À l’heure d’une crise écologique sans précédent, la question de la mobilité devient cruciale. Dans ce combat, il apparaît que les transports collectifs ont un rôle très important à jouer. Et si pour favoriser leur développement, nous devions passer par la gratuité ?
Selon le GIEC, le secteur du transport ne représenterait pas moins de 14 % des émissions de CO2 dans le monde. En France, il s’agit même du domaine le plus pénalisant atteignant 31 % des émissions. Mais près de la moitié de ce désastre est dû aux voitures individuelles…
Faire reculer la voiture
Dans ce contexte, il apparaît donc urgent de collectiviser nos moyens de déplacement le plus possible. Évidemment, il faut d’abord pour cela que ceux-ci existent. En 2018, un syndicat estimait que 27 % des Français, soit 18 millions de personnes, n’avaient tout simplement aucun accès aux transports publics.
Pour autant, au vu de l’urgence écologique qui dépasse l’échelle du court-terme, il devient nécessaire de faire reculer l’usage de la voiture. Pour cela, le développement de la gratuité des transports en commun semble décisif afin de faciliter son usage pour toutes et tous, mais ce n’est malgré tout pas suffisant pour compenser le déclin de la voiture.
Développer le réseau
Les études réalisées sur les villes ayant adopté les transports non payants ont en effet démontré que la gratuité augmentait bien leur fréquentation, mais essentiellement par des personnes qui n’utilisaient déjà pas la voiture. Pour convaincre les automobilistes de changer leurs habitudes, il faudrait alors des leviers supplémentaires. Le temps d’attente, le confort, ou bien l’accessibilité sont autant de critères qui peuvent également peser dans la balance.
Il est évident que mieux une localité sera desservie, plus elle rendra ses transports en commun attractifs. Le maillage et la fréquence de circulation deviennent donc cruciaux : on sera plus tenté de prendre le bus ou le métro si l’on dispose d’une station à 100 mètres de son domicile que s’il est nécessaire de marcher vingt-cinq minutes pour y parvenir. De la même façon, on empruntera plus volontiers le tramway s’ils passent régulièrement que si l’on doit patienter deux heures entre chaque nouvelle rame.
Une question financière épineuse
Pour parvenir à rendre les transports plus attractifs, il est donc indispensable d’investir massivement. Cet objectif peut, a priori, paraître très contradictoire avec la gratuité qui aurait pour effet de réduire la trésorerie de l’État. Cependant, on peut imaginer trouver d’autres leviers pour financer ces améliorations nécessaires. Il faudrait sans doute d’abord réaffecter certains budgets qui sont complètement à contre-courant de ce but. Selon l’auteur Marcel Robert, 80 à 90 % de l’argent public alloué au transport va ainsi à l’automobile. On ne peut pas sérieusement souhaiter réduire l’usage de la voiture alors que l’on continue à investir fortement dans ce domaine.
Ceci étant, même en réattribuant cet argent, il existe peu de chance pour que cela soit suffisant pour, d’une part, compenser les pertes de billetterie, et d’autre part améliorer le réseau pour inciter plus de gens à l’utiliser. D’autant plus que, d’après une étude, à peine 3,5 % de nos prélèvements obligatoires ont été concédés au transport en 2021. Si l’on prend le chiffre d’affaires de la SNCF, il s’élevait à 34,8 milliards d’euros en 2021.
Rendre tous les trains gratuits coûterait donc une somme importante, auquel il sera nécessaire d’ajouter un investissement massif pour satisfaire l’afflux de voyageurs et continuer à développer la qualité du service et le maillage du territoire. Pour les transports plus locaux, la question est aussi ardue. En Île-de-France, il faudrait par exemple renoncer à trois milliards d’euros de recette de billetterie, 135 millions à Lille, 81 millions à Toulouse, ou encore 265 millions à Lyon.
Taxer les riches
Rendre tous les trains, bus, ou autres tramways gratuits en France, tout en continuant à les développer, coûterait donc sans doute plusieurs dizaines de milliards aux contribuables. Un revirement important, mais pas insurmontable.
Pour financer un tel projet, on ne pourrait évidemment pas se contenter de réaffecter des budgets déjà existants, il faudrait nécessairement augmenter les recettes. On pense en premier lieu aux 100 milliards d’euros de fraude fiscale qui échappent à l’État chaque année. Quelques économies seraient aussi faites avec la suppression de la billetterie. Il n’y aurait, en effet, ni de machines à entretenir ni de personnel à payer pour vendre et contrôler les tickets.
Il faudrait sans doute, par ailleurs, mettre à contribution les plus aisés, mais également les grandes compagnies, en particulier celles qui polluent le plus. La participation des entreprises au financement des transports est d’ailleurs déjà assez développée.
Certains ont déjà sauté le pas
Le financement des employeurs est même crucial dans les municipalités où les transports sont déjà gratuits. En France, pas moins de 38 communes ont franchi le pas. Il s’agit pour la plupart de villes moyennes comme Calais, Cahors, ou Arras. Mais des agglomérations de plus de 100 000 habitants ont aussi rejoint le mouvement, comme Douai ou Dunkerque. Fin 2023, c’est la métropole de Montpellier qui devrait aussi adopter ce modèle.
À l’étranger, la capitale de l’Estonie, Tallinn, s’est lancée dans cette aventure depuis près de dix ans. Au Luxembourg, c’est même tout le pays qui ne fait plus payer les transports publics depuis 2020. Récemment, l’Espagne s’est également démarquée pour avoir rendu gratuites (au moins temporairement) plusieurs lignes ferroviaires, pour faire face à la hausse des prix du carburant.
Fin du pétrole et nécessaire sobriété
La fin du pétrole est d’ailleurs un horizon qui devrait nous pousser à développer fortement les transports en commun. Avec sa raréfaction, l’explosion du prix du carburant n’est même sans doute pas près de cesser. Au lieu de courir après un nouveau modèle individualiste basé sur la voiture électrique qui n’a rien d’écologique, il est donc indispensable de prendre un tournant collectif, auquel la gratuité pourrait inciter.
Pour autant, comme pour l’énergie et nos modes de vie en général, il va également falloir bifurquer vers plus de sobriété. Pour y parvenir, il sera nécessaire de changer complètement notre rapport à l’emploi. Et pour cause, c’est bien ce qui génère en moyenne le plus de mobilité chez les Français : 22 km et 35 minutes par jour.
Dans cette optique, il devient urgent de décentraliser les lieux d’activité professionnelle, ou encore favoriser massivement le télétravail lorsqu’il est possible. Des objectifs qui réclament nécessairement de revoir totalement nos méthodes d’urbanisation et d’occupation du territoire.
Globalement, que ce soit pour le travail, les loisirs ou les vacances (pour ceux qui peuvent en prendre), il faut donc viser des déplacements plus doux (et donc plus longs) et moins loin. Évidemment, une nouvelle fois, le concours des pouvoirs publics sera indispensable, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour chez nos dirigeants néolibéraux…
– Simon Verdière
Photo de couverture de Taylor Heery sur Unsplash