Le rose bonbon pour les petite filles, le bleu pour les petits garçons. Les poupées pour les premières, les camions pour les seconds. En matière de jeux pour enfants, les clichés ont la vie dure. La répartition minutieuse des jouets selon le sexe est pourtant un phénomène relativement nouveau en France, qui participe à cloisonner les plus jeunes selon des stéréotypes sociaux à travers le prisme d’industriels et de spécialistes en marketing. Certains entendent désormais lutter contre ce cloisonnement en interpellant l’opinion public. Le collectif #cestpasmongenre est intervenu dans un magasin de jouet à Paris, en pleine période des achats des cadeaux de Noël.
Impossible de ne pas le remarquer, les jeux d’enfants d’aujourd’hui sont particulièrement genrés, soigneusement différenciés par un code couleur et des thématiques distinctes selon qu’ils s’adressent à une petite fille ou à un petit garçon. Comme si, par nature et en fonction de leur sexe, nos enfants s’intéressaient d’avantage à des perceuses ou des poupées. Pourtant, c’est tout le contraire : le caractère genré des jeux fabrique l’imaginaire des plus jeunes, les conditionne socialement et perpétue la vision d’une société datant d’un autre temps. Une enquête menée par l’Institution of Engineering and Technology témoigne d’ailleurs de l’ampleur du phénomène. Les chercheurs ont ainsi pu établir que 89 % des jeux destinés aux filles étaient rose. La ségrégation par les jeux est pourtant un phénomène relativement récent. Un article du New York Times de 2015 montrait qu’en 1975, seuls 2% des jeux étaient genrés. Désormais, c’est la norme pour pratiquement l’ensemble du secteur. Ce changement imposé par l’industrie et les magasins est donc récent mais telle la grenouille dans l’eau portée à ébullition, les consommateurs n’ont rien vu venir, et certains vont même jusqu’à défendre ce dictat sous des prétextes naturalistes.
Les enfants, premières victimes des logiques commerciales
L’association française Adéquation relève qu’une analyse des jouets proposés aux enfants montre que « les filles sont constamment ramenée à la maison, à l’intime […] tandis que les garçons sont résolument à l’extérieur, dans l’action, invités à maîtriser toute une gamme de véhicules et de dispositifs électroniques. » Derrière cette ségrégation aux relents d’une Manif pour Tous, se cache une vision inégalitaire de la société, au détriment des femmes, de leur liberté et de l’égalité des chances : les personnes de sexe féminin sont associées à la cuisine, à la mode et au rôle de mère, alors que l’homme est représenté comme un travailleur des sciences ou à celui qui incarne la force, notamment via les armes.
Non seulement, les fabricants partent du principe que, selon leur sexe, les enfants auraient des aspirations naturelles différentes (ce que la science a démontré être faux), mais en plus, ils leur insufflent de manière symbolique une vision superficielle de la femme. Pour l’association Adéquation, « la différenciation sexiste des jouets reflète un mode d’organisation sociale ancien » et est la conséquence de logiques commerciales dans un monde capitaliste : « elle fait vendre en multipliant l’offre de produits et les gammes réservées aux filles et aux garçons ».
Avec quels effets sur les enfants ? Les enfants intègrent cette dichotomie, se l’appliquent à eux-mêmes, dans leurs relations avec les autres et peuvent la reproduire à l’adolescence (dans les choix des études) puis l’âge adulte. D’ailleurs, toujours selon l’Institution of Engineering and Technology, les jeux façonnent l’imaginaire des plus jeunes, ce qui a des conséquences sur leurs choix de vie future, notamment les études ainsi que les métiers auxquels ils se destinent. C’est notamment par cette voie, parmi d’autres (éducations, médias,..) que le sexisme se structure durablement dans le temps, allant même jusqu’à former des individus dont les comportements vont valider sa perpétuation. On estime que les enfants intériorisent les stéréotypes sexuels dès l’âge de 6 ans. Ainsi, dès 6 ans, l’étude montre que les filles se croient moins intelligentes que les garçons.
Une action symbolique pour sensibiliser l’opinion public
Si quelques intrépides ne prenaient pas l’initiative de soulever le problème, la question ne ferait même pas débat dans cette société où tout semble devenu conventionnel. Mais des actions sont désormais organisées dans l’espace public afin d’interroger la troublante réalité. Le collectif #cestpasmongenre s’est manifesté cette semaine dans un grand magasin de jouets de la capitale.
À l’occasion de cette action symbolique qui s’est déroulée sans violence, les participants ont déplacé les jeux d’un rayon à l’autre dans un magasin de jouets afin de rappeler qu’il n’existe pas de jeux qui correspondraient à priori à un sexe et qu’un enfant peut s’amuser avec un camion ou une kitchenette, qu’importe qu’il soit fille ou garçon. L’action a ensuite été suivie d’un tractage, afin d’encourager des discussions avec les clients et de décloisonner les imaginaires. Par cette action, #cpasmongenre a pour objectif de sensibiliser le grand public (donc les parents) sur les problématiques du sexisme infantile et de ses conséquences sur la construction du rôle des petites filles et petits garçons dans la société.
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