La journée internationale sans viande du 20 mars a été l’occasion de considérer le rôle de l’élevage dans les tensions alimentaires à venir. Le dernier rapport du GIEC, sorti dans une relative indifférence le 28 février rappelle une nouvelle fois les dangers auxquels nous ferons inexorablement face au fur et à mesure que la température globale augmentera. Tribune.

Le réchauffement climatique accentuera les tensions alimentaires

Le texte de consensus établi par les scientifiques du GIEC affirme l’aggravation de multiples risques pour le système alimentaire mondial.

L’augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la gravité des phénomènes climatiques extrêmes exerce une pression croissante sur la production et l’accès aux denrées comestibles.

La concomitance de la chaleur et de la sécheresse entraîne des pertes de production agricole, exacerbées par la baisse de productivité du travail due à la chaleur. L’élévation future du niveau de la mer, combinée aux ondes de tempête et aux fortes précipitations, menace d’augmenter les risques d’inondation. Le réchauffement de la planète affaiblit aussi progressivement la santé des sols et les services écosystémiques tels que la pollinisation. Il amplifie la pression exercée par les ravageurs et les maladies et réduit la biomasse des animaux marins, sapant ainsi la productivité alimentaire de nombreuses régions sur terre et dans les océans.

La fertilité des terres est hautement menacée par les conséquences de notre modèle de société @Kier In Sight/Unsplash

De plus, relevons que la précarité alimentaire n’est pas qu’une question de production locale, mais aussi et surtout de répartition de la production. Sur ce plan, les déplacements de population dus au dérèglement climatique et aux difficultés économiques risquent d’engendrer des tensions politiques rendant les approvisionnements extérieurs incertains. Comme nous le montre la guerre en Ukraine, certains conflits dans les pays producteurs déstabilisent fortement les marchés internationaux de denrées alimentaires, mais aussi d’engrais dont la production dépend d’approvisionnements en gaz.

Toutes ces interactions induiront une hausse des prix des denrées alimentaires, une baisse des revenus des ménages et des risques sanitaires de malnutrition et de mortalité liés au climat. Les régions les plus vulnérables, comme l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine, courent en particulier de graves risques pour leur sécurité alimentaire.

En parallèle, en raison de l’augmentation de la population et surtout de l’occidentalisation des régimes alimentaires, l’Institut des ressources mondiales estime que d’ici 2050 la demande globale de produits animaux augmentera de 70 %. La demande de davantage d’aliments destinés aux élevages ne risque-t-elle pas d’accroître les pressions sur les populations pauvres ?

Des éleveurs producteurs ou simples transformateurs agricoles ?

Si l’augmentation de la productivité agricole peut contribuer à court terme à la sécurité alimentaire, son expansion non durable, due en partie à des régimes alimentaires trop riches en produits animaux, accroît la vulnérabilité des écosystèmes et des humains et entraîne une concurrence pour les ressources en terre et/ou en eau. 

@Joshua Lanzarini/ jlanzarini (Unsplash)

De la Préhistoire jusqu’aux débuts de l’industrialisation, l’élevage permettait un accroissement net de la nourriture disponible pour les humains, car les animaux divaguaient pour se nourrir par eux-mêmes. Les herbivores étaient menés sur les pâturages, les cochons profitaient des glandées dans les bois ou fouillaient les déchets des villages et quelques poules recevaient des restes alimentaires pour compléter ce qu’elles trouvaient aux environs des fermes. Nourrir des animaux de grains comestibles pour les humains était essentiellement vu comme un gaspillage ou un luxe réservé aux nobles et au clergé.

Depuis, l’élevage consomme davantage de nutriments qu’il n’en produit. Quasiment tous ceux contenus dans les produits animaux (acides aminés, minéraux, l’essentiel des vitamines) sont issus directement des végétaux. A l’exception de certains éleveurs de ruminants ou de paysans pratiquant une agriculture vivrière, les éleveurs sont de fait devenus des transformateurs et non plus des producteurs agricoles. Mais cette transformation se fait au prix de lourdes pertes.

Même en prenant en compte la meilleure digestibilité de certaines sources animales, l’élevage mondial ne restitue en moyenne que 38 % des protéines comestibles qu’il consomme. En Europe, Greenpeace considère par exemple que, pour produire 100 g de poulet, il faut 109 g de soja en complément du grain servant de base alimentaire.

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@Jo-Anne McArthur (Unsplash)

D’après la FAO, 84 % des exploitations agricoles dans le monde font moins de deux hectares et n’occupent qu’un neuvième des terres agricoles. Elles produisent pourtant plus du tiers des ressources alimentaires mondiales. Ces exploitations familiales sont majoritairement tournées vers l’autoconsommation et l’économie de subsistance. Les animaux y sont à la fois utiles pour le travail du sol et le transfert de fertilité des prairies vers les champs, mais ils peuvent aussi être sacrifiés en cas de mauvaise récolte pour assurer une certaine sécurité alimentaire.

En opposition, l’élevage commercial, dont les animaux sont nourris de céréales et de légumineuses parfaitement comestibles, constitue le plus grand gaspillage alimentaire au monde, accroissant le prix des denrées agricoles mondiales. 

Face à l’urgence d’alléger la charge sur les écosystèmes, le climat et le système alimentaire mondial, il est essentiel que les pays riches amorcent une transition d’ampleur vers des régimes moins carnés, en mettant en place des réformes profondes des politiques agricoles, économiques et de santé publique. À l’occasion de la Journée sans viande, nous voulons rappeler qu’une alimentation à base végétale devrait devenir la règle plutôt que l’exception, dans la simple perspective de rendre nos systèmes agricoles soutenables à long terme.

Végétalement,

Céline JOSEPH LEE (AVF, Association végétarienne de France)

Photo de couverture @Etienne Girardet/Unsplash

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