Chaque année, 1,4 milliard de téléphones portables sont vendus à travers le monde, en remplacement d’un appareil qui fonctionne souvent parfaitement bien. Cette surconsommation, encouragée par la publicité et l’obsolescence programmée, est à l’origine de l’empreinte environnementale et sociétale énorme de l’industrie du smartphone. Face à la durée de vie bien trop courte des smartphones, le fabricant Fairphone se distingue par des modèles plus écoresponsables, dont les composants, majoritairement issus de filières durables, sont aisément remplaçables et réparables. Pour la rentrée, l’entreprise néerlandaise lance le Fairphone 3+, une version améliorée du téléphone précédent, également disponible en pièces séparées pour les possesseurs de ce dernier.
Emblématiques de l’économie mondialisée, la plupart des smartphones font plusieurs fois le tour du globe, de l’extraction des matières premières à leur distribution, en passant par la fabrication des composants et leur assemblage. Le cycle de vie du smartphone est ainsi à l’origine de dommages sévères dans différentes régions du monde, entre épuisement des ressources naturelles, pollution de l’eau et de l’air et violation des droits humains.
Une pollution entièrement délocalisée
Véritable nœud du problème, la surconsommation des appareils est encouragée par l’industrie dont le business-model repose sur le nombre d’unités vendu. La conception de nouvelles fonctionnalités engendre ainsi une hausse perpétuelle des exigences de performance du smartphone, et donc des besoins en matières premières. Certaines d’entre elles existent en abondance, mais d’autres, les métaux rares, sont plus limitées et impliquent des conséquences écologiques importantes. Pour satisfaire une demande en augmentation constante, ces minerais sont exploités dans des conditions souvent désastreuses pour l’environnement. L’extraction minière contribue à la destruction d’écosystèmes et à des pollutions diverses. Pourtant, les consommateurs occidentaux ne réalisent pas ce qu’implique l’achat d’un smartphone, cette pollution étant entièrement délocalisée.
Aucun des métaux composants les smartphones ne sont en effet extraits en Europe. L’activité minière se concentre souvent dans des zones plus instables, comme dans la région des Grands Lacs en Afrique où elle alimente des conflits. L’Unicef indique en outre que plus de 40.000 enfants travailleraient dans des mines de cobalt et de coltan au sud de la République démocratique du Congo. En Amérique du Sud aussi, l’utilisation abondante d’eau pour la production de lithium menace parfois la subsistance des populations locales, tout comme la déforestation induite par l’installation d’exploitations minières. Mais c’est surtout la Chine qui concentre la production mondiale des terres rares, des activités qui endommagent sérieusement les écosystèmes des zones d’exploitation et la santé des populations locales.
Allonger la durée de vie des smartphones
Ces dégâts sont directement proportionnels au rythme effréné de la demande. En moyenne, les Français changent de téléphone tous les deux ans alors que, dans 88 % des cas, ces téléphones portables fonctionnent encore. Les fabricants, à travers la publicité, le développement d’innovations mais aussi l’installation de mises à jour qui ralentissent les smartphones les moins récents, encouragent cette surconsommation. Mais la trop courte durée d’usage des smartphones est aussi liée à leur conception même. Dans la majorité des cas, les pièces ne sont pas faites pour durer, ni pour être remplacées ou réparées. Tout ceci contribue à produire toujours plus de déchets électroniques, le flux de déchets qui connaît la croissance la plus rapide au monde.
L’un des moyens de réduire son impact sur ces problèmes est d’utiliser les smartphones le plus longtemps possible. Des alternatives s’inscrivent dans cette optique pour les utilisateurs d’un outil devenu presque incontournable : les téléphones d’occasion, la réparation, ou les smartphones conçus pour durer longtemps, comme ceux produits par l’entreprise Fairphone. L’entreprise a d’ailleurs récemment étudié le cycle de vie de ces appareils. Cette analyse révèle que la conservation des appareils mobiles pendant cinq à sept ans pourrait réduire l’empreinte carbone du téléphone de 28 à 42%. Il s’agit donc de l’ambition principale que s’est donné le fabricant.
