Ce mercredi 30 mars, l’association Attac publie un nouveau rapport qui tord le cou à de nombreuses idées reçues. Intitulé « Fraude fiscale, fraude sociale, fraude aux prestations sociales : ne pas se tromper de cible », l’analyse démontre, chiffres à l’appui, l’impact incomparable de la fraude fiscale sur l’économie française, l’environnement et la démocratie. Pourtant, les gouvernements ne cessent de durcir leurs politiques en matière de « contrôle social », craignant que l’assistanat ne vienne vider les caisses de l’Etat et discréditant ainsi le principe de redistribution sociale. En attendant, la fraude fiscale demeure systémique et coûte des milliards chaque année. De quoi revoir nos priorités ? Analyse.
Fondée en 1998, Attac, ou l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne, milite pour la justice fiscale, sociale et écologique, tout en contestant le pouvoir pris par la finance sur les peuples et la nature.
Avec L’Union syndicale Solidaires, elle publie un nouveau rapport soutenu par la CGT chômeurs, AC !, Solidaires Finances Publiques et la CGT Finances intitulé « Fraude fiscale, fraude sociale, fraude aux prestations sociales : ne pas se tromper de cible – Et ils sont où les vrais fraudeurs ? ».
Revenir aux chiffres
L’objectif de l’analyse ? Démontrer, chiffres à l’appui, que malgré le contexte ambiant et les discours politiques idéologiques, la lutte contre la fraude fiscale demeure la priorité, loin devant la chasse aux soi-disant assistés sociaux et économiques de l’Etat français.
« Les faits sont têtus et les différents travaux approfondis et basés sur des méthodes différentes montrent tous que la fraude fiscale est colossale et qu’elle est incomparablement plus coûteuse que la fraude sociale, elle-même relevant essentiellement de la fraude aux cotisations sociales », expliquent les auteurs du rapport.
Pourtant, le contexte politique actuel est teinté de multiples personnalités qui tentent de minimiser l’importance de la fraude fiscale et, inversement, de maximiser celle de la fraude sociale, en visant plus précisément la fraude aux prestations sociales.
Ces mêmes personnes se font souvent les porte-paroles de thèses néolibérales et conservatrices qui prônent, entre autres, la déréglementation, la réduction de l’action publique et de la protection sociale et qui dénoncent sans relâche l’assistanat pour mieux tenter de décrédibiliser toute forme de redistribution sociale.
483 milliards de dollars de pertes fiscales annuelles mondiales
Pour Attac et les autres soutiens de ce rapport, il y a erreur sur la cible. Pour appuyer leurs propos, ils font appel à diverses sources, et notamment au rapport « Justice fiscale : état des lieux 2021 », élaboré par Global Tax Justice Alliance, Public Service Internationale (une fédération de 700 syndicats dans 154 pays) et Tax Justice Network.
Basé sur les chiffres de l’OCDE, cette analyse estime à 483 milliards de dollars américains les pertes fiscales annuelles mondiales liées aux abus fiscaux transfrontaliers des multinationales et des particuliers. Les chercheurs du Fond Monétaire International (FMI) estiment quant à eux que les pertes indirectes sont au moins trois fois plus importantes que les pertes directes. Au total, elles seraient donc supérieures à 1 000 milliards de dollars par an au niveau mondial, dont 40 milliards de dollars pour la France.
Selon Attac, c’est par le jeu d’écritures comptables et financières multiples passées entre différentes entités, filiales et holdings d’un même groupe de sociétés, que les multinationales abaissent fortement leur taux réel d’imposition, souvent en mêlant l’optimisation agressive et la fraude issue de différentes formes de manipulation des prix de transfert.
En ce qui concerne la fraude à la TVA par exemple, le commissaire européen chargé de l’économie, Paolo Gentiloni, estime que les chiffres de cette année correspondent à une perte de plus de 4 000 euros par seconde.
« Ces pertes sont inacceptables pour les budgets nationaux et signifient que les citoyens ordinaires et les entreprises seront sollicités pour compenser le manque à gagner par l’intermédiaire d’autres impositions destinées à financer les services publics vitaux », déplore-t-il.
La fraude sociale largement surestimée
Parallèlement à cela, la Cour des comptes estimait le montant de la fraude sociale à plus de 20 milliards d’euros en 2014. Des chiffres parfois revus à la baisse, notamment par l’Acoss (devenue en 2021 Urssaf caisse centrale), qui parlait d’un montant proche des 8,5 millards d’euros. Une constant demeure cependant : « de manière générale, la fraude sociale relève très majoritairement de la fraude aux cotisations sociales, autrement dit des revenus et du travail non déclarés », explique Attac dans son rapport. Selon le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE), le poids de l’économie souterraine s’élèverait à 12,3% du produit intérieur brut français (PIB) en 2019.
En ce qui concerne les prestations familiales et sociales, la Caisse des allocations familiales (CAF) a détecté 36 917 cas de fraudes en 2020, soit une proportion de 0,1 % de fraudeurs au regard du nombre de contrôles. Au total, 0,27 % des allocataires ont été considérés comme fraudeurs sur les 13,8 millions d’allocataires. « Des proportions très faibles qui montrent à quel point le discours sur la fraude aux prestations sociales est outrancier et trompeur… », relèvent les auteurs du rapport.
Tordre le cou aux idées reçues
Ils ajoutent également que « contrairement à l’idée fausse selon laquelle les « assistés » optimiseraient en quelque sorte les différentes aides et prestations sociales, l’un des grands soucis de la redistribution sociale réside dans le taux élevé de non-recours de personnes qui, pouvant bénéficier de prestations sociales, ne les réclament pas… 10 milliards d’euros ne seraient ainsi pas versés en raison du « non-recours » ».
Autrement dit, les économies réalisées par le non-recours dépassent de très loin la fraude réelle ou supposée aux prestations sociales. De quoi finir de tordre quelques idées reçues parfois persistantes dans le discours public et politique.
Pour Attac et ses partenaires, revoir nos priorités en terme de justice fiscale est donc indispensable, tant en termes budgétaires, sociaux, environnementaux, économiques que démocratiques. En effet, les conséquences de la fraude fiscale sont multiples, et bien plus dévastatrices que les fraudes aux recettes sociales. Cette transition se fera sans conteste par l’intermédiaire d’une amélioration des outils législatifs et juridiques, d’un renforcement des moyens humains des services engagés contre l’évasion et la fraude fiscale, d’une augmentation des moyens matériels et organisationnels adaptés et d’une action consolidée au niveau international.
L.A.
Pour lire le rapport dans son intégralité : https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/rapport-fraude-fiscale-sociale-aux-prestations-sociales-ne-pas-se-tromper-de#Le-rapport