fasse preuve de compréhension. Or ce n’est pas le cas.

Vu qu’ils étaient dans l’urgence par rapport à mon poste de travail, ils m’ont accordé pour l’instant d’apporter le repas chaque jour mais ils m’ont déjà prévenue que dès qu’ils ne seront plus en flux tendu au niveau du personnel, ils me réclameront une preuve d’allergie pour mon fils. Notre médecin, qui est compétente sur les alimentations végétales, refuse bien entendu de faire un faux certificat d’allergie : Luke n’est pas malade.

Cette exigence illégale de certificat d’allergie met les parents et les médecins dans une situation de violation réglementaire, pour voir le droit des familles respecté. À l’Assemblée nationale, nous avions d’ailleurs proposé un amendement visant à réaffirmer l’interdiction pour les établissements de requérir un PAI (Projet d’accueil individualisé) pour les parents dont les enfants ne mangent pas de viande ou de produits laitiers et ovoproduits, conformément aux dispositions d’une circulaire relative à l’inclusion des enfants à l’école (1), qui précise bien que “les mesures sur la restauration collective et relevant du PAI ne concernent que les enfants ayant une allergie ou une intolérance alimentaire médicalement avérée nécessitant un régime alimentaire pour raisons médicales spécifiques. Le PAI n’est pas destiné à être utilisé pour permettre un régime alimentaire lié à des choix familiaux.”

Des méthodes à l’encontre de l’intérêt général

Aujourd’hui, toutes les recommandations écologiques et de santé publique s’accordent sur le fait que nous devons favoriser la consommation de sources de protéines végétales, et diminuer d’au moins 50% notre consommation de viande à court terme. Empêcher les personnes d’avoir une alimentation végétale, au-delà d’être un affront à la liberté de conscience, contrevient aux objectifs de santé publique, et est également écocidaire.

Élevage de poulets à Pihem – Pas-de-Calais – avril 2021 @L214

En effet, l’élevage contribue pratiquement à un cinquième des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. En ce qui concerne la biodiversité, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) considère que notre appétit pour les produits animaux, à travers les changements d’usage des sols qu’il occasionne, constitue l’une des principales menaces pour les écosystèmes.

L’alimentation végétale peut fournir tous les nutriments nécessaires à la santé. Bien adaptée, elle est compatible avec toute activité physique, et à tous les âges : elle permet un développement physique et psychomoteur tout à fait normal. C’est une alimentation bénéfique et recommandable pour la santé (2).

Avec ses 3 milliards de repas annuels, la restauration collective publique est une grande consommatrice de viandes importées et de produits animaux d’élevages intensifs. Elle est donc incontournable si l’on veut réduire la consommation de viande et atteindre nos objectifs sanitaires, écologiques et éthiques.

Pour un droit de manger végétalien en collectivité

Photo de Jonathan Borba sur Unsplash

Faciliter les choix véganes pour les usagers de la restauration collective, que ce soit dans les cantines, dans les hôpitaux, ou dans toutes les structures dépendant des pouvoirs publics, est donc une responsabilité sociétale, doublée d’une question d’égalité et de liberté de conscience. Les véganes ont le droit de manger au sein de ces lieux, et un état qui se veut démocratique doit être garant de ce droit.

L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que chaque personne a le droit au respect de sa liberté de conscience. En conséquence, nous demandons à ce que soit respecté, au sein des établissements gérés par les pouvoirs publics, le droit des familles qui choisissent pour elles-mêmes et pour leurs enfants un régime alimentaire végétarien ou végétalien.

–  Aymeric Caron et Astrid Prévost

Notes

(1) Circulaire du 10 février 2021 (NOR : MENE2104832C)
(2) Position officielle de l’AVF sur l’alimentation et la santé

Image d’entête @pexels-anastasia-shuraeva

 

 

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