Des améliorations accessibles séparément
Un objectif difficile à atteindre, en raison notamment de la nécessité de mettre à jour le logiciel, de garantir un niveau de sécurité optimal, et d’assurer la disponibilité des pièces de rechange pour une utilisation à plus long terme du matériel. Fairphone tente de répondre à ces problématiques en rendant les appareils évolutifs et aisément réparables, afin de permettre à l’utilisateur d’allonger la durée de vie de son téléphone. Le dernier modèle de la marque améliore ainsi certaines performances du téléphone de façon modulaire, c’est-à-dire que l’optimisation du Fairphone 3+ est également accessible pour les possesseurs du Fairphone 3, avant-dernier modèle en date. Le but est d’inciter les utilisateurs à utiliser leur téléphone plus longtemps tout en accédant facilement aux dernières fonctionnalités
Concrètement, le nouveau téléphone intègre deux modules d’appareil photo qui augmentent la qualité des photos et vidéos, l’un des points faibles du Fairphone 3. Ceux-ci sont également vendus séparément, afin que les utilisateurs actuels puissent mettre à niveau leurs appareils moyennant une somme raisonnable (70€ jusqu’à la fin septembre et 94,90€ à partir du 1er octobre). Le Fairphone 3+ contient en outre 40 % de plastique recyclé, ainsi que des modules remplaçables. A cet égard, notons que le coût des composants de remplacement demeure relativement élevé, même si la réparation reste moins coûteuse que pour un smartphone classique.
Une chaîne d’approvisionnement pas encore 100% éthique…
Fairphone continue par ailleurs à développer des projets pour réduire l’empreinte environnementale et sociale de sa chaîne d’approvisionnement. L’entreprise soutient ainsi la collecte des déchets électroniques en Europe et à l’étranger, et encourage les clients à renvoyer localement les modules anciens et défectueux. Fairphone privilégie par ailleurs l’utilisation d’or issu du commerce équitable, de cobalt équitable, d’étain et de tungstène issus de zone « sans conflit ». L’amélioration des conditions de travail et de vie dans les petites mines de cobalt en République démocratique du Congo et dans les mines d’or en Ouganda est une autre priorité du fabricant.
Tous les composants des smartphones de la marque ne répondent toutefois pas aux critères éthiques et responsables que l’entreprise met en avant. Parmi les dizaines de matériaux et les centaines de pièces provenant de nombreux fournisseurs, Fairphone se concentre pour le moment sur certains d’entre eux, à l’impact le plus significatif. Mais à l’avenir, le fabricant a vocation à étendre ses critères de contrôle, ce qu’il fait d’ailleurs déjà à la sortie de chaque nouveau modèle.
Montrer à l’industrie qu’une autre voie est possible
Si ses appareils sont encore loin d’être exemplaires en termes d’éthique et d’écoresponsabilité, l’entreprise néerlandaise est néanmoins à l’origine d’initiatives qui pourraient bénéficier à l’ensemble de l’industrie. Fairphone s’attache en effet à partager son expérience avec d’autres fabricants de smartphones afin de prouver qu’une autre voie est envisageable. « En montrant qu’il est commercialement viable de prendre soin des gens et de la planète, nous voulons motiver l’industrie électronique à agir de manière plus responsable » précise Eva Gouwens, PDG de Fairphone.
Il reste en effet un très long chemin à parcourir pour les géants du secteur, même si certains d’entre eux tentent d’afficher un engagement éthique et durable, comme Apple qui publie désormais chaque année un rapport sur son impact sur l’environnement. L’entreprise à la pomme a par ailleurs développé un robot pour améliorer le recyclage de ses produits. L’enjeu du recyclage constitue certes une urgence absolue quand on sait qu’en France, moins de la moitié des smartphones sont collectés pour être recyclés, et que, vu le coût des procédés de recyclage, le prix des matériaux extraits reste plus avantageux que celui des métaux recyclés. Mais les fabricants tendent à se concentrer sur cette unique question, omettant d’investir dans l’amélioration des conditions de production et perdant de vue le principal : allonger la durée de vie des produits, et surtout consommer moins.
Raphaël D.