Son nom est tristement connu des Havrais : l’ancienne décharge de Dollemard, située à flanc de falaise, représente depuis des années un poids pour les municipalités successives, qui ne savent par quel bout gérer le problème. Une véritable « poubelle à ciel ouvert » qui ne cesse, au gré des marées, des tempêtes et de l’érosion de la falaise, de reverser en mer des milliers de tonnes de déchets. Zoom sur une situation a priori inextricable.
Fermée en 1999 suite à des effondrements successifs, la décharge de Dollemard a accueilli des montagnes de déchets pendant plusieurs décennies, notamment des détritus issus du bâtiment.
Petite histoire d’une décharge qui n’aurait jamais dû voir le jour
La création de la décharge de Dollemard date de la reconstruction de la ville du Havre, aux alentours de 1945 (aucune date n’ayant jamais pu être établie avec certitude), après les bombardements qui ont rasé une grande partie du centre-ville.
Dès lors, ce seront des millions de déchets qui y seront déversés au fil des années, malgré un accès à flanc de falaise difficile, voire dangereux (un chauffeur y laissera sa vie en 1962, suite à la chute de son camion), sans compter le déversement naturel des déchets vers la mer.
« Son accès est longtemps illimité »
Son accès est longtemps illimité, permettant notamment aux professionnels du bâtiment d’y larguer en toute quiétude une quantité phénoménale de déchets plastiques, de pneus, d’électroménager… et même de pierres tombales !
Ce n’est qu’à la fin des années 80 que la vis commence à se serrer, afin d’éviter les dérives. Un GIE (Groupe d’Intérêt Économique) est créé par la ville, et est censé gérer l’exploitation de la décharge. En parallèle, les premières associations de protection environnementale et du littoral, parmi lesquelles Aquacaux, commencent à faire entendre leur voix. En 1998, c’est l’éboulement de trop : un volume de falaise estimé à 50.000m3 s’effondre, révélant à la fois la dangerosité du site, et l’accumulation dantesque de déchets qui s’y sont accumulés.
Il faudra toutefois attendre encore deux ans pour que la ville du Havre et le préfet de région décident officiellement de fermer la décharge de Dollemard, puis encore presque 10 ans pour dresser un véritable état des lieux des falaises, mettant en exergue les risques environnementaux et sanitaires que représente le site.
Et depuis ? Des études de financement pour résorber le problème, de multiples réunions, des appels d’offres, mais concrètement… rien. Certes, des initiatives et des tests ont été réalisés, mais à l’heure qu’il est, les tonnes de déchets sont toujours présents, faute d’avoir trouvé la solution pour les extraire.
« Plus de 70 ans que la décharge de Dollemard relâche en mer ses milliers de tonnes d’ordures »
Cela fait donc plus de 70 ans que la décharge de Dollemard relâche en mer ses milliers de tonnes d’ordures, dans une indifférence relative, face à des mairies peu enclines à réellement saisir le problème à bras le corps, et ce, malgré les nombreuses alertes des associations environnementales.
Un mal auquel les Havrais se sont tristement habitués
Le Havre est une ville de bord de Manche, balayée par les vents et fréquemment sujette aux tempêtes marines. Les habitants sont coutumiers des coups de vent, des submersions de vagues par-dessus les digues, et… des montagnes de déchets échoués le long de la plage et dans ses renfoncements passée la tempête.
La vision est familière, mais toujours aussi ahurissante et déprimante : chaque tempête, même de petite ampleur, et d’autant plus si couplée avec une marée à fort coefficient, laisse derrière elle un monceau infini de détritus de tous types que les habitants ramassent, inlassablement.
Une sorte de version moderne du mythe de Sisyphe, les volontaires s’évertuant à récupérer ce qui semble s’échapper d’une source intarissable. Morceaux de sacs plastiques (dont la couleur bleue témoigne à elle seule de l’ancienneté des déchets), béton armé, caoutchoucs de toutes sortes, pneus, emballages ménagers, bouteilles… tout s’échoue pêle-mêle sur les galets et ce, sur des centaines de mètres.
Les coups de vent les plus violents rapatrient même les détritus le long de la promenade et parfois jusque dans la « rivière sauvage », un petit cours d’eau niché entre la route de bord de mer et les cabanes, abritant un écosystème à lui seul (oiseaux, poissons, grenouilles) : il n’est pas rare de retrouver le canal jonché de plastiques de tailles diverses, recouvrant terre, eau et roseaux, et forçant les animaux à se réfugier ailleurs – dans un environnement direct fortement bétonné.
Des associations comme Aquacaux ou Surf Rider organisent régulièrement des ramassages de déchets le long de la plage du Havre, jusqu’au cap de Sainte Adresse, la commune voisine qui partage le littoral. Les habitants eux-mêmes sont régulièrement à l’origine de ramassages organisés, ou fortuits : des « bacs à marée » ont été créés il y a quelques années, permettant à tout un chacun de ramasser les ordures au gré de ses balades sur les galets…
Un éternel recommencement légèrement démoralisant pour les Havrais, bien conscients qu’en l’absence de la décharge abandonnée de Dollemard, les ramassages ne seraient plus systématiques – et surtout, beaucoup moins chargés !
En 2018, au lendemain du passage de la tempête Eleanor, les habitants, épaulés par trois poids lourds et une soixantaine d’agents municipaux, ont récolté la quantité effarante de… 100m3 de détritus ! Un aperçu de ce que la décharge de Dollemard peut lâcher en mer, la majorité des déchets de la falaise qui s’effrite partant directement vers l’océan.
« une grande partie des ordures est charriée par les courants, transportant ces tonnes de plastiques et autres matières non-biodégradables dans la Manche, la Mer du Nord… et au-delà ! »
De ce fait, il serait naïf de penser que seule la plage du Havre souffre de cette ancienne déchetterie de bord de mer : une grande partie des ordures est charriée par les courants, transportant ces tonnes de plastiques et autres matières non-biodégradables dans la Manche, la Mer du Nord… et au-delà !
Quel avenir pour le littoral havrais ?
Maintes et maintes fois, le démantèlement de l’ancienne décharge est revenu sur le tapis au niveau de la municipalité. Les freins sont nombreux, abandonnant régulièrement le problème en bas de la pile, faute de solution miracle.
Coût du projet, dangerosité du site, difficultés d’accès… Mauvaise volonté, réelles barrières, mélange des deux ? Le fait est que le projet de faire enfin un « coup de propre » à Dollemard ne parvient toujours pas à voir le jour, bientôt 25 ans après la fermeture de la décharge et les tonnes de déchets ramassés depuis par municipalité et habitants.
Une lueur d’espoir, peut-être ? Le 16 octobre dernier, le conseil d’administration de l’ADEME s’est réuni afin de répartir l’attribution de subventions autour de dix projets français, dans le but « d’accélérer la transition écologique ».
Parmi eux, trois projets phares, dont celui de la décharge de Dollemard, que l’ADEME propose de subventionner et de solutionner en ces termes : « Les modalités de gestion retenues consistent en un tri des déchets en bas de falaise pour séparer les matériaux grossiers non pollués qui seront laissés sur site, des matériaux fins qui seront remontés via une grue ou autres systèmes proposés par l’entreprise retenue.
Ces matériaux fins seront de nouveau triés en haut de falaise à une granulométrie plus fine garantissant une optimisation des filières de valorisation/traitement/évacuation hors site. L’investissement s’élève à 37 300 000 euros et l’aide proposée par l’ADEME est de 22 000 0000 euros. »
Une avancée bien perçue par l’association Surf Rider France, qui surveille l’état de la décharge de Dollemard depuis de nombreuses années. « Suite à cette décision de l’ADEME, il y a eu délibération du conseil municipal du Havre, qui a fixé un budget pour la réhabilitation d’une partie de la décharge », explique Théo Tostivint, chargé de mobilisation chez Surf Rider.
« Une partie de la décharge, la façade principale, sera dépolluée sur une période allant de 2025 à 2028. Sur les 300 000m3 de déchets, la ville annonce que 205 000m3 seront traités sur ces trois ans. »
Une prise décision qui permet de retrouver un peu d’optimisme après tant d’années d’immobilisme. Et ce, malgré des difficultés à obtenir un réel bilan de ce qui a été mené depuis 2021, avec une première phase d’expérimentation puis le plan national de résorption des décharges littorales, en 2022.
Il semble possible d’espérer à nouveau !
« Surf Rider enquête encore, précise Théo Tostivint. Il reste quand même 95 000m3 de déchets à gérer dans la tranche dite « optionnelle », et qui n’a pas été budgétée : il s’agit sans doute des endroits où les accès sont les plus difficiles. Nous sommes conscients des considérations techniques liées à l’accès des engins et au tri des déchets sur place, en plus des contraintes budgétaires, mais nous aimerions toutefois détenir aujourd’hui un calendrier plus précis, notamment pour cette partie optionnelle. Nous espérons qu’elle ne va pas rester en friche, mais nous ne le pensons pas. »
Avec cet ensemble de décisions, il semble enfin possible de voir le bout du tunnel pour la tristement célèbre décharge de Dollemard.
« Les premiers coups de pelle arrivent »
« La question du financement est bouclée, et les problèmes techniques en grande partie résolus, s’enthousiasme Théo. Je pense que nous pouvons enfin dire que nous tenons quelque chose de concret. Les décisions de l’ADEME et du conseil municipal constituent une première victoire car les premiers coups de pelle arrivent. 2025 va marquer le vrai début des travaux ! L’engagement de contractualisation du marché public, promis pour fin 2024, a été tenu. Il nous reste à vérifier que tout a été respecté suite aux premières phases d’engagement depuis 2021. Nous avons encore besoin d’être rassurés… mais cela semble en bonne voie !«
Même si l’attente de voir apparaître de réels résultats va prendre quelques années, une bonne nouvelle semble se profiler pour les Havrais et les habitants des communes environnantes : celle de réduire la quantité de déchets à ramasser après chaque coup de vent, couplée à un désir de ne plus voir disparaître, sous la mer, ces tonnes de détritus…
-Mélusine Lau
Photo d’en-tête : ©Surf Rider France
Sources :
-Écologie pour le Havre : Décharge de Dollemard
-ADEME Presse : CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ADEME DU MERCREDI 16 OCTOBRE 2024
-Surf Rider : Le Havre : une avancée pour les anciennes décharges de Dollemard
-France Bleu : Près de 500 volontaires nettoient la plage du Havre, après le passe de la tempête Eleanor